30 septembre 2017

LE GRAMOPHONE (Lorraine)

 

            Sortant du gramophone, la voix de Caruso assénait, magnifique : « Comme la plume au vent, Femme est volage, Et bien peu sage qui s’y fie un instant »  De son côté, « Madame Butterfly » sanglotait sur la trahison de l’homme.  A quatre ans, j’appris ainsi l’essentiel : en amour, soyons prudents.  Assise sur mon petit banc, je jouais silencieusement dans un coin et  bénéficiais du goût de mes parents pour l’opéra, dont se souciaient peu mes frères aînés. Eux, ils chantaient des chansons d’amour à la mode dont je partageai peu à peu le répertoire ;

            « Ramona », « Les papillons de nuit », « Charmaine », complétèrent mon éducation. Je connue par cœur « Dolorosa », « Viens, le soir descend … » , « Bonsoir Ninon » et je chantai  même en toute innocence, après un repas de famille au jardin  :

            « T’avoir à moi rien qu’une nuit
              Sans bijoux et sans voiles
              A la clarté des étoiles
             T’avoir à moi rien qu’une nuit
             Mourir demain mais t’aimer aujourd’hui »

            Maman, gènée, tentait de me faire taire, les convives m’applaudissaient à tout rompre, J’avais eu mon heure de gloire, sans gramophone ! Le progrès le relégua au grenier, remplacé par le tourne-disque.

            Il reste le souvenir un peu brouillé d’un temps révolu, le beau temps de l’enfance.

 

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29 octobre 2016

IMITATION (Lorraine)


Mais non, il n’imitait personne, ce beau chat d’un autre siècle. Il savait très bien lire et écrire, c’étaient d’ailleurs  ses plaisirs préférés. Quand sa maîtresse dormait, il se coulait à son bureau, soyeux et pensif, et d’une écriture fine et déliée racontait sa petite journée de chat.

Il lui arrivait aussi de parler de cette jeune femme qui lui tenait compagnie et, indiscret (seulement un peu) de confier à son Journal la visite du comte de Villeneuve, si délicat, ou du baron Gaétan de Beauregard, joyeux et inventif, qui racontait des histoires folles  et  ne manquait pas d’égratigner au passage le comte de Villeneuve de qui il était un peu jaloux. Maître Chat, dans son grimoire, le blâmait un peu, mais si gentiment., car tous étaient des gentilshommes.

Il n’était pas chat de gouttière sa maîtresse l’avait choisi dans une nichée de la comtesse Petruschka, qui parlait si curieusement le français. Et c’est bien connu, le chat d’une comtesse est un comte, il l’avait compris une fois pour toutes. Et il acceptait, du bout de sa patte, les caresses des visiteurs, et faisait semblant d’être sourd quand ces Dames jacassaient en prenant le thé. Même s’il retenait tout et s’en ouvrait parfois dans son grimoire.

Je regarde ce tableau » Imitation » et je m’envole dans la chambre close, pour lire, par-dessus son épaule, les potins de Maître Chat. Il m’accueille quand je suis triste et son ronronnement d’autrefois m’apporte la paix du soir. Et le sommeil.

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08 octobre 2016

LA FABRIQUE DES MOTS MAGIQUES (Lorraine)

 

            Je me suis trompée de porte,  et au lieu du magasin habituel où j’achète mes rêves éveillés, je me suis trouvée dans un atelier plein comme une ruche de petits chapeaux comme on n’en fait plus. J’allais partir quand une voix de clochette chantonna :

            - Vous voulez des mots magiques ? Bonjour, les voici !

            Et derrière la frimousse fripée d’une souriante grenouille, s’élevèrent des pancartes griffonnées de « je t’aime, « Bisous », « N’aie pas peur », « Je suis là », la vie est belle », et enfin « Assiéds--toi ». Et sans le vouloir, je m’assis. La grenouille souriante me mit sur la tête un chapeau pointu et j’eus l’air d’une fée ; un chapeau rouge  et je devins le Petiit Chaperon des légendes ; un voile perlé me fit sultane, une couronne reine d’Angleterre.  Hum !

            - Je ne veux pas de chapeaux, mais des mots ! criai-je.

