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Le défi du samedi
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21 août 2021

Étranges rêves de Marcel P. Chapitre 10, Centon vénitien (Joe Krapov)

VeniseA Venise, ville exquise, j’arrivai pour le carnaval, accompagné de mon ami Reynaldo H., de MAMAN et du livre de John Ruskin, «Pierres de Venise» dont j’espérais bien qu’il me servirait de guide touristique dans la cité des doges puisque Gaston Gallimard n’avait pas encore lancé les beaux objets bibliophiliques de sa collection «Découverte».

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître puisque c’était en 1900, une année un peu folle où Bruxelles Bruxellait, où Venise Venisait et où le carnaval promettait d’être plus joyeux encore qu’à l’habitude car le tournant du siècle ne s’était pas accompagné de la fin du monde prédite par un grand couturier de Paris qui donc continuait de Pariser tandis que dans son coin Buda pestait… presque autant que moi.

vittore-carpaccio-arrivee-des-ambassadeurs-venise- T’as voulu voir Venise et on a vu Venise ! me reprocha MAMAN toute l’année qui suivit ce voyage mais c’était bien à tort qu’elle s’en prenait à moi qui ne m’intéressais alors qu’à ce joli manteau sur le tableau de Carpaccio à la galerie de l’Accademia et qui n’avais même pas voulu l’accompagner à ce bal masqué sur la place Saint-Marc d’où elle et Reynaldo avaient ramené la petite fille, adorable au demeurant, dont ils avaient hérité là-bas.

Au bal masqué ohé ohé, il s’était déroulé un incident regrettable, une farandole tragique. L’Arlequin qui menait la sarabande avait enlevé, par jeu, à une famille française leur petite fille déguisée de la même façon que lui et l’avait intégrée à la chaîne humaine des danseurs allumés qui tournaient autour du campanile puis partaient vers la tour de l’horloge et c’était tout juste s’ils n’entraient pas dans la basilique pour profaner de leur transe vivaldienne le sol de mosaïque – heureusement, le bâtiment religieux avait été fermé – mais au moment où la musique s’est arrêtée Arlequin dans sa boutique chanstiquée a rendu la petite fille… à MAMAN !


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- Laisse les gondoles à Venise ! La prochaine fois on ira voir le printemps sur la Tamise ou te chercher une promise à Vesoul ou Vierzon… ou Aurillac !

Ce fut là le leitmotiv de toute l’année 1900 car MAMAN m’en voulait énormément de cette mésaventure : on n’avait jamais retrouvé les parents de la gamine qui disait se prénommer Céleste «mais je sais pas mon nom de famille sauf que papa s’appelle Ginette et qu’on habite à Aurillac» et les carabinieri qui étaient tout sauf polyglottes haussaient les épaules, écartaient les bras et les laissaient retomber pour bien signifier qu’ils ne pouvaient rien faire de plus et que le mieux était de voir avec le consulat de France : «Franchement, depuis 1515 et même avant, vous ne faites rien qu’à nous embêter, vous, les Francese, que si ça continue vous allez nous rendre Venise invivable à force d’y venir si nombreux vous livrer à vos fredaines homosexuelles comme ce Georgio Sand et cet Alfred de Musset qui ont fait tant de scandale à l’hôtel Danieli…» mais on n’a pas entendu la suite de la diatribe parce que MAMAN excédée a fichu un coup de parapluie sur la tête du brigadier Tarchinini, ce qui n’avait en rien amélioré le climat – climax ? - de la discussion qui avait fini au poste et tout s’était terminé par un retour à quatre à Paris puisque on ne pouvait pas, décemment, laisser à la rue, dans une ville étrangère, notre jeune compatriote au si mignon minois.

***

- Tu me fais tourner la tête ! Mon manège à moi, c’est toi ! Je suis toujours à la fête quand je te prends dans mes bras ! ». Voilà comment je lui déclarais mon amour à Céleste ! Pendant cette année de ma vie au cours de laquelle j’ai fêté mes vingt-neuf ans, j’ai eu une petite sœur de neuf ans, une petite fille, une petite mère et c’est sans doute de cette gamine anodine qui apporta tant de bonheur dans mon existence que MAMAN est tombée gravement, maladivement et méchamment jalouse.

- Je suis malade ! Complètement malade de ce que nous coûte cette peste ! se plaignait-elle à tout bout de champ. Déjà ce voyage d’une semaine à Aurillac où elle dit qu’elle habite mais où personne ne l’a jamais vue et où elle-même ne reconnaît rien et maintenant ces bouquins de la Comtesse de Ségur, ces robes, ces tabliers de bonniche qu’on lui achète pour qu’elle aide en cuisine et serve à table mais va te faire lanlère, avec la gangrène socialiste qui s’annonce bientôt on ne pourra même plus faire travailler des enfants de cinq ans dans les mines ! Pourquoi pas leur offrir des congés payés tant qu’on y est ?

***

Aujourd’hui MAMAN est morte. MAMAN est morte de rire ! Nous somme le 24 janvier 1901. Elle a dit à papa qu’elle avait eu l’idée du siècle et qu’elle s’absenterait quelques jours en février mais que Céleste et Félicie aussi s’occuperaient de la maison en son absence. Papa a à peine levé les yeux de son journal et fait « Moui, si tu veux ». Moi je n’ai rien vu venir.

***

Que c’est triste Venise au temps des amours mortes ! De quelles trahisons ne sont-elles pas capables puis coupables, les femmes et les mères ? Rétrospectivement je crois que j’ai eu raison, lorsque j’avais vingt ans, de lui casser son beau vase de Sèvres le jour où elle m’a acheté des gants gris à la place des gants beurre frais que je lui avais demandés et où, après avoir pleuré et encaissé sa très déplaisante réflexion, j’étais quand même allé voir cette actrice de théâtre très ouverte dans l’espoir qu’elle me dépucèle et où j’étais tombé sur des huissiers en train d’emporter les meubles de son appartement, excusez-moi si je ne suis pas très clair mais je le sais aussi bien que vous qu’un jour mon amour des longues phrases me perdra et d’ailleurs, c’est fait, je suis perdu, trahi, blessé jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle : MAMAN est retournée à «Veueueunise», comme elle dit maintenant avec ironie, en emmenant Céleste avec le costume d’Arlequin qu’elle portait quand on l’a trouvée-recueillie-adoptée.

***

ob_d04a15_par-tullio-pericoli- Derrière chez moi, savez-vous quoi qu’y gn’a ? chantait le campanile sur un air de tarentelle. Il y a la place Saint-Marc, le corso, le carnaval, la farandole et… Arlequin qui, toujours aussi con voire peut-être encore plus que l’année précédente, emmène la petite Céleste dans la ronde folle tandis que MAMAN, contente de son coup, s’éclipse comme la Lune, hilare, soulagée et ayant même peut-être la conscience tranquille en pensant que la famille de Céleste sera peut-être revenue ici elle aussi dans l’espoir de retrouver sa progéniture ou dans l’idée d’un pèlerinage annuel pour faire son deuil mais peut-on effacer tous ces temps de bonheurs perdus ? L’écriture permet-elle de les retrouver vraiment ? MAMAN s’en fout, MAMAN revient retrouver son FIFILS à elle toute seule mais quelque chose est cassé chez FIFILS qui n’aime plus sa vilaine MAMAN.

***

Ce 20 mars 1913 à quinze heures, dès que Marcel P. se réveille et sort de ce cauchemar-là, une fois ingurgités son café noyé de lait chaud et son croissant, il décroche le téléphone et, comme il l’avait noté sur un des cartons à fumigation ce matin en se couchant, il appelle Odilon A., son chauffeur attitré à la compagnie de taxis Gessette-Koulé, pour le cuisiner. Le jeune homme lui a annoncé récemment son indisponibilité à venir pour cause de mariage : il s’en retourne dans la province pour épouser une jeune fille qu’il a connue en Lozère. Marcel a besoin de détails car il souhaite lui envoyer, le jour des noces, un télégramme de félicitations.

- Allô, écoute ! Pardon, écoutez ! Odilon, c’est Monsieur P. Est-ce que vous pouvez me dire où aura lieu la cérémonie de votre mariage le 27 mars prochain ?

- Bien sûr Monsieur Marcel ! Pas de problème ! C’est à Auxillac !

- Aurillac ?

- Non, Auxillac avec un x. C’est en Lozère. Aurillac c’est dans le Cantal.

- Et, dites-moi, Odilon… Serait-ce indiscret de vous demander le prénom de l’heureuse élue.

- Je n’ai pas de secrets pour vous, Monsieur P. Elle s’appelle Céleste. Céleste Gineste.

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Marcel se souvient, d’un coup, de la phrase qui le faisait tant rire il y a douze ans : « Mon papa s’appelle Ginette ».

- Monsieur P. ? Vous êtes encore là ?

Odilon entend le déclic de l’appareil qu’on raccroche et il a l’impression bizarre que… le téléphone pleure !

Mais c’est peut-être de bonheur ?
 

