25 février 2023

Défi 756 (Clio101)

 

Après plusieurs jours de marche forcée qu’il vente, qu’il pleuve ou sous un soleil brûlant, elles étaient enfin arrivées. Il ne leur restait plus qu'un pont à franchir et elles pourraient enfin prendre un peu de repos. Bérilde s’engagea sur les marches d’un pas décidé. Sa longue chevelure, emmêlée et sale, ses habits poussiéreux, ses bottes crottées, la poussaient en avant, anticipant avec délectation le moment où elle plongerait dans un bain chaud. Anira lui emboîta le pas sans enthousiasme. Tout lui était indifférent. Sans se préoccuper de son acolyte, elle s’accouda à la rambarde de l’ouvrage d’art, fixant, comme hypnotisée, les méandres du fleuve qui s’étirait paresseusement devant elle. Il voguait, indifférent aux vicissitudes des hommes. Anira ne pouvait s’empêcher de l'envier. Qu’il aurait été bon d'être comme lui, sans se soucier de ce qui pourrait advenir, sans s’interroger sur les possibles conséquences de ses actions. Depuis qu’elle avait découvert le pendentif au milieu de la déflagration, elle se sentait comme anesthésiée.

—  Anira ! Tu viens ?

Anira releva la tête et croisa le regard de son interlocutrice mais ne bougea pas pour autant. Bérilde soupira et se rapprocha d'elle.

— Ecoute, on ne peut pas continuer ainsi. Tu n’aurais rien pu faire pour sauver Essaïra, ni même la faire changer d'avis. Te ronger de culpabilité ne te servira à rien, et certainement pas à honorer sa mémoire.

— J’étais sa meilleure amie ! Si elle m’avait parlé de son projet, si j’avais insisté pour le connaître, si j'avais forcé la porte de chez ses parents, j’aurai pu la convaincre. Il y avait un autre moyen, j’en suis sûre ! Une autre possibilité pour qu'Essaïra ne sacrifie pas sa vie ainsi. Elle venait juste de guérir de la mort de son frère, elle avait la vie devant elle, jamais ça n’aurait dû finir comme ça.

— Tu te trompes. Essaïra avait pris sa décision en toute connaissance de cause et ni toi, ni moi n’aurions pu la convaincre. Quand elle est venue dans mon bureau, j’ai bien essayé de la faire renoncer mais j’ai bien compris que ça ne servirait à rien. Maintenant, nous devons...

— Tu ne la voyais plus depuis des années. Moi, je la connaissais, je l’ai entourée, soutenue, j’aurais pu l’aider. Je m’en veux, mais je m’en veux. Je n’en peux plus.

Prise par une soudaine impulsion, Anira tourna les talons et redescendit du pont avant de s’éloigner à grandes enjambées. Elle allait atteindre la grande forêt des rêves bleus quand Bérilde lui saisit le bras et la força à lui faire face.

— Moi aussi je m’en veux. J’aurai voulu la stopper mais j’en ai été incapable et ça me ronge, tout autant que toi. Mais m’assaillir de culpabilité ne me fera pas avancer. Ses parents savent que tu es partie avec moi, au pire ils croiront que tu es ma complice, au mieux ils t’enfermeront dans une cage dorée pour te protéger. Je comprends que ça soit dur pour toi mais tu dois passer outre. Nous devons achever cette mission quoi qu’il nous en coûte. Alors, pleure si tu veux, pleure un bon coup, mais après soit forte. Essaïra restera vivante tant que nous resterons fidèles à sa mémoire.

Les vannes d’Anira s’ouvrirent. Elle pleura un long moment, criant à la face du monde sa colère. Quand ses larmes se tarirent, elle redressa les épaules et s’avança à nouveau vers le pont, sans adresser un regard à Bérilde.

— Je suis prête.

Elles traversèrent le pont silencieusement, espérant que le passage ne leur serait pas refusé.

Elles n’avaient pas fait un pas face aux murailles de pierres qu’un ordre sec leur aboya aux oreilles de reculer. Bérilde tenta de négocier, montra même une bourse contenant leurs maigres possessions mais rien n’y fit. Elle ne cessa pas de sourire puis rebroussa chemin, Anira sur ses talons.

Toutes deux passèrent le reste de la journée  tapies derrière un arbre. Quand la nuit eut descendu son manteau sombre, elles reprirent la route, passant sur un escalier de pierre près de l’entrée du pont. Il descendait vers les berges, pour permettre aux pêcheurs d'atteindre le fleuve en contrebas.

Elles longèrent le cours d’eau jusqu’à se trouver au pied des murailles.

Anira émit un sifflement, impressionnée.

D’en bas, les murs écrasaient de leur masse quiconque osait s’aventurer trop près. Les pierres blanches et lisses, sans une aspérité, s’élevaient à une telle hauteur qu’il était difficile, même en arquant la tête jusqu’aux limites de ses capacités, d’en apercevoir les créneaux. Monter à la main semblait impossible, d’autant que des gardes devaient patrouiller, et rejetteraient impitoyablement tout opportun qui tenterait de monter.

Bérilde de son côté semblait trouver la situation tout à fait naturelle. A gestes mesurés, elle sortit de son sac une large corde comportant un grappin à son extrémité. Son regard se porta vers le haut, scannant la hauteur des murailles, s'empara du grappin et le fit tournoyer énergiquement pendant quelques minutes, avant de le lancer en l’air. Anira le suivit des yeux, persuadée qu’il retomberait au sol à la première occasion. Mais ce ne fut pas le cas.