            - Les voici, les voilà ! Tu les prends, tu les jettes, tu les gardes, j’en invente tous les jours, fais-en ce que tu veux…

            Et comme des papillons s’envolèrent des syllabes dodues, gaies, insensées, prêtes à danser , prêtes à vivre. Je  tentai de les attraper au passage, elles me faisaient la nique. Je réussis à capturer « amour », « turlututu » « grelot, « harpe »…et puis je fermai les yeux car arrivaient en masse « nenni », ‘tempête », « illusion », « adieu », « jamais » et enfin « mourir » ;

            Alors je suis partie très vite. Et je me suis retrouvée chez moi, voulant me convaincre d’avoir rêvé…

 

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10 septembre 2016

Chats (Lorraine)


    Ma petite chatte funambule se promène, gracieuse dans sa fourrure noire, sur l’étroit mur du jardin. Soudain, les yeux fauves aux aguets, elle s’arrête, s’étend, longue et silencieuse dans l’ombre des branches, muscles tendus et prête à bondir : un moineau sautille dans l’herbe  du jardin voisin. La chatte, les oreilles dressées, a tressailli. D’un élan souple, elle disparaît à mes yeux...

    Et la revoilà, penaude. Son regard féroce est triste Mais elle se hâte : la pluie d’été tombe, serrée, sur les roses . Assise sur les pattes arrière, doucement, elle introduit son fin museau dans l’entrebaillement de la porte qui s’ouvre.

    Dans le salon, étalant son ventre tacheté, son meilleur ennemi dort dans un fauteuil. Rayé de gris, plastronné et chaussé de blanc, ventre roux, David-le-Chat, gros et pansu, n’admet pas la concurrence. Les cabrioles de Swami troublent ses sommes interminables de vieux garçon. Aussi souvent se jettent-ils à la face injures diverses et grognements sourds.

    Vive, la chatte est passée sur la pointe de ses pattes élégantes ; et bientôt, dans la tiédeur du crépuscule, correcte et digne sur le tapis rouge, elle ferme ses yeux fendus qui s’éteignent comme des étoiles à l’aube.

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27 août 2016

LES CARTES ILLUSTREES (Lorraine)

 

            Si je collectionne les cartes illustrées, ne vous moquez pas , c’est une si ancienne haitude !. A six ans, combien d’heures silencieuses n’ai-je pas charmées par ces visages de jeunes filles qui étaient alors à la mode et témoignaient d’une pensée amoureuse ! Mes frères sortaient de leurs tiroirs les Suzette et les Marguerite oublieuses ou oubliées, et je les rangeais précieusement après des chiens chapeautés balayant la cour ou du chat penaud affalé contre une borne et qui disait : « Je vous attends ! ».

            Quand mes frère furent au régiment, ils m’envoyèrent des piou-pious, la sérénade de Pierrot, des lunes ivres, des Noêls au champagne. Ma sœur Lizzie s’était fiancée et nouait d’un ruban rose les billets qu’elle enfermait dans un secrétaire. Quelquefois, elle dénouait ce ruban et sortait de dessous la liasse une carte ancienne, qui montrait un jeune homme dans un cœur ! Quand je sus lire, j’épelai que la « chère Lizzie » désespérait René, notre ami de toujours. Comme la chère Lizzie était sage, elle ne répondit pas aux aveux et j’héritai ainsi l’une après l’autre, des supplications , des révoltes et enfin de l’adieu. J’ai gardé si longtemps ce bagage sentimental que je le confonds parfois avec mes propres souvenirs.

            C’est en mémoire de ce temps merveilleux de l’enfance que je garde les cartes illustrées...

 

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13 août 2016

Derrière la grille (Lorraine)


    Derrière la grille, il n’y a rien
    Ou rien qui en vaille la peine
    Peut-être bien l’aboi d’un chien
    Qui aujourd’hui a fait carême ?
    
    
    Derrière la grille, un grand étang
    Frémit comme une houppelande
    Qui s’en irait dans le grand vent.
    Un homme venu de Hollande ?
    
    Derrière la grille un très vieux pont
    Vert-de-grisé par les années
    Semble écouter un orphéon
    Et sa complainte enamourée
    
    Derrière la grille c’était désert
    Mais j’ai l’esprit qui vagabonde
    A défaut d’avoir l’univers
    Je me suis inventé un monde
    

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23 juillet 2016

FANFRELUCHE (Lorraine)


Quand je la vis pour la première fois, la  fée Fanfreluche n’était pas plus grande qu’un pois. Mais déjà je distinguai en elle ce quelque chose qui allait la différencier du monde entier.  Peut-être ce petit chapeau rouge et coquin orné d’un pois blanc ? Ou sa  jupe évasée blanche elle  aussi et pointillée de rouge ? Non, ce n’est pas suffisant. Fanfreluche me semblait prédestinée ; elle habitait une maisonnette dans la forêt où elle ne recevait que d’exceptionnels visiteurs. De ceux qui perçoivent l’insolite où il est et l’acceptent. Sans discuter. Parce que c’est. Point final.