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14 août 2021

Les Étranges rêves de Marcel P. Chapitre 9, Dernière ligne droite ? (Joe Krapov)

2021-08-05 - 285 56Dernier tango à Paris avant la dernière valse que tu dois me garder : c’est qui cette fille dans la baignoire ? Pourquoi me traite-t-elle d’éteignoir ?

Dernier vol 714 pour Sydney : c’est là-bas qu’on chopera le variant delta et qu’on décédera.

Dernier rassemblement hideux de camping-caristes gras à la Pointe du Raz : demain on part en Normandie ! Ça nous en Odilon sur les congés payés : rien ne vaut le bonheur d’écrire au lit chez soi !

Dernier «Quand lama fâché lui toujours faire ça». Le capitaine vient de se venger en crachant de la flotte à la tête de l’animal.

Dernière station-service avant le sommet du mont Pilate : si t’es en panne des sens, lave-t-en les mains !

Dernières paroles du Christ avant de nous laisser dans le merdier des jours : « Tentation ».

Dernière lanterne rouge avant le bordel général.

Dernier coup de boule de Zinédine Zidane avant qu’il ne devienne entraîneur à cravate.

Letzte Bratwurst vor Amerika (dernière "tranche de merde entre deux éponges" comme disait Patrick Font) : demain je deviens végétarien ! Devant la beauté de cet endroit et l’incongruité d’y trouver un "food truck" recensé dans Trip Advisor et qui doit, en ce lieu idyllique du cap Saint-Vincent au sud du Portugal, à l’endroit le plus occidental de l’Europe, devant un océan superbe, diffuser autant d’odeurs de graillon qu’il n’impose au regard de spectacle kitschissime avec ses deux humaines saucisses qui se font bronzer en souriant sur un bateau, devant cette échappée de Foire du Trône, d’Oktoberfest, de Luna-Park, de Fête à Neuneu ou de ducasse d’Hénin-Liétard, on n’a plus qu’une envie, c’est de croquer dans une feuille de salade sans assaisonnement ou d’aller déjeuner au Ritz mais ça sera difficile car de là d’où je viens, de 1922, je n’ai pas amené l’Ausweis qu’on réclame ces jours-ci et qui a pour nom "pass sanitaire".

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Dernier réveil, dernières questions de Marcel P. avant de se rendormir : Qui parle ? Qui me parle ? De quoi ça parle ? C’est faux de dire «Je pense» ; on devrait dire «On me pense». Je est un autre, un autre pyromane qui lance les derniers feux du langage classique incendié comme une forêt grecque avant de disparaître dans les sables d’Afrique. Le marchand sur son nuage a encore oublié de m’en jeter plein les yeux !

Dernier « C’est trop injuste ! » : Ronfle, Caliméro !


N.B. Le chapitre 8 sera publié lundi ici, dans le cadre du jeu 67 de Filigrane : https://filigrane1234.blogspot.com/

7 août 2021

Les Étranges rêves de Marcel P. Chapitre 7, La Maison mère (Joe Krapov)

DDS 675 photo du défi 129597469Longtemps je me suis mis au pageot de bonne heure.
Enfin… On m’y baquait, dans mon petit nid-cage.
Mais parents supportaient assez mal mon pépiage :
Les oiseaux sont des cons et n’aiment pas qu’on pleure
Parce qu’on n’a pas eu un bécot de Maman.

- Normal, Calimero ! Ce soir on fait salon.
Monsieur Cygne s’en vient nous fair’ son boniment.
C’est pas toi la vedette alors dors gentiment !".

Nous habitions Ostende. Un bosquet de feuillus
Que l’on avait taillé en forme d’être humain
Etait notre logis. Souvent, sur le chemin,
Des visiteurs clamaient : « L’art topiaire est couillu !

DDS 675 Venus-dUrbino-Le-TitienA l’heur’ de Dièzmitou resservir Olympia
Ou la Vénus d’Urbin à grand coups de cisaille,
C’est gonflé ! ». On n’pigeait rien à ce charabia
Vu qu’ils jactaient leur langue et qu’nous, oiseaux, on piaille.

Bon. J’vais pas tartiner deux mill’ pag’s de c’goût-là,
Vous parler d’Tante Edith qui chantait dans les rues
Ou de ma sœur Suzie avec son tralala.
J’vais pas faire sept romans pour ne causer que d’moi.

DDS 675 Venise-expose-Venus-Titien-Olympia-Manet_0J’ai pas fini roit’let ou chanteur d’opéra,
Rossignol milanais, aigle aux neiges vaincu.
Je ne suis pas dev’nu perroquet ou ara
Dans un bouge à pirat’s de l’île de la Tortue.

Je ne vais pas pleurer sur tout ce temps perdu,
Sur ma chambre quittée, sur les nuées célestes.
On a ses jours de gloire, on ramasse des vestes.
Vis heureux et tais-toi sinon t’es qu’un glandu !

***

Lorsque l’oiseau se tut, Marcel se réveilla.

Il voulut sortir de son lit, enfiler sa robe de chambre et aller prendre son petit-déjeuner avec Céleste dans la cuisine mais rien ne se passa comme les autres jours.

Tout d’abord il se rendit compte qu’il était à poil. Ou plutôt à plume. La patte qu’il étendit pour se poser au sol il la sentit et vit toute fine. Et quand il sortit la deuxième, au lieu de trouver le plancher, il tomba en voletant sur le sol de la cage qui était tapissé d’un vieux numéro du «Journal des débats» et de ses déjections de la veille.

Il ouvrit le bec pour appeler Céleste mais il ne sortit de son gosier qu’un sifflement de canari, un pépiement de colibri, oui, c’est ça on dit pépiement et non pépiage, alors il continua, il persista, il mit le paquet, s’époumona, poussa le volume à fond, risquant à tout moment de se péter la glotte, ne supportant pas cette situation si tant kafkaïenne qu’il en arrivait à utiliser des adjectifs qualificatifs insensés autant qu’inconnus de lui-même.

Enfin Céleste arriva. Elle avait enfilé son ciré jaune et portait son chapeau de pêcheur breton. Elle posa sa valise et son épuisette près de la porte d’entrée et s’en vint vers lui en disant :

- Ah oui, j’allais l’oublier, l’animal !

Elle remplit la réserve d’eau de la cage, mit des graines pour une semaine et enfin elle posa un grand drap clair par-dessus l’habitacle du piaf. Puis elle reprit ses bagages et sortit de l’appartement du boulevard Haussmann pour profiter de ses premiers congés payés en allant rejoindre sa cousine Annaïck Labornez sur une plage du Finistère.

Marcel comprit du coup qu’il était encore en train de rêver, ou plutôt de cauchemarder. Alors il fit une chose qu’il savait très bien faire maintenant : il tira la couverture à lui et se rendormit tout heureux.

Heureux comme à Ostende !

DDS 675 30a14127-fea6-4dc8-af58-2e9e37df565d_d

P.S. Merci à Dame Adrienne pour ses travaux de géolocalisation de la photo !

31 juillet 2021

Les Étranges rêves de Marcel P. Chapitre 6, La Belle absente (Joe Krapov)

« Hey Joe Krapov ! Qui donc du Pithiviers, de la religieuse au café, du baba,

Du jésuite de Belgique ou du pudding breton étouffe le chrétien si merveilleusement

Qu’il reste pratiquement coi et savoure chaque bouchée, mi-goinfre mi-jubilant ? Ton kouign-amann ?

Pourquoi faut-il qu’un histrion mignardisant, un jobard incivil

Nous tienne jambe avec ses phrases-souvenirs? A qui ne devons-nous pas dire Commercy ? Au thé vert des Afghans ?

N’humidifions jamais son quart, son baklava, son gland ou son pain-coing !

Qu’on l’arrête, le gratte-papelard ! Qu’on y fauche sa Sergent major au baveux !

Jobastre ! Spoileur de films moldo-valaques ! Gâcheur de papier !

Au cachot ! Pain rassis pour Judas ! Baquons son trauma familial gavant ! »

Après la lecture de ce texte le gars à lunettes referma son cahier orange et éclata de rire. Les dames qui l’entouraient, souriantes et concentrées, étaient à deux doigts de l’applaudir tout en se demandant si elles n’étaient pas en présence d’un vrai dingue sado-masochiste.

DDS 674 Perec cuisinier

Marcel P. se crut obligé de réagir :

- Mais enfin ? Que vous ai-je fait ? Pourquoi tant de haine dans un monde déjà si cruel ?

- C’est de l’humour, Marcel ! C’est un texte écrit selon le procédé « la belle absente » de Georges Perec !

- Connais pas ! C’est quoi, ce procédé ?

- C’est décalqué de « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume » !

- ???

- Dans cette phrase-là toutes les lettres de l’alphabet ont été employées. Ça s’appelle un pangramme. Dans le poème ci-dessus, tous les vers sont des pangrammes à ceci près que je n’avais pas obligation d’utiliser les lettres k, w, x, y et z et que…

- Vous êtes plus encore un tordu que moi-même !