Anira tourna ses yeux vers Bérilde. La jeune femme suivait l’ascension de la corde en remuant silencieusement les lèvres. Comme si elle lui obéissait, celle-ci continua à se dresser jusqu’à atteindre et entourer solidement un créneau.

Bérilde la regarda.

-          Notre montée est assurée. Tu grimpes ?

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18 février 2023

Défi 755 : Label (Clio101)

 

M. Zéphyr est l’heureux patron de l’entreprise “Cuisine et vous”, spécialisée dans les ustensiles de cuisine. TOUS les ustensiles. De la plus petite cuillère jusqu’à la casserole la plus spécialisée, du robot Thermomix dernier cri à la spatule à séparer le blanc des jaunes d’œufs.

Tous, de la cuisinière jusqu’au chef le plus réputé, connaissent sa boutique et se fournissent chez lui.

Enfin se fournissaient.

 Depuis qu’existe Internet, chacun peut commander ce qu’il veut, sans demander conseil au cuisiniste. Les habitués, les fidèles, les amateurs viennent encore se fournir mais les restaurateurs n’en ont plus le temps.

M. Zéphyr est morose. Chaque jour ses clients se font de plus en plus rares. Comment faire pour se faire reconnaître comme le meilleur expert en termes d'ustensiles ? Comment étendre son activité, élargir ses horizons, gagner de nouveaux clients.

Madame Alizées, son amie de toujours, est toute chose de le voir si morose et voudrait bien l’aider. Jours et nuits elle se creusa la cervelle, elle se tortilla l’esprit, elle brainstorma puis : eurêka. Elle avait trouvé !

— Il faut que tu obtiennes un label.

— Un quoi ? demanda M. Zéphyr en se grattant le crâne.

— Un label. Un certificat, qui garantirait la qualité de tes produits et te permettrait d’entrer en contact avec de nouveaux partenaires. Vous partageriez vos idées, vos valeurs et vous feriez des affaires ensemble.

— Et ça s’obtient comment ce...label ?

— Un organisme vient, analyse ce que tu fais, comment tu travailles, quelles sont tes procédures, et si tout est conforme, te délivre un certificat attestant que tu as obtenu cette distinction. Ça tombe bien. Le labellisateur, le délivreur de label, doit venir à la ville le mois prochain. Il ne te reste plus qu’à poser ta candidature et le tour sera joué.

— Tu crois vraiment que ça peut marcher ? Je ne suis qu’un vendeur.

— Taratata, tournicoton, fin de ces blocages sans nom. Tu es talentueux, bien sous tous rapports, va donc remplir un dossier, sans coup férir.

Face à l’ire de son mentor, M. Zéphyr se décida à candidater pour le précieux sésame. Mais un obstacle de taille demeurait encore. Les dossiers se retiraient à la mairie entre 14h et 16h30, soit au moment de la plus forte affluence. Il tourna et retourna le problème dans sa tête sans trouver de solution quand madame Alizées vint une nouvelle fois à son secours. Elle le remplacera le temps nécessaire.

Tout s’enchaîna alors. Il retira le dossier mais une autre déconvenue l’attendait : une montagne de papier réunir il devait. Commença alors une quête épique à travers toute la boutique pour récupérer procédures et factures. De bureaux en classeurs, de tiroirs en dossiers, informatiques comme papier, toute la boutique embauchée, ils réunirent bientôt tous les documents demandés. Son concurrent, “Cuisine sans vous”, tenta bien de mettre un grain de poivre, mais rien n’y fit. Au soir de la journée le service informatique avait créé, sur un bel ordinateur, un bel espace pour ranger les précieux papiers. La lettre de motivation – car il en fallait bien une – plongea à nouveau M. Zéphyr dans un abîme de perplexité : quoi mettre, quoi dire, quoi taire, comment le formuler ? Jeanne, la nouvelle stagiaire en vente, le rassura tout de go : l’écriture, elle connaissait. En deux coups de cuillère à pot, elle glorifia la boutique, sans oublier un mot et sans être trop emphatique. Puis, diligente et empressée, elle alla déposer le dossier pour qu’il soit évalué.

Dans le même temps, un bureau avait été aménagé spécialement pour monsieur Label. Un bureau en bois clair, une chaise ergonomique et un grand placard fermé à clé où s’alignaient documents et procédures. Non loin une desserte, agrémentée d’une bouilloire, café, thé et gâteaux secs pour que l’inspecteur puisse, quand il le souhaite, reprendre des forces.

Monsieur Zéphyr, Jeanne, Madame Alizées et tout le personnel admiraient, avec un sourire mêlé de soulagement, l’œuvre accomplie et la clé d’un avenir. Ils allaient se séparer pour la soirée quand trois coups à la porte les firent sursauter.

Monsieur Zéphyr cria “Entrez.”

Oh, mon Dieu, il était arrivé.

Homme au teint gris et au ton grinçant, il empoignait sa mallette, remplie de grilles et de critères. D’un geste mesuré de la tête il salua, et sans plus de cérémonies s’installa.

Il ouvrit d’un même geste attaché-case et placard et son regard d'aigle vint scanner les papiers, sourcils froncés et bouche fermée, le stylo dégainé.

L’assistance se retira sur la pointe des pieds, Monsieur Zéphyr le dernier.