Je fus, je crois, la seule amie de Fanfreluche pendant longtemps.  Elle avait pour la mode un goût immodéré ; je la vis mince et brune sculptée dans une robe immaculée, parsemée de points colorés, comme s’ils étaient arrivés là en coup de vent, sans ordre, se bousculant, et d’autant plus séduisants qu’on ne pouvait ni les compter ni les toucher. Elle se posait parfois sur une branche,  songeuse. Je respectais son silence. Et soudain elle chantait ; Pour elle et pour moi seule, car personne ne l’a jamais entendue. Moi, je voyais les notes s’exhaler de ses lèvres et monter comme des ballons rouges et blancs, vers l’espace, vers le ciel. Et certains soirs de lune, alors que je cherchais en vain le sommeil, sa silhouette se dessinait soudain contre la vitre, levait les bras vers l’immensité en une complainte douce et lancinante, qui me berçait. ¨Puis, ouvrant un grand manteau de velours rouge parsemé de perles noires, elle s’offrait au vent qui l’emportait, laissant un sillage de perles d’or et d’argent comme autant d’étoiles.

La fée Fanfreluche était si belle qu’un Prince de la nuit lui demanda de l’épouser. Mais elle refusa : « Je suis née pour semer l’illusion, dit-elle, à ceux qui sont aptes à la saisir. Ma tâche me suffit. Pour guérir les cœurs, il y a tant à faire » !..

Elle était donc la semeuse des pointillés, des points, des semis en une sarabande inlassable. Un jour, je cessai de la voir. Et je sus, qu’ayant épousseté ma tristesse, elle s’en était allée distraire de ses multiples  créations , la mélancolie du monde.

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02 juillet 2016

L’EVASIION (Lorraine)

            Pour égayer ma solitude, ma fille m’offrit un couple d’oiseaux menus et charmants, dont je n’ai jamais connu la race. Qu’importait après tout ! Ils étaient beaux, colorés, actifs. Ils sifflaient un air de printemps qui réchauffait le cœur. Ou plutôt, un seul oiseau sifflait, l’autre se contentait de rester sur un barreau, sage et sérieux.

            Il m’intriguait. Je l’observai à la dérobée et constatai assez vite que c’était un doux, un timide, ou un résigné pour tout dire. Quand je remplissais la mangeoire, l’autre se précipitait ; pas lui. S’il faisait mine de s’approcher, l’autre le bardait de petits coups de bec et se rassasiait lui laissant la gamelle presque vide.  C’était aussi l’autre qui sifflait. Lui vivotait dans son ombre à elle. Car c’était « elle » la souveraine, la mégère, la dominatrice.  Certes, je remplissais la mangeoire quand, repue, elle somnolait ,  mais je m’inquiétais pour la joie de son petit compagnon si relégué.

            Un après-midi d’été , assise à mon bureau et tournant le dos à la cage,  un sifflotis  joyeux égaya la pièce. Je me dis : « La belle célèbre le soleil » et je reprenais mon travail quand arriva mon petit-fils, 15 ans, l’esprit et le regard vifs.  Il s’écria :

            - Un de tes oiseaux s’est fait la malle ?...

            Je me retournai vivement : oui, la porte de la cage était grande ouverte et un seul oiseau chantait à pleine voix : lui, le petit abandonné, psalmodiant sa délivrance d’une voix de plus en plus assurée. « Elle » avait pris la clef des champs par la fenêtre ouverte  sur l’inconnu. Et lui, heureux et en voix, me donnait à la fois la certitude qu’il savait chanter,  et qu’une cage ouverte ne l’incitait pas à m’abandonner. Il fut désormais le plus heureux des oiseaux en cage et me resta fidèle treize ans encore, puis s’endormit pour toujours un matin de printemps.