- Bel alexandrin, Marcel ! A ceci près aussi, disais-je, que chaque vers est aussi un lipogramme ! Dans chacun d’eux manque une lettre de l’alphabet et une seule !

- Quel intérêt ?

- Les lettres absentes, mises bout à bout, constituent un mot qui est le sujet central du poème, qui lui-même est évoqué sans être mentionné dans le texte !

- N’en dites pas plus, répondit Marcel passablemnt énervé. A ce stade, il y a deux possibilités. Soit je vous provoque en duel, soit je me réveille de ce cauchemar !

***

Marcel P. choisit de se réveiller et d’oublier très vite ce que son interlocuteur lui avait balancé ensuite à propos de sa propre tambouille littéraire qui «puait la préciosité et le snobisme, schlinguait dans ses longueurs jusqu’aux limites de l’illisible et c’était sans parler du conformisme du bonhomme qui s’était très bien plu au service militaire, avait dédaigné de travailler à la Bibliothèque Mazarine et avait même postulé à l’Académie française !».

- Et alors ? avait rétorqué Marcel P., semblable en cela à François Fillon à qui on reprochait d’avoir obtenu gratuitement des manteaux de luxe et ramassé ensuite une veste dont il n’était pas sûr qu’elle lui appartînt tout à fait.

Marcel fut d’ailleurs tout étonné, plus tard dans la matinée, de ne trouver aucune trace dans le Who’s who, le Bottin mondain et le bottin téléphonique parisien de ces trois personnes : François Fillon, Georges Perec et Joe Krapov.

C’était dû à quoi, ce trouble obsessionnel qui poussait des gens inconnus de lui à venir se mettre à table dans ses cauchemars rien que pour l'embêter ?

Est-ce qu’ils remettraient le couvert la nuit prochaine ?

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P.S. Pour qui n’aurait pas trouvé, la belle absente du poème est bien sûr ici « madeleine ».

24 juillet 2021

Les Étranges rêves de Marcel P. Chapitre 5, Les Bêtises de Combray (Joe Krapov)


Longtemps je me suis bouché les yeux et abstenu du bonheur de rencontrer des gens différents. Était-ce par timidité, par peur de l’inconnu, par conservatisme ou par prudence qu’à petits pas je me retenais de me livrer aux mains des belles étrangères qui vont aux corridas et que j’aimais déjà pourtant quand j’étais un petit enfant ?

Et puis mes parents, des industriels du Nord richissimes et facétieux, m’ont fait cadeau, deux ans jour pour jour après ma naissance, d’une petite sœur qui était le contraire de moi-même. Céleste était et est toujours une risque-tout, une emmerdeuse, une rentre-dedans, une jamais froid aux yeux, une metteuse de pieds dans le plat et en sus de cela une obstinée atypique doublée d’une anticonformiste gagne-petit.

Aujourd’hui que moi, Philippe Marlowe, directeur des filatures éponymes, j’ai atteint la cinquantaine et que nous commençons à être, comme on dit, «bien tapés», ni mes parents ni moi ne nous enorgueillissons de compter parmi les membres de notre famille une employée de la gendarmerie nationale. Même si, à force de coups que j’imagine gonflés autant que foireux, Céleste a atteint le grade de capitaine remplaçant à la brigade de Combray – comment cela peut-il exister, des localités avec un nom pareil ? – j’éprouve toujours un énervement certain à admettre que ma sœur vit dans le même monde que nous… sans faire partie du nôtre !

Il n’y a que mon épouse, Jane, et nos enfants, Bill et Carole, qui l’adorent, même si elle les a surnommés «Pas de plaisir», «Biloute» et «Roubignole». Pour vous donner une idée du personnage, à chaque fois qu’elle nous rend visite au château, comme en ce moment pour fêter Noël en famille, elle refuse d’occuper une des nombreuses chambres libres et préfère dormir dans le véhicule militaire canadien que notre père, collectionneur de vestiges de la récente grande guerre, a conservée dans le fond du jardin avec d’autres reliques de diverses armées en vue d’en faire un musée édifiant pour les générations futures.

- Ch’est m’canadienne à mi ! déclare Céleste avec fierté. J’adore faire du campinche ! Et pis qu’est-ce que j’dors ben dins ch’te carrette-là !
Un que la situation n’enchante pas, c’est Jules Maigrelet, notre jardinier, qui craint toujours pour les variétés de fleurs qu’il crée dans nos serres voisines de l’entrepôt militaire du paternel. Il n’aime pas du tout que Céleste fasse près de ses roses des exercices de jonglage avec des grenades anglaises devant les enfants. Eux s’esclaffent d’entendre l’accent Ch’ti à couper «au coutiau» de notre gendarmette.



***

 

Ce matin, Céleste n’a pas pu faire de grasse matinée dans son gourbi antique. Vu les circonstances, j’ai dû aller la réveiller en sursaut.

- Céleste ! Céleste ! Réveille-toi ! Il y a un mort dans la maison !

- Laiche me dormir, Phi-Flip ! Cha attindra !

- Lève-toi, te dis-je, c’est grave !

- Quo qu’chest, qu’est grafe ? Papy a cassé s’pipe ?

- Non, il se porte à merveille. C’est lui qui a découvert le cadavre !

- Un cadafe ? Eul cadafe eud qui ?

- On ne sait pas. D’après la forme des fesses, toutes petites et maculées d’encre, c’est un inconnu.

- Laiche me l’temps d’m’habiller. J’arrife !

Elle a enfilé une robe de chambre bariolée par-dessus son pyjama en pilou, s’est coiffée d’une chapka russe trouvée dans le musée de notre père et a à peine pris le temps de lacer correctement ses godillots. Quand elle est sortie de l’ambulance calcinée, elle semblait encore plus givrée que le paysage des alentours.

jk


***

 
Dans la bibliothèque on a retrouvé Grand-père en compagnie de La Rosière – c’est comme ça qu’on appelle notre bonne depuis qu’elle a été élue rosière de son village en 1920, il y a deux ans et qu’elle n’a toujours pas trouvé de prétendant depuis -. Se trouvaient là aussi Jane, mon épouse, et Joséphin Lampion, notre majordome.

Et surtout, devant la cheminée, allongé sur le ventre à même le sol, attirant l’attention de tous les regards, il y avait un homme tout nu, vêtu d’une peau de bête mais ce n’était pas un enfant de Caïn enfui de devant Jéhovah. D’ailleurs, il n’y avait pas eu de témoins à ce meurtre si c’en était un.

Vêtu n’était pas non plus le bon mot. Le corps dénudé était plutôt juste recouvert d’une peau d’âne. Céleste, qui avait enfilé des gants de vaisselle en caoutchouc rose – mon Dieu, quelle allure grotesque tout cela lui faisait ! - la souleva en la tirant par les oreilles. Elle trouva dessous une chevelure brune, un dos chétif et deux petites fesses d’homme sur lesquelles on avait écrit « Rends nous l’art, Jean ! ».

Elle saisit le poignet de l’inconnu, constata que le pouls ne battait plus et déclara.

- C’h’est fini, pour ch’ti lal, les plaisirs et les jours ! Cherchez pas à y faire du bouc’ à bouc’ cha s’rot du temps perdu !

Et pour cause. Tout le monde avait bien vu, du reste, entre les cheveux brillantinés et le dos du bonhomme que la base du crâne avait été défoncée avec un objet en métal doré qui avait été laissé sur place.

Céleste demanda à La Rosière de lui amener un sac pour ranger l’arme du crime mais la jolie jeune fille était à moitié dans les vapes et c’est Lampion qui alla dans les communs exécuter l’ordre. Pendant ce temps-là elle souleva l’objet en tâchant de ne pas tacher davantage la moquette pourtant déjà bien foutue.

- C’h’est quoi ch’machin-là ? Et quo qu’ch’est qu’y a d’écrit, là ? Césure ? Césaire ? César !

Elle mit l’objet doré dans le sac de Lampion et puis elle saisit l’homme aux épaules et retourna le corps.

Un grand cri de stupeur s’éleva ainsi que le silence strident de la bonniche qui s’évanouilla en visionnant la coquillette et les noix de cajou du gugusse (Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Ressaisissons-nous, Philippe Marlowe !).

- Eh ben quoi ? Quo t’ché qu’y a ? Vous l’arconnaichez ?

- Pas du tout !

- Jamais vu !

- Inconnu au bataillon !

- Té m’étonnes, bande eud babaches ! nous dit Céleste en se relevant. J’y comprinds rin à vos cacoules mais ch’bonhomme-là, mi, jé l’connos !

- Tu le connais, Céleste ?

- Je n’sais pas c’qu’y fout là mais ch’est un gars d’Combray ! Quelqu’un d’la haute, comme ti z’autes tertousses. Ch’est ch’ tchiot Marcel !

- Marcel ?

- Marcel Proutch, un rentier qui vit là-bas tout seul avec eus gouvernante !