La boutique fermerait bien tard ce soir.

Les jours suivants, chacun travailla avec ardeur, dans un silence religieux, pour ne pas perturber l’inspecteur.

Monsieur Zéphyr faisait les cent pas dans son bureau et repassait devant celui de monsieur Label une fois, deux fois, dix fois par jour. Un soir où il y pénétra pour recharger la desserte, il crut voir une ou deux cases vertes cochées.

On disait monsieur Label attentif au moindre détail, détectant la moindre faille, la moindre zone d’ombre, la moindre anomalie.

Mais cela pouvait-il changer ?

Une semaine, puis deux, puis trois s’écoulèrent, sans commentaire.

Quand M. Label sortit, enfin, se passa quelque chose d’incroyable.

Il souriait.

— Félicitation cher monsieur, votre entreprise est parfaite. Si elle ne reçoit pas son label, je ne suis pas inspecteur.

Et depuis ce jour, où la belle étiquette trône en majesté sur la devanture de la boutique, M. Zéphyr n’en finit pas de sourire.

Les plus anciens reviennent, les nouveaux arrivent, on franchit des kilomètres pour se fournir dans la boutique.

“Cuisine et vous” est bien le meilleur, chaque jour et à toute heure.

 

FIN

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12 février 2022

Contribution de Clio101

 

La Garde royale, des hommes et femmes, vêtus de verts et or, qui avaient dédié leur vie et leur intelligence à la défense et au rayonnement de l'Empire. Quand ils se croisaient, ils échangeaient de mystérieux saluts faits de gestes de mains, chaque fois différents.

Varim les voyait tous les jours : sur le chemin de l'école, en allant faire une course pour sa famille ou en arpentant les rues d'Arménia avec ses amis.

Fasciné par la tranquille assurance qu'ils dégageaient et désireux de les rejoindre dès qu'il aurait l'âge de se présenter aux épreuves, Varim s'arrêtait souvent de longues minutes à les observer dès qu'il en croisait un et tentait de mémoriser leurs mouvements de mains. Une fois chez lui il s'entraînait à les reproduire, se croyant, l'espace d'un instant, un membre de la Garde à part entière.

Un jour qu'il se trouvait dans le parc des Milldors il s'amusa à réaliser certains gestes qui lui plaisaient plus que les autres.

            - Dis donc toi !

Varim se figea. Entièrement absorbé dans sa tâche, il n'avait pas remarqué l'homme qui était entré dans le parc et avançait vers lui à grandes enjambées. Le soldat le saisit par le col et le souleva, de façon à le placer à quelques centimètres de son visage.

            - Je vais t'y reprendre à réaliser notre schibboleth ! Pour la peine tu vas recevoir une bonne leçon et tu me feras le plaisir de ne plus croiser mon chemin à l'avenir ou tu auras de gros ennuis.

Varim devint blême. Ses jambes se mirent à trembler de façon incontrôlable et son visage se couvrit d'une sueur épaisse qui vint bientôt recouvrir tout son corps. Sans paraître le remarquer, l'homme leva la main et se prépara à flanquer la correction que méritait ce garçon indiscipliné.

            - Que se passe-t-il ici ?

L'homme suspendit son geste. Il se retourna lentement, sans lâcher sa proie. Son interlocuteur, grand, bien bâti et sans une once de graisse, habillé du même uniforme que lui à l'exception des trois bandes jaunes à son bras, vint à sa rencontre.

            - Capitaine de Tramines, se mit-il à dire d’une voix obséquieuse, ne vous souciez pas de cela. Ce n'est qu'une petite vermine qui a osé réaliser notre schibboleth. Je m'apprêtais à le punir pour qu'il ne recommence pas

            - Ce n'est qu'un enfant, asséna le capitaine. Il ne pensait sans doute pas à mal. Nos principes interdisent la violence gratuite et font de la protection des plus faibles une priorité. Repose ce petit sur-le-champ et laisse-nous.

            - Mais, mon capitaine....

            - Ton zèle t'aurait-il rendu sourd ? Pose ce garçon à terre et rejoins la caserne. Tu viendras me voir à mon retour.

L'agresseur de Varim le posa en ronchonnant puis s'éloigna d'un pas vif. Nul doute que l'enfant venait de gagner un ennemi pour le restant de ses jours.

Encore sous le coup d'une violente émotion Varim tenta de partir en courant mais ses jambes refusèrent de lui obéir. Il serait tombé si le capitaine ne l'avait pas retenu. D'une main à la fois ferme et emplie d'une certaine douceur le capitaine de Tramine le guida vers un banc tout proche.

            - Ne pars pas si vite mon garçon. Il est des choses que nous devons discuter.

            - Oui mon seigneur, balbutia l'enfant d'une voix tremblante comme s'il allait se mettre à pleurer.

            - Ne t'affole pas, tu n'as presque pas fait de mal. Comment t'appelles-tu ?

            - Varim, mon seigneur. Je viens d'avoir 10 ans.

            - Varim, sais-tu quelle est ta faute ?

            - Non, mon seigneur.

            - Il est strictement interdit à quelqu'un qui n'est pas membre de la Garde royale d'en réaliser le schibboleth. Tes parents ne t'en ont pas averti ?

            - Non, mon seigneur.

            - Et pourquoi cela ?