 

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18 juin 2016

OR – NI - CAR (Lorraine)

 

     OR était seul , affreusement, désespérément seul.  Plus seul qu’Adam en son Eden, à qui Dieu ôta tout simplement  une côte dont il créa Eve, une aimable  bavarde qui lui tint compagnie.  Mais OR  n’avait pas cette chance, il n’appartenait pas au genre humain. Et malgré son immense désir de « communiquer » , il restait dans son « quant-à-moi », désolé et plaintif.

      Certes, il murmurait pour lui-même, il imaginait des discours où il intervenait noblement. Un soir qu’une fois de plus il haranguait le ciel, de sa voix imperceptible, il lui sembla entendre un faible bruit. Un bruit ?...Une voix ?...Une réponse ?... Il s’assit sur le faîte du toit, bouleversé, osa susurrer : « Il y a quelqu’un ?... »  et entendit, pour la première fois, une réponse inespérée :

     - Je suis là, OR, tout près de toi. Je te prends la main, je m’assieds, je suis seule moi aussi depuis si longtemps !..

     - Tu es qui ? osa-t-il bafouiller, éperdu.

     - Je suis NI, celle qui dit toujours « ni chèvre ni poisson », « ni bien ni mal », « ni vrai ni faux »,  « ni beau ni laid », « ni…

     OR ne se tenait plus de joie. « Quelle chance de te rencontrer, quelle chance… » répétait-il , essayant de percevoir les traits de NI. Mais comme lui, elle n’en avait pas, elle était seulement une fille de la pensée, une élucubration que les humains utilisaient dans leurs discours, un être sans corps.  Mais elle était là, amicale, issue de son monde à lui et il sentit qu’à deux ils étaient une force.

      - CAR moi aussi, j’existe, vrombit soudain un son à leur oreille. Je suis celui qui explique, qui connaît les réponses, qui intervient quand les humains se trompent ou qui prouve ce qu’’on vient de dire. Je ne vous connaissais pas, mais je vais vous présenter quelques amis.

      Il n’eut qu’à prononcer ces mots. Aussitôt jaillirent de nulle part  quatre invisibles qui se donnaient la main : MAIS, OU, ET, DONC. Ils se rencontraient enfin, ils n’étaient plus d’anonymes petits mots inconnus, mais formaient – et forment toujours – le beau cortège des  conjonctions  de coordination, qui donnent à la langue française  tant de nuances !

 

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04 juin 2016

LA MEMOIRE (Lorraine)


     Je ne suis pas physionomiste. Un défaut mineur, certes. Sauf que… Dans ma vie professionnelle, on me présenta la même personne à trois reprises, elle me souriait comme à une amie et avec bienveillance répondit :

     »Mais nous nous connaissons, n’est-ce pas, chère Madame ? »

    Je balbutiai un « Mais certainement, madame… ??? » cherchant à toute allure où nous nous étions déjà rencontrées et ce que nous nous étions dit !...Le trou noir. Heureusement, elle était bavarde et notre échange de banalités nous évita d’approfondir la question.

    Ma mémoire s‘est toujours comportée de curieuse façon. Depuis ma jeunesse, je ne retiens ni le titre d’un film, ni le titre d’un livre, un peu comme si je décapitais l’œuvre de son auteur, une fois pour toutes. Ce qui me rends complètement ridicule quand, enthousiasmée par le film ou la lecture, ,je veux faire partager cet enthousiasme. J’ai le titre sur le bout de la langue, je vois parfaitement l’auteur…mais bon sang, il s’appelle comment ?..Jeune, j’en rougissais ; aujourd’hui, je dis simplement « J’ai oublié, c’est normal à mon âge »…et on continue la conversation.

    Ah ! la mémoire ! Elle retient toutes les couleurs de mon enfance, la voix de maman, l’école et ses péripéties drôles ou fâcheuses, la bruissante énergie professionnelle, une guirlande de visages aimés, toute la chaleur du passé. Mais ne me demandez pas ce que j’ai fait avant-hier. Ma mémoire est une trieuse ; ce qui n’est guère important elle l’efface et me désemcombre. Si je quitte mon bureau, arrivée au salon je m’interroge quelquefois: qu’est-ce que je cherche ? Il suffit de franchir une porte pour que je perde le fil. Puis que je le retrouve. Ce qui me rassure : ce n’est pas Alzheimer, pas encore… Si vous avez des doutes, je vous en prie, dites-le. Je prendrai rendez-vous pour une visite de dépistage…

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