- Mais enfin diantre, Céleste ! Pourquoi cet individu a-t-il choisi de venir se faire assassiner chez nous qui ne le connaissons pas ? Et qui a fait le coup ? Faut-il appeler la police ou Scotland Yard ? Et c’est quoi cette histoire de peau d’âne ? Et y aura-t-il de la neige à Noël ? Du Christmas pudding ? Céleste ! Céleste ! Capitaine Marlowe ! Pourquoi votre Range Rover est-elle toute noire sur la photo ? Dites-nous tout, Capitaine !

 
***

 
Marcel P. avait la tête très lourde quand il se réveilla mais lorsqu’il se passa la main derrière la nuque il ne ressentit ni plaie ni bosse et ne ramena pas devant ses yeux entr’ouverts des doigts poisseux de sang. Derrière les interstices des volets, un grand soleil semblait prêt à illuminer une autre de ces nombreuses journées d’ennui où l’on n’a plus à cœur que d’écrire de longues phrases insipides en vue d’ennuyer un lecteur inconnu. Quoique…

Mais comme il se méfiait de ses cauchemars à tiroirs de ces derniers jours, il sortit de son lit, enfila sa robe de chambre unie par-dessus son pyjama bariolé, descendit à la cuisine et fut ravi d’y trouver Céleste A., sans valise et sans épuisette, qui préparait tranquillement leur petit-déjeuner. On était bien en 1922 et c’était une journée bien réelle qui commençait.

- Céleste ! Céleste ! Tu peux ranger tes madeleines ! J’ai pris une grande décision après mon rêve de cette nuit ! Je laisse tomber la littérature sérieuse ! Je vais écrire des romans policiers ! J’ai déjà trouvé le titre du premier : « Un cadavre dans la bibliothèque ! »

- Excellente initiative, mon petit Marcel ! J’en connais un que cela va rendre heureux !

- Qui ça ?

- Un grand lecteur belge prénommé Jean-Claude qui ne sera pas obligé de se farcir la lecture de la «Recherche du temps perdu» et aura ainsi davantage de temps pour recadrer au ciseau celles de ses photos où la mer n’est pas horizontale !

Marcel se pinça la chair du dessus du bras pour s’assurer qu’il n’était pas encore une fois en train de rêver mais non, tout était bien réel et c’était simplement Céleste qui était repartie dans ses « divagations médiumniques pour esprit de sel dans la queue du chat ».

- L’idéal pour écrire des polars qui marchent, mon petit Marcel, ajouta-t-elle en servant le thé, c’est de prendre un bon pseudo féminin. Quelque chose dans le genre Alicia Pristi ! Et de toujours faire en sorte que le coupable soit le jardinier !

Bon sang, mais c’est bien sûr, songea Marcel ! Elle a raison ! Une sombre histoire de trafic de cattleyas !

 

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17 juillet 2021

Les Etranges rêves de Marcel P. 4, Virage à gauche (Joe Krapov)

Aldeburgh-141

 Longtemps il s’était tâté. Du bonheur d’être immergé, de nager sur le dos, de faire la planche dans l’eau, les doigts de pieds en éventail, il avait fini par se priver car, entré prudemment dans l’eau froide, il n’avait pu aller plus loin qu’à mi-cuisses tant elle lui avait semblé glacée.

Céleste A. n’avait pas de ces pudeurs ni de ces hésitations. De la plage où il était revenu, à moitié transi, à moitié piteux, il la regardait qui nageait et plongeait comme la plus heureuse des sirènes d’Esther Williams ou le plus valeureux des bébés requins de France Gall (qui étaient donc ces deux dames dont il entendait le nom pour la première fois de sa vie ?) .

- Elle est très bonne, mon bon Marcel ! Tu as eu tort de renoncer. Elle est froide au début mais très agréable quand on est dedans. Le tout c’est de s’y mettre.

- Ou de six mètres cinquante ! plaisanta-t-il avant de ressentir le tremblement de terre.

Ce n’était pas un séisme à proprement parler, plutôt une inclinaison régulière vers la gauche du paysage. Il avait bien repéré à un certain moment que la ligne d’horizon était plus basse à gauche qu’à droite. Mais cela s’accentuait, de plus en plus fort et de plus en plus vite. L’inclinaison était maintenant à quinze degrés et un courant contre lequel elle tentait de résister emportait Céleste au-delà des bouées blanches.

A trente degrés tout le monde sur la plage se mit à regagner en courant et en criant « Au secours ! » les hôtels, villas et camping de la ville côtière.

A 45°, il se mit à se déplacer vers la gauche en freinant avec ses talons qu’il enfonçait dans le sable car il avait perdu Céleste de vue.

A 60° la mer commença à se vider et les bateaux à se fracasser.

A 90° tout tomba, y compris lui de son lit, trempé jusqu’aux os.

***

Etait-ce un cauchemar tardif ? Un étrange rêve de fin de nuit ? Quand il ouvrit les yeux le soleil éclatait de brillance entre les interstices des volets. Il se leva et constata qu’il y avait une tache humide au milieu des draps.

Il descendit prendre son petit-déjeuner mais Céleste n’était pas dans la cuisine. Il la trouva dans le séjour ; elle était en train de mettre son linge dans une valise et elle avait à côté d’elle une grande épuisette et un ciré jaune.

- Céleste, je suis désolé, mais… J’ai encore fait pipi au lit !

- Je m’en fous, mon petit Marcel ! Tu changeras les draps tout seul ! Aujourd’hui je pars en vacances ! Direction la Bretagne !

- En vacances ?

- Les congés payés, mon petit monsieur ! Un cadeau du Front populaire !

Il ne comprenait rien du tout à ce qu’elle racontait et puis il se souvint qu’elle lui avait fait le même coup dans le cauchemar de la nuit précédente où il s’était trouvé projeté loin devant lui, en 1954.

- Mais alors, se dit-il, je suis encore en train de rêver ?

Il ouvrit les yeux. La nuit était noire de chez Michel Noir, le lit était sec de chez Miossec.

Jamais il ne passa une aussi bonne nuit que cette nuit-là !

10 juillet 2021

Les Étranges rêves de Marcel P. 2, L'Étrangère (Joe Krapov)

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- Le chien de ces gens-là est un berger américain. Il s’appelle Olaf parce que c’était l’année des O pour les noms de chiens de race quand ils l’ont reçu. Leur chat s’appelle Halloween à cause des enfants qui l’ont baptisé ainsi.

On a été très bien reçus chez eux. Lui avait préparé une terrine de poisson en entrée. Il nous a servi un apéritif truffé ramené du Périgord et elle a obtenu de son poissonnier quatre Saint-Pierre qu’il garde en réserve pour ses bons clients.

210708 285 005En dessert il y avait des mousses diverses et un mille-feuilles. Après le café on est allés promener Olaf dans le jardin du Pont toqué. C’était à Saint-Malo, pas loin de l’I.U.T. On a vu la mer au loin puis le phare de Rochebonne qui ressemble un peu à une église.

Tu te souviens de tout ça ?

- Non ma mémoire est morte, je n’ai plus de feu. Comment s’appelaient-ils déjà ?

- Adrienne et François de Franquetot. Lui jouait aux échecs au club de Dinard et il connaissait Jean P. qui donnait des cours au club de Pacé et que tu as fréquenté une année quand tu as joué le lundi soir au club de Vezet-le-Coquin. Tu ne te souviens vraiment pas des tatouages de François ? Il paraît qu’il est renommé pour ça dans le quartier et qu’il se fait une fierté de les exhiber en se baladant torse nu même dans la rue et les commerces. C’est aussi un spécialiste du barbecue à double injection et enfumage direct, roi de la descente de merguez en rapides, arrosé d’un Entre deux-mers assez fameux. Il nous en a servi aussi avec le poisson.

210708 285 003Elle, c’est mon amie Adrienne. Eté comme hiver elle porte une cape rouge par-dessus ses vêtements et ne se met aux pieds que des sandales ouvertes.

Jusqu’au 30 avril, date à partir de laquelle la plage est interdite aux chiens, Adrienne descend faire courir Olaf sur la plage du Minihic. Assez souvent elle s’arrête chez ses amies du quartier et leur propose d’emmener leur chien avec Olaf. Il n’est pas rare de la voir ainsi balader trois ou quatre chiens en laisse. Cela constitue un attelage aussi composite que disparate. Le plus drôle c’est quand elle emmène le chihuahua de Marcelle et les deux Danois de Dorothée.

A propos du chihuahua, ils nous ont raconté l’histoire de leur ancienne voisine. Le tout petit jardin de cette dame était contigu au leur. Elle n’y avait planté que deux groseilliers et on ne l’y voyait presque jamais, comme si elle craignait de brûler sa peau blanche au soleil de Saint-Malo pourtant peu généreux en ultraviolets ultraviolents. C’était visiblement une travailleuse de l’ombre, «genre scélérate de bibliothèque», comme disait François qui adorait calembourrer le mou aux cordes à noeuds. Une travailleuse intellectuelle à domicile. Elle tapait à la machine à écrire des traductions faites par elle de manuels de machines à cappuccino, des traités de botanique ou des recueils de poésie flamande du XIXe siècle. Tous les soirs elle mettait une grosse enveloppe dans la boîte aux lettres jaune. Son travail de la journée partait chez son employeur à Paris.