            - Parce qu'ils ne savent pas que je sais réaliser les gestes, mon seigneur. Je me dissimulait à eux pour ne pas que quelqu'un se moque de moi.

            - Pourquoi réalisais-tu ces gestes ?

            - Parce que j'admire la Garde royale et qu'en faire partie est mon rêve, mon seigneur.

            - La première vertu d'un soldat de la Garde royale est l'obéissance. Tu ne dois exécuter ces gestes en aucun cas c'est bien compris ?

Varim sursauta. La voix du capitaine de Tramines avait résonné aussi tranchante qu'une lame de couteau.

            - Oui mon capitaine, murmura-t-il.

La voix du capitaine s'adoucit.

            - Si tu veux un jour prétendre à intégrer la Garde, sois curieux et attentif. Instruis-toi et reste sensible aux mouvements du monde. Et adopte en permanence un comportement honorable et irréprochable.

Instinctivement Varim s'était levé, comme pour laisser ces paroles le pénétrer jusqu'aux tréfonds de son être. Il n'était plus le garçon fou qui imitait ses aînés sans réfléchir mais un homme en devenir, avide de savoir et prêt à tout faire pour réaliser ses rêves.

Le capitaine quant à lui observait avec tendresse cette jeune pousse qui buvait ses paroles comme une plante assoiffée. Il ne connaissait pas ce garçon mais devinait en lui les prémisses d'un caractère exceptionnel.

D'un air grave l'homme d'expérience et l'homme à naître se serrèrent la main, scellant un pacte pour la durée de leur vie.

Tout à leur échange de promesses aucun d'entre eux ne vit l'homme qui les contemplait depuis l'entrée du parc, le visage déformé par une haine profonde.

 

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05 février 2022

Un robot aux archives (Clio101)

 

Il était une fois le robot I-Raven

A obéir aux antiques lois édictées par les sages

Il avait été programmé.

Consciencieusement, fidèlement, diligemment

Le jour durant

Il circulait dans les magasins

Jamais le nez au vent.

Il rapportait les documents demandés

Par des lecteurs de savoir affamés.

La série M, la série A et même la section Fi

N'eurent bientôt plus de secrets pour lui.

A force de chercher, circuler, écouter, enregistrer

Il en vint à deviner

Quels documents pourraient compléter

Le travail par les chercheurs réalisé.

Toutes les demandes, invariablement

Étaient enrichies, d'une ou deux boîtes.

Lecteurs, archivistes, visiteurs, en eurent bientôt la bouche coite.

Une pétition fut signée et au ministre envoyée

Demandant d'intégrer I-Raven au service.

Surpris de cette demande incongrue

Le ministre fit une visite impromptue.

Il vit, il pâlit, il rougit et, sur-le-champ

Signa l'arrêté d'intégration.

Et depuis ce jour

Aux archives du Morbihan.

Travaille I-Raven, un agent très surprenant.

 

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15 janvier 2022

La petite fille et l’ogre (Clio101)

 

       On l'avait répété cent fois à Samira. La forêt est très dangereuse ; il ne faut y aller sous aucun prétexte. Il y règne des créatures mauvaises qui t'enlèveront pour te tuer ou faire de toi leur esclave. N'y va jamais ou tu pourrais ne jamais revenir.

      Il fallait particulièrement se méfier de l’ogre de la forêt. Il avait tout le gibier des bois à sa disposition mais son plat préféré était sans conteste le rôti de petite fille. L’ogre rôdait dans les bois pour s’emparer des petites filles imprudentes qui s’aventuraient sur son territoire. Après les avoir attirées chez lui par des paroles enjôleuses il les endormait et les faisait cuir dans son four avec des pommes de terre et des oignons tendres.  On le reconnaissait à la peau de sanglier qu’il portait en permanence sur lui et aux bois de cerf qui couvraient son crâne.

      Une petite fille ordinaire aurait sagement obéi aux adultes. Elle n’aurait pas discuté et n’aurait jamais songé à aller dans les bois puisque cela est aussi dangereux. Mais Samira n’était pas une petite fille ordinaire. Quand on lui donnait un ordre elle voulait exactement faire le contraire. Ou plutôt elle n’aimait pas acquiescer aveuglément mais voulait expérimenter par elle-même les conséquences de ses actions. Par exemple si on lui disait : « n’approche pas ta main de la marmite, tu vas finir par te brûler », elle tendait la main vers la marmite pour mieux sentir l’intense chaleur sur sa paume.

      Alors quand on lui dit de ne pas se rendre dans la forêt un vif désir la saisit de l’explorer pour découvrir si toutes les créatures mauvaises qui y habitaient existaient vraiment. Un après-midi où toute sa famille faisait la sieste après un long déjeuner, elle lui faussa compagnie et se dirigea vers ce lieu mystérieux.

      Au fur et à mesure qu’elle pénétrait dans le couvert des arbres Samira contemplait avec étonnement le spectacle qui s’offrait à elle. Les taillis, sous-bois, mousses et feuilles de toutes formes formaient une palette de verts touffue et bigarrée. La lumière perçait entre les feuilles des plus hauts arbres et dessinait une myriade de paillettes d’or qui n’en finissaient pas de se recomposer. Le regard de Samira scintillait à l’unisson de ce jeu de lumière et le froufrou des feuilles et le claquement des branches mortes sous ses pieds lui donnaient le sentiment que son cœur battait à l’unisson de la forêt. À ce paysage venait s’ajouter le chant des oiseaux et des animaux qui lui souhaitaient la bienvenue dans ce monde : la trille de l’alouette comme un babillement incessant, le son aigu de l’épervier, une note qui montait à intervalles réguliers vers le ciel, le brame du cerf, le sifflement du loriot et le grognement du sanglier au loin. Au milieu de ce concert de salutations résonnaient les trois notes de la huppe, comme un avertissement. Samira n’y aurait pas prêté attention si elle n’avait entendu, comme mêlé à ces sons, la plainte lugubre d’un chagrin que rien ne parviendrait à combler.

