Irais-je …. (En attendant l'Éden)
Si je pouvais remonter le temps, récupérer les minutes, rattraper les heures. Si je pouvais explorer les siècles et les années … que ferai-je ?
Irais-je me promener le long du chemin de Saint Jacques, pérégrine parmi d’autres, voir ces visages burinés par le froid, le vent ou le soleil mais portés par une foi sans pareille ?
Irais-je me mêler à la foule heureuse et enthousiaste au pied de ce mur berlinois qui s’effondre, écouter Mstislav Rostropovich et son violoncelle ?
Irais-je jeter un œil au dessus de l’épaule de Chrétien de Troyes composant Le chevalier de la charrette, regarder ses expressions, le voir hésiter sur les rimes et les mots ?
Irais-je contempler ces tribus amérindiennes sur leurs territoires, encore maîtres de leur destin, maitre de leurs croyances ?
Irais-je naviguer sur le Nil pour remplir mes yeux de la splendeur pharaonique, caresser les chats sacrés et peindre mon regard de khôl ?
Irais-je écouter les seins nus et le regard flou Joan Baez lors d’un festival mythique près de Bethel ?
Irais-je me pavaner les cheveux courts dans ces années folles, pantalons larges, cigarettes au bec et alcool fort à la main ?
Irais-je …
Je ne sais pas …
Peut être souhaiterais-je juste me retrouver dans cette voiture, à l’abri dans ce parking, loin de la fureur du monde, lorsqu’il m’a dit pour la première, les larmes aux yeux, qu’il m’aimait.
La voisine (En attendant l'Éden)
Les deux
appartements entouraient la cour intérieure.
Un carré à eux
deux.
Salons - cuisines
et chambres se faisant face.
Savants jeux de voilages pour garder un peu
d’intimité tout en laissant la lumière s’inviter.
Et puis parfois …
Elle prend un thé.
Tout un rituel, faire chauffer l’eau, humer les différentes essences, en
choisir une et verser quelques feuilles dans un filtre.
Puis l’eau chaude
qui coule dans la tasse, la légère vapeur qui s’échappe et qui enveloppe un
instant son visage.
Elle s’assoit au
coin de la table, sur une chaise, une jambe repliée contre elle.
Elle prend sa tasse
à deux mains et aspire l’odeur de sa boisson. Un léger sourire aux lèvres, une
petite fossette au creux de la joue. Ses yeux se plissent de plaisir quand elle
goûte le nectar. Elle repose son dos contre la chaise, se détend. Une toute
petite goutte de thé est restée accrochée à sa lèvre. Invite à l’essuyer du
bout des doigts, à l’aspirer du bout des lèvres, à la laper du bout de la
langue. Mais d’une main, elle balaie la
gouttelette, puis attrape un biscuit. Elle le casse en petits morceaux qu’elle
porte négligemment à la bouche, se
suçant les doigts pour récolter les miettes. Ses lèvres s’accrochant à la pulpe
pour ne rien perdre de la gourmandise. Elle boit à nouveau un peu de thé et
rattrape d’un petit coup de langue une goutte qui glisse le long de la tasse.
Finalement, le
breuvage but, elle se lève et quitte la cuisine.
Et il se rend compte soudain que l’eau n’a cessé de couler, que la vaisselle n’est toujours pas faite et que voilà dix minutes qu’il est là une assiette à la main et une éponge dans l’autre souhaitant de tout cœur être une tasse ou un biscuit.