Elle n’était pas bruyante, non, mais le «tap tap tap» des doigts sur la machine, le «dzing dzing» du retour chariot de sa Remington, les jurons retenus dans toutes sortes de langues étrangères qu’elle laissait échapper malgré elle lorsque deux touches empotées venaient frapper en même temps le ruban rouge et noir de la machine et empâter le tapuscrit, cela constituait un bruissement de fond que les de Franquetot n’appréciaient guère. Trop de modestie tue la modestie. Trop de différence tue la différence.

Le quartier était si bruyant avant la venue de l’étrangère ! On ne craignait pas de klaxonner, de claquer les portes des voitures, d'applaudir les courses cyclistes, de tondre la pelouse avec le motoculteur à toute heure du jour, d’écouter Ray Ventura à tue-tête sur Radio Hilversum ou Radio Luxembourg en faisant de la bronzette en maillot deux-pièces sur la pelouse.

Et puis voilà-t-il pas qu’un jour L’Emilienne – la traductrice se prénommait ainsi et se nommait Demongeot – s’était fait livrer un piano droit.

Croyez-vous que c’était pour massacrer Chopin ou répéter en boucle la « Lettre à Elise qui pour de vrai s’appelait Thérèse » de Beethoven, voire pour faire des gammes de débutante ou accompagner du Roland de Lassus chanté avec une voix de Castafiore ? Pas du tout !

Il s’était avéré qu’elle était une mélomane monomaniaque, musicienne émérite, et qu’elle passait ses après-midi à jouer, à la perfection, toutes sortes d’œuvres de Mozart. Uniquement du Mozart ! Or s’il y avait bien quelqu’un qu’Adrienne et François détestaient, c’était ce Wolfgang Amadeus avec ses « too many notes ».

Que dire, que faire ? Le plus énervant de tout était sa discrétion de souris grise. Elle jouait du piano et tapait à la machine fenêtres fermées même au cœur de cet été-là qui s’avérait caniculaire.

Mais rien qu’à la savoir là, on les entendait quand même ses «tip tip type» de «C’était par une nuit sombre et orageuse» et ses «trop de notes, Wolfie !» «Silence, Archiduc, vous n’êtes qu’un fat même pas dièse !».

Finalement, c’est un chihuahua qui leur avait sauvé la vie. Au détour d’une conversation anodine sur le trottoir, Adrienne avait appris qu’Emilienne avait eu jadis des chats et aussi un chien.

210707 Nikon 052Elle était allée à la SPA adopter un chihuahua et l’avait offert à la voisine.

«Il est né l’année des M alors il s’appelle Marcel. On m’a dit que c’est un très bon ratier. Vous qui fréquentez les bibliothèques, emmenez-le, il se régalera, là-bas ! Il a bon appétit et n’est pas peureux du tout. Je vous offre même la laisse étirable-rétractable, le dernier modèle, ainsi que le lance-baballes de compétition. Sortez-le souvent mais n’oubliez pas qu’à partir du 1er mai vous ne pouvez plus descendre sur la plage ! »..

Emilienne avait remercié et la vie des de Franquetot s’était améliorée. Le matin et l’après-midi la traductrice sortait Marcel et elle ne tapait plus à la machine que le soir quand eux recevaient bruyamment autour d’un barbecue leurs grands amis, les Lordurhin, les Dejeux, Maryline de La Faisanderie, Jean Chwalrus, Marie-Joye de Jésus-Demeure et les Duras-Tiniak, Eugène et Marguerite, avec qui ils avaient fait du trekking au Népal.

Et puis il y avait eu l’accident, le terrible accident qui avait provoqué le déménagement en catastrophe de l’Emilienne.

Un matin dans le parc du Pont toqué la laisse du chihuahua lui avait glissé des mains. Marcel, une fois déchaîné, s’était déchaîné et avait retrouvé sa sauvagerie naturelle : il avait bouffé les deux Danois de Dorothée qui les promenait là et ce sous les yeux horrifiés de leur maîtresse tétanisée.

Emilienne avait observé la scène de loin et elle s’était carapatée sans demander son reste. Elle avait filé en centre-ville contacter une agence immobilière et aussi les transporteurs appelés «Les Déménageurs bretons».

Le lendemain même le piano droit, la machine à écrire et l’attirail à cappucino étaient emballés dans des cartons, chargés dans le camion et emmenés en Belgique où elle avait trouvé une grande maison à l’écart de toute civilisation.

C’est en évoquant de telles situations qu’on s’en aperçoit : ça n’a pas que des inconvénients, le télétravail !
 

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3 juillet 2021

Vamos a la plagiat ! (Joe Krapov)

Longtemps il s’était couché de bonne heure. Le corps apaisé d’une journée où il n’avait encore rien foutu de sa corée, comme on dit dans le Nord où ce mot n’a absolument rien à voir avec Kim Il Sung, Kim Jong Un, Kim Basinger ou Kim Novak, pas plus avec la Corée qu’avec la chicorée des maisons Leroux, Lestarquit ou Williot et où peut-être on pouvait trouver, à la rigueur, à ce mot "corée" - synonyme de corps ? - un rapport lointain avec la chorégraphie bien qu’on ne pratiquât pas plus la danse classique dans les corons que le boogie-woogie avant la prière du soir, il cherchait le sommeil en se plongeant dans quelque livre qu’on appelle de chevet parce qu’il est difficile, justement, au lit, de les achever, soit que l’on s’endormait dessus d’ennui, soit que, passionnant à outrance, ils était lu avec cette voracité telle qu’elle donna naissance à l’expression « dévorer un livre » et lors, la sagesse et la folie étant ce qu’elles étaient, on allait au bout de ses possibilités et, même si on avait tenu jusqu’à une heure du matin, les forces physiques n’étaient plus là, les paupières tombaient, les yeux se fermaient, on ne comprenait plus ce qu'on lisait, on éteignait la lampe, vaincu par sa fatigue et l’épilogue tant attendu était remis au lendemain. 

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Lui n’allait pas jusque-là et ne l’atteignait pas facilement pour autant, le pays des songes : un chapitre ou deux lui suffisaient pour arriver à ce moment de l’extinction mais c’était alors que surgissait le cauchemar. Une fois la lumière éteinte, il se tournait, se retournait, cherchait son trou, sur le côté gauche, sur le droit, sur le ventre, sur le dos, la tête tournée vers la droite, la tête à gauche et qu’eût-ce été s’il avait porté barbe longue, la poser sur ou sous le drap, situations horripilantes à souhait. Il aurait pu en tartiner, des pages, sur sa recherche du temps perdu ainsi à rechercher le calme, la position fœtale, la zénitude, la sensation d’être «ben aise», la chaleur des bras de Morphée, l’entrée dans le monde des rêves, le possible assommoir du sommeil régénérateur.


Et puis, à un moment donné, les fantômes arrivaient.

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C’étaient de parfaits inconnus, aucun n’avait le visage d’une de ses connaissances dans la vie réelle. Ils n’étaient pas les mêmes chaque nuit mais leur élégance était parfaite et le décor était toujours identique. C’était un pont de bois couvert qui joignait les deux rives d’une large rivière. Le pont était coudé en son centre et de l’endroit où il se trouvait, il apercevait une tour pointue de forme hexagonale dont aurait pu croire les fondations enfoncées dans l’eau-même. Plus loin une église baroque arborait deux clochers à bulbes qui lui rappelaient ce pays disparu dans les limbes, la Tchécoslovaquie dont il se rappelait les lettres disposées au cul des véhicules : CZ ainsi que le nom de Pilsen, une ville dans laquelle on fabriquait de la bière. Au-delà de ce décor une chaîne de montagnes aux sommets enneigés confirmait cette impression que tout fout le camp dans les Balkans et qu’on est con sous un balcon.

DDS 670 Albertine-1Les fantômes venaient se rassembler autour du banc sur lequel il était assis mais ils ne lui adressaient pas la parole. Ils parlaient entre eux, sans élever le ton, avec dignité mais sans chercher à éviter qu’on ne les entendît pérorer ou écoutât médire. A peine, de temps en temps, l’un d’eux jetait-il un œil dédaigneux sur ce scribe étranger qui prenait soigneusement note dans un cahier de leurs conversations. Personne ne s’en offusquait. Dans leur monde, on se fichait pas mal de ce que pouvait être la littérature. Il n’y en avait peut-être pas. La transformation du réel en fiction pour mieux saisir la réalité du monde, les fantômes s’en fichent, ils savent que rien n’a de réalité et que la vie elle-même est une fiction. Leurs noms n’étaient-ils pas des pseudonymes à consonance modianesque ? Tantôt venaient du pont couvert Odette Dejeux, Madame Lordurhin, le cheik d’Arabie Swan Lawrence, le baron Jean Chwalrus, la duchesse Albertine Troussecotte, tantôt palabraient près de lui le comte d’Argentcourt, le docteur Pascal, Vanina von Faffenheim-Munsterburg-Weinigen, les cousines Marianne et Sarah De Kat. La plus intrigante de toutes ces dames était la marquise Adrienne de Franquetot, laquelle portait immanquablement une longue cape rouge et tenait en laisse deux danois et un chihuaha.