      Portée par son instinct et toutes ces voix bienveillantes elle suivit la trace de ce sanglot jusqu’à parvenir à une maison en bois. Une maison en bois tout à fait ordinaire, pareille à celles de son village, à deux détails près. A l’exception du toit, tout était délabré, comme si quelqu’un avait fracassé tous les murs à coups de poing. Assis devant la cabane se trouvait un homme vêtu d’une peau de sanglier et coiffé de bois de cerf.

      Samira se recula et se prépara à fuir. C’était l’ogre de la forêt.

      Ses pieds refusèrent de lui obéir.

      Un torrent de larmes ruisselaient sur les joues de l’ogre.

 

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26 décembre 2021

Participation de Clio101

 

L'agent Dr-08-Ab90 – appelons-la Dora – se redressa en grimaçant. Le transfert avait été plus brutal que d’habitude. Au lieu de se réceptionner en douceur elle avait atterri sur le dos et gagné un lumbago. Bandant toute sa volonté elle se leva et entama une série d'assouplissements en serrant les dents. Quand elle la termina une demi-heure plus tard elle se sentait déjà mieux : chaque pas ne lui arrachait plus une grimace. Mentalement elle se programma trois autres sessions pour la journée pour se rétablir complètement. Dora ne pouvait se permettre d’apparaître faible et percluse de douleurs ce soir. Il y avait fête à Versailles et toute la noblesse s’y rendrait. Elle  devait profiter du bal pour les interroger sur les emprunts mystérieux de bijoux qui avaient eu lieu ces derniers jours.

Son esprit se tendait déjà vers la stratégie qu’elle allait mettre en œuvre quand un bourdonnement ténu à son oreille l’avertit d’une communication de ses supérieurs. Elle ferma les yeux et entama la procédure de réception.

-          Agent Dr-08-Ab90 à l’écoute, général.

-          Gardienne-chef Dr-08-Ab90, le transfert de votre appui a mal fonctionné. En raison d’une erreur de programme le rayon n’a pas transféré le gardien du temps mais a traversé l’univers pour atteindre le dolmen de Penhap dans le golfe du Morbihan. Votre appui sera, je le crains, la première personne à franchir les portes du dolmen.

-          Je vous demande pardon ?

Son supérieur poursuivit comme s’il n’avait pas été interrompu.

-          Vous devrez donc le former à ce monde et ses exigences pour que la mission se déroule au mieux.

-          C’est impossible. A supposer que la personne qui parviendra ici ne soit ni trop jeune ni trop âgée, la faire agir conformément à l’étiquette et selon les mœurs du temps ne peut se faire en un jour. Toute la stratégie de cette mission est mise en place. Former un appui prendra bien trop de temps et nous en manquons cruellement. S’il doit en être ainsi je la réaliserai seule.

-          Il suffit agent Dr-08-Ab90 ! Votre ordre de mission est clair. Vous devez obligatoirement accomplir cette tâche avec un appui. C’est à cette seule condition que vous présenter devant le Conseil et défendre votre candidature. Vous accueillerez celui ou celle qui parviendra ici comme il se doit, vous vous occuperez de sa formation et vous l’intégrerez à l’organisation. Me suis-je bien fait comprendre ?

-          Oui mon général.

La voix de Dora tremblait, entre terreur face à son supérieur et rage contenue.

Pensant que la communication était terminée elle se prépara à prononcer les mots d’usage. Elle voulait une séance d’entraînement intensive pour évacuer sa colère et sa frustration.

Ne coupez pas encore, agent Dr-08-Ab90. Les agents de contrôle m'avertissent que quelqu’un est sur le point de s’approcher du dolmen. Quand le drone de surveillance aura enregistré son visage nous pourrons l’identifier.

Le général se tut quelques instants, le temps de recevoir les informations . Au bout d’un moment qui paru interminable à Dora, le grésillement de la communication retentit à nouveau.

-          Nous avons les éléments. Mathilde Sérys, 31 ans, directrice d’une agence de services à la personne. Caractère : peu portée sur les relations humaines, empathie faible, attachée au respect strict de ses procédures. Vie saine, pas de maladie particulière, mais souffre en ce moment d’une perte de sens dans son travail et sa vie personnelle.

-           Vous voulez dire que mon compagnon sera une gamine autoritaire, asociale et rigide, donc potentiellement incompétente, qui se pose des questions existentielles sur le sens de sa vie et compte sans doute sur une aventure pour le retrouver ?

-          Mis à part ce dernier point vous aurez un compagnon qui vous ressemble. Et qui sait ? Vous pourrez sans doute apprendre l’une de l’autre.

Sans laisser à Dora le temps d’ajouter un mot son supérieur coupa la communication, la laissant anéantie. Une fois n’est pas coutume elle n’avait le choix ni de sa stratégie ni de son compagnon. Avec l’arrivée impromptue d’une parfaite inconnue,  tous ses plans devraient être révisés en urgence et elle détestait ça. Toute la mission risquait d’échouer et avec ça ses chances d’intégrer le Conseil.

Pour retrouver un état d’esprit positif elle se lança dans une séance d’entraînement, bien décidée à s’assurer que sa nouvelle recrue ne fasse pas obstacle au bon déroulement de la mission.

 

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18 décembre 2021

Une envie d'ailleurs (Clio101)

« S’assurer de reposer chaque objet à sa place. »

« Faire les pièces du premier le matin et celle du rez de chaussée l’après-midi. »

« Utiliser un produit différent pour les toilettes, la salle de bain et la cuisine. »

« Ne jamais utiliser la même éponge pour la salle de bains du rez-de-chaussée et celle du premier étage. »

« S’adresser au majordome uniquement en anglais. »

« Ne pas écouter de musique. »

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 Crédits photographiques : magnetme, Pixabay, 24 janvier 2020 (dernière mise à jour : 10 novembre 2020)

 

Et caetera, et caetera, et caetera

Ça faisait quarante minutes que mon interlocuteur me détaillait une kyrielle d’instructions pour faire le ménage dans son appartement. Seule la perspective de faire de lui un nouveau client m’empêchait d’éclater de rire ou de faire transparaître mon ennui. Je m’efforçais donc de garder un air aimable et attentif tout en priant pour que cet entretien s’achève.

Un habitant du seizième arrondissement, propriétaire d’un cinq pièces en duplex, donc deux réservées à sa collection de statuettes en verre provenant de tous les continents. Tiré à quatre épingles dans un costume trois pièces de chez Armani, il se tenait droit sur sa chaise, les mains fermement appuyées sur le bureau, en homme qui a l’habitude d’être écouté et obéi. Il s’adressait à mon agence de services à la personne car un de ses amis lui avait vanté la qualité de mes prestations. Autrement dit : un futur potentiel de développement.

Je prenais donc fidèlement en note toute ses recommandations.

Quand au bout d’une heure il s’en alla, je poussais un soupir de soulagement. Contrairement à mes habitudes je ne me précipitais pas pour mettre mes notes au propre et rechercher dans mes dossiers l’employée la plus convenable pour cette mission. Je me levais, sortis hors de l’agence et m’affalais sur le premier banc venu. Je pris quelques grandes inspirations, me visualisant dans mon île du Morbihan, allongée sur la plage avec un bon polar.

L’ennui causé par cet entretien s’estompa peu à peu mais je ne me pressais pas pour regagner mon poste. D’habitude c’était la partie que je préférais : découvrir mes clients, connaîtres leurs habitudes et leurs petites exigences puis déterminer à partir de là le ou l’employée qui leur correspondrait. C’était cette formule sur-mesure qui m’avait permis de fonder mon agence et d’accroître sa réputation d’excellence. Le bouche-à-oreille avait fait le reste. A présent j’étais connue dans tout Paris, et de simples services de ménage, j’avais pu étendre mon activité au soutien scolaire, à la garde d’enfants et à l’aide à domicile. Ma clientèle ne cessait de croître et si ce contrat avec le riche excentrique fonctionnait je pourrais attirer à moi tout un panel de clients fortunés.

Pourtant je ne parvenais pas à m’en réjouir.

Depuis quelques mois déjà me rendre à l’agence me pesait de plus en plus. Prospecter pour rechercher de nouveaux clients, établir les plannings en fonction de la personnalité de mes employés, les guider au début de la prestation et surveiller l’évolution de leur travail, réfléchir à de nouvelles prestations ne me satisfaisais plus autant qu’avant.  Je me sentais vide, asséchée et cela se répercutait sur mon humeur. Les entretiens hebdommadaires se terminaient souvent par des larmes. Je ne tolérais aucune erreur dans la réalisation des prestations et les contrevenants subissaient un discours sentencieux sur le rôle de l’excellence et de la perfection dans la paix du ménage et de l’hygiène de vie.

J’avais beau avoir gagné un peu en sérénité après ma pause, je m’en pris dès mon retour à mes assistantes à qui je reprochais le désordre quasi permanent sur leur bureau qui nuisait à l’image de l’agence et leur obstination à privilégier l’agenda papier au lieu d’utiliser celui d’Outlook.

 Toute à mon discours je ne perçus pas le coup d’œil de connivence qu’elles se lancèrent.

—   Maintenant, ça suffit, m’interrompit Joanna, une ravissante Polonaise.

Première à répondre à mon annonce, six ans plus tôt, pour un poste de secrétaire, elle m’avait aidée à fonder l’agence et avait assisté avec moi à son développement. Elle me tenait lieu d’adjointe et de confidente.  De caractère franc et direct, elle était la seule à pouvoir me dire ce qu’elle pensait et ne s’en privait pas.

—   Ça ne peut plus durer. Vous terrorisez nos employés qui se demandent à chaque entretien quel reproche vous allez leur faire. Alors ils se mettent la pression, accumulent du stress, font des erreurs, encaissent vos critiques et travaillent de plus en plus mal. Si vous continuez ainsi vous allez perdre vos employés et la boîte. Vous allez donc me faire le plaisir de ficher le camp d’ici, préparer vos valises et vous retirer sur votre île le temps de reprendre vos esprits.