Dans la vie comme dans le rêve, nous promenons toujours des attelages bizarres.

De toute façon, au réveil le lendemain, il ne retrouvait aucun cahier, aucune note et les conversations s’étaient enfuies dans la nuit de l’oubli.

Car après les fantômes, il y avait l’envahissement par Richard W. qui venait s’asseoir sur le banc, lui prenait le bras et lui racontait avec un enthousiasme forcené comment il avait trouvé le bonheur ici à Tribschen de 1866 à 1872 et comment auparavant il avait été sauvé par des biscottes. Si, si, des biscottes salvatrices, ça existe !

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- Figure-toi, mon petit Marcel, lui disait-il, que j’étais en panne d’inspiration sur l’acte III de «Tristan et Isolde». Mais en panne à un point qu’un aviateur dans le désert aurait pu me dessiner des moutons sans que ça ne me donne plus que ça d’idées pour avancer ou d’envie de becqueter des côtelettes. Alors pour oublier je canotais sur le lac des quatre Canetons, je m’épuisais en ascensions du mont Pilate et du Rigi, j’allais au musée des glaciers et même au Festival de la Rose d’or pour écouter des chansonnettes et ça n’y changeait rien. En panne, en panne, en panne ! Plus aucune musique à venir ! Tu ne sauras jamais grâce à quoi ça c’est décoincé !

Dans son endormissement Marcel ne répondait pas mais Richard n’en avait cure. Il était de ces locuteurs qui n’ont besoin d’une paire d’oreilles extérieures que comme faire-valoir, l’exemple même de l’Emetteur contemporain de pouces baissés plutôt que levés, qui twitte son avis sur tout, intervient partout et ne sait même plus que les oiseaux, lorsqu’ils ne sont pas bleus, chantent bien plus joli que le son du streaming. Ce genre de gens qui ignorent qu’au milieu des villes coule une rivière et que l’on peut murmurer à l’oreille des chevaux sur la route de Madison ou qu’on peut vivre plus proprement avec un portable éteint en permanence.

 

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- Les Zwieback, Marcel ! s’esclaffait Wagner car c’était bien lui, les plus perspicaces de nos lecteurs et lectrices l’auront identifié sans peine. Je logeais alors à l’hôtel Schweizerhof et un jour où je contemplais le ciel gris avec un parfait désespoir je reçus par la poste, envoyée par Mathilde Wesendonck, de Zurich une boîte de biscottes (Zwieback). Enfant ! Enfant ! Enfin ! Les zwieback ont produit leur effet ; grâce à eux, j’ai franchi certaine mauvaise passe où je restais empêtré depuis huit jours, n’ayant pu avancer dans mon travail musical notamment pour trouver la transition du vers "ne pas mourir de désir" au voyage en mer de Tristan blessé. Quand les zwieback arrivèrent, je pus me rendre compte de ce qui m’avait manqué : ceux d’ici avaient un goût beaucoup trop amer. Impossible qu’ils me donnassent l’inspiration ! Mais les bons vieux zwieback, trempés dans du lait, remirent tout dans la bonne voie. Et ainsi je laissai de côté le développement du début, et continuai la composition à l’endroit où il est question de la Guérisseuse lointaine. Maintenant je suis tout heureux : la transition est réussie au-delà de toute expression par l’union absolument splendide des deux thèmes. Dieu, ce que les bons zwieback peuvent produire ! Zwieback ! Zwieback ! Vous êtes le remède qu’il faut aux compositeurs en détresse – mais il faut tomber sur les bons !?

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***

Au réveil, Marcel ne se souvenait plus que de cette histoire de biscuit trempé. Fallait-il qu’il en parle à son ami Jacques qu’il accompagnait à l’accordéon tous les après-midi dans son tour de chant aux jardins du casino afin que ce récit de rêve le réconcilie avec sa maudite Mathilde à lui ou devait-il lui conseiller de ne plus rien attendre de Madeleine de Commercy ?

N’était-ce pas là une façon de tendre des verges pour se faire battre ? Son propre problème de tentative de record nocturne d’échec en identification de paysages au palais insomnisports de Bercy ne primait-il pas sur son amitié pour le Belge ?

Le Jacky ne l’avait-il pas accueilli hier, au kiosque à musique, avec ce méchant sarcasme :

- Hé ben mon vieux Marcel, à force de te coucher de bonne heure et pas dormir, t’en as une chouette tête de décavé ! Si tu voyais ta tronche de déterré éthéré et Lucerne que t’as sous les yeux ! On dirait que tu t’es fait battre par la Suisse à l’Euro ! Allez, enfile tes bretelles et chauffe-nous ça !

Et tout en appuyant sur ses touches, il éliminait : Vierzon ? Vesoul ? Pas de clocher à bulbe par là, ça ne colle pas. Varsovie, peut-être, à cause des remparts ou alors Montcuq ?

DDS

26 juin 2021

Lumière noire (Joe Krapov).

DDS 669 Et Dieu créa la femme

Et Dieu créa la femme !

Or très souvent femme varie. Elle s’aime en tutu, en Tati, en louloute, se trouve bien en louve, est ravie en Lola, avenante de Nantes qui vole à Demy la vedette.

Jamais rien de traviole, ultra-chic, elle trotte, irradie. Elle s’est au fil du temps lotie d’une variété de rôles triés sur le volet : Violeta (Traviata), Lorelei, Lolita, elle rutile sur la scène ou sur le Rhin ou fait l’étoile sur la toile.

Elle est amour d’autrui, vérité nue, reine de tarot, volute bleue, fée à main verte, ouvre la route de l’Oural et des « hourra ».

C’est la plus belle trouvaille du Travolta céleste. Si elle n’a de valeur qu’une côte d’Adam, pour deux sous de violette un arc-en-ciel paraît. Nous voilà outillés d’un kaléidoscope de vertu, d’orteils peints, de «Tortue, vite, vite !», de «Passons outre à tout !», de «Pêche un peu la truite !», de «Chasse un peu la loutre !», de «Qui luttera vivra et qui vivra verra !».

Et Dieu créa la femme !

Puis il la fit entrer dans ta vie !

DDS 669 Proust tailleur de vétillesDès lors illuminé, ébloui, envoûté par ses trilles de roitelette, ses ariettes, ses triolets d’alto, toute cette oralité qui éteint aussi bien les rivalités que les trivialités, le troll devient voleur de feu, rêveur d’ovule, tirailleur, amiral ou simple travailleur. Pour devenir l’alter ego de cette fée il prend truelle et lui construit une villa. Le voilà valet voûté, cuisineur de ravioles, tartes et ratatouilles, pêcheur de tourteaux sur le littoral, auteur de tutoriels, livreur de vitres à vélo de Vire jusqu’à Livarot, tailleur de vétilles entre Cabourg et Trouville, ravitailleur en vol, travelo virtuel et même parfois violeur de lois.

Et Dieu créa la femme pour qu’elle chauffât Marcel, comme a dit le Trouvère du plat pays !

A cet amour de la bronzette jusqu’au rôti, ajoutons-y un peu de «n» et ce sera… ultraviolent !

Mais aussi… quel jeu de lumière, quel éclat fort et volatil, quel rayon de soleil, cet instant où l’on sait que c’est, que ce sera toujours toi, toi mon toi et pas une autre !

J’ajouterai encore deux choses qui n’ont rien à voir ici :

De cette vie qui nous travaille
Rien n’est fixé dans le vitrail
Et pas même l’heure dernière

Pour qui se veut croire immortel.

Et

La Lorelei : malgré son bon coup de Rhin
N’avait pas le pied marin.

DDS 669 Lorelei

19 juin 2021

Tout le monde fait de la trottinette ! (Joe Krapov)

Tout le monde fait de la trottinette !

Les bonnes sœurs en cornette
La reine Elisabeth,
Sidonie-Gabrielle (Colette !)
Le fileur de parfaite amourette,
La petite marchande d’allumettes,
Les porteurs d’amulettes,
Et même la cousine Bette

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS

Le mangeur d’andouillette, de blanquette, de côtelettes,
de coquillettes, de galettes complètes, de crêpes Suzette,
celui qui s’envoie des gaufrettes dans la gargoulette

Le buveur d’anisette à la buvette, de canettes à la guinguette,
le danseur à casquette, celui qui boit de la clairette en chemisette,
celle qui attend, fluette, le Tango des fauvettes,

La chanteuse d’ariettes de Lamballe,
la susurreuse de bluettes sans luette,

Les brunettes, les blondinettes à bouclettes, à frisettes,

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS 668 Dubout

 

Les fous de la gâchette
Maigret avec sa chansonnette
Don Camillo et ses burettes
Le conducteur de camionnette
Le tâteur de têtons à l’aveuglette
Le poseur de girouette
Le marchand de balayettes à nettoyer la tinette
Le marchand de tourniquettes à faire la vinaigrette
Les adeptes de la fumette, les chanteurs d’opérettes, les pipelettes
Le chef d’orchestre et sa baguette

Tout le monde fait de la trottinette !