—   Mais…

—   Il n’y a pas de mais. L’agenda est à jour, les plannings sont faits pour deux mois, aucun nouveau client n’est à prévoir. Les notes de votre entretien de ce matin sont sur votre bureau, je les retaperai et trouverai l’employée parfaite. Ce n’est qu’un essai, la signature du contrat pourra attendre votre retour. Prenez des vacances et ne revenez que quand vous aurez un esprit plus bienveillant.

Au regard de Joanna je vis qu’il n’y avait aucun lieu d’insister. Je râlais pour la forme mais intérieurement je jubilais. Je retrouverai mon île et j’y trouverai la paix et une nouvelle étincelle pour mon travail.

Arrivée la veille par le train je pris le premier train du lendemain à Port Blanc.

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 Crédits photographiques : ThMilherou, Pixabay, 14 juillet 2005 (dernière mise à jour : 6 avril 2021)

Le soir même j’étais installée dans mon salon, plongée dans un policier. Le feu crépitait dans la cheminée et répandait une douce chaleur ; les flammes entamaient une danse hypnotisante et je goûtais la saveur délicieuse de vacances à durée indéterminée.

Alors que j’étais absorbée par le déroulement de l’enquête je crus entendre un très léger sifflement. J’y prêtais peu d’attention mais les aigus s’amplifièrent peu à peu, comme une bombe qui serait prête à tomber. Le cœur battant et les mains tremblantes, je me précipitais à la fenêtre.

Un trait de lumière aveuglante tomba du ciel avant d’infléchir sa course et de se diriger vers le sud de l’île.

Le phénomène disparut aussi brusquement qu’il était apparu. Nul doute que demain, tous les îlois le commenteront au marché.

Dès demain, songeais-je, j’irai voir dans le sud de l’île si ce rayon a eu des conséquences. 

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11 décembre 2021

Du centre de l'univers à la Bretagne (Clio101)

Planète-du-centre-de-l’univers

 

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Un silence profond règne dans une immense salle octogonale, bordée par quatre arches rectangulaires de cinquante mètres de haut. Toute la surface est recouverte d’un quadrillage de miroirs ; l’œil novice qui y pénètre devient fou car il ne perçoit que son reflet, décliné à l’infini comme dans un puits sans fond.

Nul signe, nulle agitation de vie, rien que la froideur du néant.

En l’exact centre de l’octogone trône une structure en étoile ornée d’un même matériau réfléchissant. Au milieu un assemblage de cônes d’où sortent à intervalles réguliers grésillements et bourdonnements, rompant la monotonie tombale du lieu.

 

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Une cloche teinte et son écho se répercute sur les murs.

Quand la dernière note s’évanouit dans le lointain un cortège de robes blanches à capuche pénètre dans la salle par l’une des arches et vient se disposer autour de l’étoile centrale.

 Nul chant, nul tambour, nulle dispersion d’encens, nul discours.

Nouveau son de cloche, plus bref.

Un se détache du groupe et vient se placer devant la colonne.

Un autre s’agenouille et compose une série de chiffres sur un clavier au niveau d’une branche de l’étoile.

Un nouveau transfert se prépare.

Aujourd’hui sa mission : appuyer un Gardien du Temps à empêcher qu’un peuple dérobe un collier de diamants destiné à la reine Marie-Antoinette et ne change à jamais l’histoire.

Le ronronnement caractéristique du téléporteur retentit, signe d’un départ imminent.

Le regard du conducteur se fige. Le signal fluctue : il y a dispersion temporelle.

Le cri du conducteur résonne dans toute la pièce.

—    Ça jitte !

Du tube sort un rayon de lumière qui traverse la salle, passe à travers les parois et disparaît dans l’univers.

La procession se presse autour des écrans de contrôle.

Le faisceau achève sa course infernale sur la Terre en s’enfonçant dans un dolmen sur une île de Bretagne.

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Crédits photographiques : NimuesWelt, Pixabay, 26 mai 2009 (dernière mise à jour : 6 septembre 2018)

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23 octobre 2021

Participation de Clio101

 

Hypnotisée, Cassandre observait le guitariste assis en tailleur devant les quais de la gare de Nîmes. Sans prêter attention au va et vient incessant de la foule et aux annonces sonores qui rythmaient les arrivées et les départs des trains le musicien fixait un capodastre au manche de son instrument. Toute son attention était fixée sur les cordes.

D'un geste aussi doux qu'une caresse il effleura les cordes de la guitare pour en tester les sonorités. L’attention extrême portée à la sincérité du mouvement donnait à la scène une tonalité presque sensuelle. En cet instant rien n'existait pour l’homme que de faire résonner ses cordes pour en sortir le son juste. Ni les mouvements des autres, ni les sons ni les odeurs ne venaient le distraire de sa tâche.

  • Cet homme est libre, songeait Cassandre. Il n’a de compte à rendre à personne d'autre qu'à lui-même.

Contrairement à toi, murmurait sa petite voix intérieure.

Son regard se voila et ses yeux s'embuèrent. Qu’est-ce qui lui avait pris de tout quitter, de partir seule, loin de ses repères ? Elle qui n’avait eu pendant un temps de seule véritable amie que Sophie, saurait-elle créer du lien avec un groupe d'inconnus ? Et que deviendrait-elle à son retour ?

Un instant sa détermination flancha et son regard chercha le prochain train pour Paris.