Vraiment la trottinette,
Quelle joyeuse amusette !

Le zouave à baïonnette à la braguette ouverte,
Les japonais dans leur brouette,
Carmen avec ses castagnettes,
Ramsès II dans ses bandelettes,
Tchaïkovski et son casse-noisettes,
Les tailleuses de bavettes,
Et Samuel Beckett,

Tout le monde fait de la trottinette !

On se tire même la barbichette à trottinette !
Mets ta binette sur internet à trottinette
Ma sœur cadette !

Le chasseur d’avocettes et de bergeronnettes,
Le loup, le renard et la belette,
La Tusortiras Decechou biquette,
Lola Chevillette, Paméla Bobinette
La catherinette, la gigolette,
Bécassine et Marinette,
Jean Valjean et Cosette,
Le joueur de clarinette, la joueuse d’épinette,
Papageno et ses clochettes,
Mandryka et ses Clopinettes,
Paulette la reine des paupiettes,
Vegas et Germaine en goguette
En font aussi (mais en cachette)

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS 668 Vegas

Même les durs de la comprenette, les lopettes, les mauviettes,
Corto, capitaine de corvette,
Les cousettes, les coquettes, les douillettes,
les croquignolettes, les joueuses de crapette, les divettes,
les starlettes, les poseuses de devinettes,
les fillettes, les femmelettes, les grassouillettes,
les grisettes, les guillerettes, les midinettes,
les messieurs à fixe-chaussettes,
les joueurs de fléchettes, les porteurs de gourmette,
les montreurs de marionnettes, les pique-assiette et les nymphettes,

La môme Crevette,
Gustave Courbette,

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS 668

Pour frimer sur la Croisette,
Pour aller faire des galipettes,
Ou ses emplettes,
Pour payer ses dettes,
Pour conter fleurette,
Pour pousser l’escarpolette,
Pour prendre la poudre d’escampette,
Pour respecter l’étiquette,
Pour entretenir l’exosquelette,
Pour aller faire de la grimpette dans une chambrette,
Rien ne vaut la trottinette !

En sandalettes ou en socquettes,
Tout le monde fait de la trottinette !
Tout le monde se casse la margoulette !
Tout le monde écoute les sornettes
Et patine sur la savonnette !

A part Gérard Lambert qui roule à mobylette
Et moi, poète anachorète,
Qui marche toujours sur mes gambettes
Ou bien parfois à bicyclette,
Tout le monde fait de la trottinette !

Le monde retourne à la layette !
Le monde n’est pas dans son assiette !

Le monde a fumé de l’herbette !

Le monde se barre en sucette…
A trottinette !

Ici finit mon historiette.

12 juin 2021

Prière de rose (Joe Krapov)

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La rose au soleil est devenue folle !

La voilà qui solfie par-dessus ses folioles sur le sol de son île et, telle Lorie, chante :

« Eros, en qui j’ai foi, qui imposes ta loi même aux rois, qui fais de l’homme un serf et de la fille un feu suspendu à ton fil, qui rend fol tout mortel sur la frise du temps, je n’ose pas penser que mes jours sont comptés et qu’ils sont érosifs, loin de toute érotique ! En mon for intérieur je pense que tu foires ! Sire du olé-olé et de la bagatelle, trouve-moi un loser qui jette un œil sur moi et soit pris de folie, qui m’isole, me frôle comme si je fusse fille et portasse lolos comme à l’Agnès Sorel plutôt que des épines ! Elis-moi un bon petit esclave aux fers, un poète qui m’aime et me chante en ses vers. Vite, car il fait soif d’amour sur cette terre !".


Cupidon s’en émut, en parla à Vénus. Vulcain, le bricoleur, leur fit un soliflore. On l’offrit à la fleur.

Et c’est à moi bien sûr qu’on a attribué le rôle du loser ! C’est très osé mais le dieu de l’amour, expert en récipients, coups de pot et blagues vaseuses, on peut se fier à lui dès qu’il s’agit de se payer notre fiole !
 

5 juin 2021

Non-participation (Joe Krapov).

- Pourquoi tu refuses de participer au Défi de ce samedi ? T’es fâché avec quelqu’un ? On t’a traité de paltoquai la dernière fois ?

- Pas du tout !

- Tu te mets à toi-même une ceinture de pachasteté ?

- Pas le moins du monde !

- Personne ne te lance plus d’oeillade assassine quand tu délires par trop ?

- Sont très tolérant·e·s, les gars et les filles, là-bas !

- On s’est moqué de ton slip trop grand pour toi quand tu as parlé de nébuleuse ?

- J’assume complètement d’avoir été habillé à la mode vintage !

- On t’a taxé de misogynie ?

- Certainement pas ! Je ne suis pas contre les femmes, tout contre, et je le regrette bien parfois !

- Alors pourquoi tu ne participes pas ? Pourquoi tu te rebelles aujourd’hui ?

- Ben parce que c’est ce qu’on me demande ! C’est la consigne de la semaine, « rebelle » !
 

29 mai 2021

Aux trous ! (Joe Krapov)

La mémoire est un quai envahi par la brume…
Je ne me souviens pas des beaux yeux d’une fille
Qui m’aurait vouvoyé, moi qui étais voyou.
Je l’aurais embrassée ? Tu peux dormir tranquille,
Je n’suis pas d’ce genre là car j’aim’ pas qu’on m’allume !

C’est pas moi qu’ai fait l’coup !
La mémoire est un quai envahi par les trous.

La mémoire est un quai peuplé par des orfèvres.
A beau m’interroger qui veut je ne sais rien
De ce beau tralala dont la fille de l’air joue.
Pourquoi dirais-je tout, moi qui suis un vaurien
Et préfère me taire en un monde sans fièvres ?

C’est pas moi qu’ai fait l’coup !
La mémoire est un quai envahi par les trous.

La mémoire, à la fin, trop interrogée, flanche.
Elle ne connaît plus que bribes de chansons,
Perd toute retenue à la sortie d’écrou.
Pourquoi nier, inspecteur, les côtés polissons
Avec lesquels ce jour j’aurai brûlé les planches ?

C’est pas moi qu’ai fait l’coup ! C’est Dranem !
La mémoire est un quai envahi par les trous.

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Photo prise à Pont-Croix (Finistère) en 2020

22 mai 2021

Dormir comme un pacha (Joe Krapov)

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Si je suis ce pas-chat que Natacha n’attacha pas et qui fâcha Sacha, car me sachant peu chaste, il crut que j’en voulais à Ninette sa minette alors que simplement on avait convenu d’aller ensemble au bal de charité ce soir danser le pas chaloupé du pas cha-cha-cha gai que chante Marie-Thé en robe pas-chamarrée de soie pas-chatoyante et que rythme Charlie de sa pas-charleston, si tout ce pas-charivari vous avarie l’ouïe ou vous ravit l’oreille, si chez le pas-chapelier fou vous épas-chafaudâtes des hypothèses savantes sur le pas-loir entré dans la théière de Schrödinger, permettrez-vous quand même que je vous souhaite, Alice, un joyeux non-anniversaire ? demanda le sourire du pas-chat de Chester.

Alice pas-charitable ne lui répondit pas. Elle s’était endormie légèrement pas-chafouine dans une cagette en bois, rêvant qu’elle était chat et s’appelait Chouchen.

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8 mai 2021

Souvenirs pas assez nébuleux à son gré d'un hypermnésique débordé (Joe Krapov)

Jean-Paul et Jean-Pierre à Bonneuil (retouchée)

Je suis assez âgé maintenant pour pouvoir dire que j’ai vécu à l’époque du dieu Vintage.

La vie y était résolument en noir et blanc comme sur cette-photo-ci où l’on me voit avec mon frère William. Mes trois frères et moi portons les mêmes prénoms que les frères Dalton mais ça m’importe aussi beaucoup, à moi l'affreux Joe-Joe, de savoir quand est-ce qu’on mange et quand est-ce que les restaurants rouvriront.

Ça date d’entre 1960 et 1970. La maison se trouvait dans une rue tranquille de Bonneuil-sur-Marne. C’était le pied-à-terre que mes grands-parents occupaient quand mon grand-père montait à Paris pour travailler à la « Fédé ».

La voisine s’appelait Madame Bidart ou Bidard mais ça ne m’a pas permis de retrouver l’adresse du lieu sur Google maps. A quoi bon du reste ? A quoi bon mémoriser une adresse de plus qui ne servira à rien ni à personne ? Reste juste une photo du genre « jours heureux de l’enfance ».

C’est comme les PILI dont j’ignorais qu’on les désignât sous ce vocable ! Je me souviens très bien que ça les amusait beaucoup, les grands-parents, de faire découvrir à ces innocents du village que nous étions l’univers encore très Jacques Tatiesque de la capitale. Notre premier escalier roulant à la station de métro Ourcq ! Le panneau indicateur lumineux d’itinéraires, le Pili donc, avec tous ses boutons et ses voyants colorés qui affichaient le trajet à effectuer pour aller de «Vous êtes ici» à «vous voulez aller là-bas». Oui, un genre de GPS avant l'heure si vous voulez, «Pour Invalides, changez à Opéra» comme chantait le poète poinçonneur. Le PILI, une invention qui met du piment dans votre vie !

DDS 662 213 rue LafayetteParce que plus tard le pied à terre s’est trouvé au 4e étage d’un immeuble de la rue de Lunéville à Paris. Grand-mère nous emmenait parfois à pied jusqu’au 213 de la rue Lafayette retrouver Grand-père à l’heure de sortie du bureau. C’était tout droit dans le prolongement de l’avenue Jean Jaurès et on s’arrêtait pour regarder les bateaux dans l’écluse du canal Saint-Martin.

Je me souviens encore du hall d’entrée et du grand ascenseur qui nous emmenait au 2e étage où se trouvait la Fédération nationale des travailleurs du sous-sol. Je me rappelle les noms des collègues de «l’homme fort du Pas-de-Calais», je revois des visages : Henri Martel, Achille Blondeaux, Stanis Walczak, Lucien Labrune, Augustin Dufresne, Victorin Duguet qui m’avait surnommé «L’avocat sans cause». J'étais sans doute assez bavard et "rameneur" à l'époque !

DDS 662 La Nébuleuse d'Andromède

Ca vous fait des bosses à vous, hein, tous ces estimables fantômes, ces braves types qui n’ont pas vécu centenaires. Vous, vous attendez juste la nébuleuse ! Eh bien c’est là qu’elle était, au 213, venue directement d’URSS, installée sur une petite étagère parmi quelques livres du même acabit : « La Nébuleuse d’Andromède » un roman d’Ivan Efremov publié aux Editions de Moscou en 1959.

Pourquoi je me souviens encore de cela ? Je ne vais pas partir en chasse de ce vieux nanar puisque je ne lis plus rien désormais que des blogs ici et là avec leurs récits de frottements qui durent depuis vingt ans, le Canard enchaîné, des bandes dessinées de cette même époque vintage récupérées grâce à des camarades roumains et des revues de jeu d’échecs qui m’apprennent qu’un joueur russe nommé Nepomniachtchi a gagné le tournoi des candidat ?

Nepomniachtchi ! A peu de chose près, en russe, c’est "nié pomniat’" : Ne te souviens pas !

Ultime gag, l’image du PILI qui clôt ce billet a été capturée sur un site qui parle de Patrick Modiano, grand nostalgique d’un Paris qui n’existe plus, et le site s’appelle… Spacefiction ! Ca ne s’invente pas !

DDS 662 PILI

1 mai 2021

La Dure vie des acteurs (Joe Krapov)

Si tu t’imagines – Juliette Gréco
(Raymond Queneau ; Joseph Kosma) 

1 Pont
Si tu t'imajine Fiyète fiyète
Si tu t'imajine Se ke tu te goure
Fiyète fiyète  
Si tu t'imajine Lé bo jour s'en von
  Lé bo jour de fète
K’ sa va k’sa va k’sa Soley z’et planète
Va duré toujour Tourne tous en ron
La sézon dé z’a  
La sézon dé z’a Mais twa ma petite
  Tu marche tou drwa
Sézon dé z’amour Vèr s’ ke tu n’vwa pas
Se ke tu te goure  
Fiyète fiyète Trè
Se ke tu te goure Sournwa s'aproche
  La ride vélose
2 La pezante grèsee
Si tu krwa petite Le menton triplé
Si tu krwa a a Le muskl avachi
Ke ton tin de rose  
Ta taye de guèpe 3
  Alon keuye keuy
Té minyon bisèps Lé roze lé roze
Tes ongle d'émay Roze de la vie
Ta kuise de ninfe Roze de la vie
Et ton pié léjé  
  Et que leurs pétals
Si tu krwa petite Soi la mer étale
K’ sa va k’sa va k’sa De tou les boneurs
Va duré toujour De tou les boneurs
Se ke tu te goure  
  Alon keuye keuy
  Si tu le fè pa
  Se ke tu te goure
  Fiyète fiyète
  Se ke tu te goure

- Mais qu'est-ce qu'elle t'a fait, Joe Krapov, l'orthographe, pour que tu la maltraites comme ça aujourd'hui ? T'es devenu misogyne ou quoi ?

- A moi rien ! Je la maîtrise très bien, je suis très correct avec elle, je respecte ses règles, je pense avec Aragon que la femme est l'avenir de l'homme et avec Renaud que l'homme n'est l'avenir de rien.

- Alors ?

- Alors les temps sont durs ! Avec le confinement ça fait un an que je n'ai pas tourné alors j'ai accepté le premier scénario qu'on m'a proposé, même si c'est un rôle de composition et que je suis, c'est vrai, à contre-emploi.


- C'est qui le producteur de ce film ?


- Harvey W. !


- Ho ? Ils l'ont libéré ?


- Non, celui-là c'est Harvey Walrus ! Lui il court toujours ! Plus vaillant et provocateur que jamais !

24 avril 2021

Bombinette ou chansonnette ? (Joe Krapov)

Oui, je sais, je ne me renouvelle pas !

Dans mon laboratoire rennais, vous ne voudriez tout de même pas que j'y fabrique des bombes atomiques , tout de même ? 
Ne vous inquiétez pas, d'autres s'en chargent ailleurs.

Non, moi, je préfère pousser la chansonnette que de m"occuper de l'élevage de champignons nucléaires !

Et donc, en compagnie de Boris Vian, celle-ci est en guise de remerciements  à ce cher oncle Walrus, notre tenancier  de boutique préféré !

 

17 avril 2021

Le Parti pris du klaxon (Joe Krapov)

A mi-chemin de la poire et du fromage, la langue française à «klaxon», mot qui claque et qui sonne et qui rapporte au moins 24 points au jeu de Scrabble.

Agencé de façon qu’il se fixe au guidon du vélo de l’enfant comme on fait d’une sonnette, il n’a pas fait d’émules dans le monde animal. Ainsi nous reste-t-il des serpents à sonnettes mais aucun reptile, même subrepticement, n’a muté au point d’être appelé « serpent à klaxon ».

A tous les coins de rues je me pose la question : pourquoi dans l’expression «entre la poire et le fromage» a-t-on choisi la poire plutôt que l’ananas ou la pomme ? Je ne sais, ça reste un clystère.

Dans une automobile, autrefois actionné par appui sur une tige à droite du volant il est aujourd’hui intégré à celui-ci et actionné avec la paume paume paume de la main. Le klaxon fait toujours sursauter le compositeur presque sourd dont le destin n’est pas de mourir, composant symphonie, sur un passage ardu et clouté, écrasé par un nain siphonné au volant d’un camion. Ce serait par trop, comme la mort de Coluche et la sixième de Tchaïkovski, pathétique.

Le klaxon !

Actionné en saccades et en signe de joie malgré l’interdiction municipale lors des mariages gays ou hétérosexuels il prouve que la sexualité n’a absolument rien à voir avec l’intelligence. « Quand on est con on est con » a dit Brassens et encore plus quand on a décidé de l’être ou de jouer au.

En ce sens on comprend mieux ici la présence du fromage dans l’expression du début. Le klaxon relevant quelque peu des farces et attrapes ne peut que s’associer… au camembert à musique.

Quod erat demonstrandum… de Vire !

Place à celle-ci (la musique, pas l’andouille… quoique…) !

3 avril 2021

Dans les vieilles marmites (Joe Krapov)

Qui j'idolâtre en ce moment ?

Le grand Charles !

Vive le québec libre

Non, pas celui-là, l'autre : Charles Trénet !

 

27 mars 2021

Au charbon, Joe Krapov ! (Joe Krapov)

Je suis prescient ou quoi ? Dans mon insomnie du 19 mars, vers les 4 heures ou 6 heures du matin, j’ai écrit cette krapoverie-ci, qui peut se chanter sur l’air de cette publicité :


L’HOMME D’AUJOURD’HUI, CE RENÉGAT !

On oublie vite comme hier
On vécut d’industrie charbonnière

On a oublié pour de bon
Qu’il y eut une bataille du charbon

On passe le chiffon du malheur
Sur le destin de Jean l’mineur

Qui descendait chaque jour au fond
Pour qu’vous vous chauffassiez au charbon

Songez-y donc la prochaine fois
Que vous irez au cinéma !

Le lendemain, sur le Défi du samedi, qu’est-ce qui sort du dictionnaire Walrussien ? «Houille» !

Une occasion en or de rendre hommage à mes ancêtres mineurs avec cette chanson accentuée «comme là-bas, dis !».

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Le défi du samedi
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