Au même instant le guitariste se mit à jouer un air entraînant et joyeux de ceux qui vous portent et vous invitent à danser et sourire, une marche qu'on fredonne et qui met du cœur à l'ouvrage. La mélodie titilla les oreilles de Cassandre, s'engouffra dans son esprit, s'empara de ses sombres pensées et les attira dehors, à la manière d'un joueur de flûte.

  • Si je n’essaie pas, je ne saurai jamais ce dont je suis capable. J'ai décidé de partir à l'aventure, je suis arrivée jusqu'ici c'est trop bête de faire demi-tour maintenant.

Son sourire revint, sa volonté s’accrut et elle marcha d'un pas ferme vers le TER qui se rendait à Villefort.

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25 septembre 2021

Du serpent au champignon en passant par une yourte (Clio101)

 

La rampe où s'était engouffrée Alice était démesurément grande et ne cessait de faire des virages dont la forme et le diamètre lui faisaient penser aux anneaux d’un serpent.

-          Et d’ailleurs, songeait-elle, il y a des serpents dans le désert. Peut-être suis-je moi-même au cœur d’un serpent.

Pour se rassurer dans sa chute elle se mit à énumérer les différents types de serpents qu’il y a dans le désert.

-          Alors nous avons la vipère des sables, le taïpan du désert et…

Elle ne parvenait plus à se souvenir d’autres serpents et regrettait de ne pas avoir été plus attentive aux cours de sciences naturelles sur les reptiles.

Alors qu’elle tentait à toute force de faire travailler sa mémoire sa chute s’arrêta d’un coup. Face à elle se trouvait une vaste étendue de paysages : d’un côté des steppes, de l’autre des montagnes, ailleurs de petites dunes de sable. Dans ce qui semblait être le milieu de cet assemblage bigarré, une yourte. Un panache de fumée s’en échappait.

Alice trouva d’abord cela étrange puis se souvint de ses cours d’histoire et de géographie : une yourte dans un paysage qui ressemble au désert de Gobi est tout à fait normal.

Elle voulait atteindre la yourte pour demander comment nourrir un champignon mais celle-ci lui semblait hors d’atteinte. Ses jambes étaient moulues par la descente dans le boyau et elle ne pourrait y parvenir avant la nuit.

Alors qu’elle commençait à se lamenter un souffle de vent passa et il lui sembla qu’une voix résonnait de nouveau dans sa tête.

Si tu as traversé un serpent, tu peux onduler.

Alice trouva cela étrange mais juste un instant. Elle se mit donc en route mais s’aperçut bientôt qu’elle ne voyait plus ses jambes. Son corps décrivait une courbe montante et descendante et cette sensation était exaltante. Son rythme fut d’abord rapide puis décrut  progressivement à mesure qu’elle s’approchait de la yourte. Quand elle n’en fut plus qu’à vingt mètres elle marchait sur ses deux pieds.

Alice s’avança près du seuil : la porte d’entrée était ouverte et la plus grande confusion régnait.

Un homme et une femme se poursuivaient rageusement entre les deux piliers centraux et passaient leur temps à se jeter des objets à la tête ou se tirer dessus. Mais quand les hasards de leur course leur fit croiser le regard d’Alice ils s'arrêtèrent, comme changés en pierre.

Alice fronça les sourcils, perplexe.

Puis elle se souvint de ses leçons de bonnes manières. De son pied droit elle enjamba le seuil et vint sans attendre se placer à l'est, espace réservé aux femmes.

Et l'ordre revint dans la yourte.

Faisant de nouveau appel à ses bonnes manières Alice s'adressa au couple.

-          Bonjour Madame Bonjour Monsieur. Je m'excuse de vous déranger mais j'ai besoin de votre aide. Un champignon vient de me demander de le nourrir mais je ne sais absolument pas comment m'y prendre.

La réponse du couple ne se fit pas attendre. L'homme et la femme parlèrent d'une seule voix, comme s'ils ne formaient qu'une seule personne.

-          Si un jour tu as grandi, tu pourras y arriver.

Alice n'eut pas le temps de s’interroger sur l'étrangeté de ces paroles. Un souffle de vent passa et le sable se souleva en un tourbillon et l’aveugla.

Quand la brume se dissipa la yourte et le couple avaient disparu et elle de trouvait de nouveau devant le champignon. Ses jambes furent tout à coup prises de faiblesse et elle s'effondra.

Incapable de bouger, Alice sentait que ses membres s'allongeaient et s’affinaient démesurément et plongeaient dans le sol. Il lui semblait que toute la matière qui la constituait partait de son corps et venait nourrir le champignon. A mesure que ses forces diminuaient son regard devenait flou. Ses yeux se fermèrent et Alice sentit qu'elle quittait ce monde. Un doux sommeil l’emporta.

-          Alice, Alice !

Alice ouvrit péniblement les yeux. Son corps était allongé de quelque chose de moelleux et doux. Pendant quelques instants elle ne vit que du brouillard. Quand il se dissipa elle s’aperçût avec stupeur qu’elle se trouvait dans son lit et que ses parents se tenaient au-dessus d’elle, l’air terriblement inquiet.

Où se trouvaient le désert, le champignon et la yourte ?

N’avait-elle pas perdu la vie en servant de nourriture au champignon ?

En la voyant froncer le nez et les sourcils, la mère d’Alice s’empressa de la rassurer.

-          Tu jouais dans les bois à côté de la maison avec ta sœur. Vous vous êtes un peu éloignées et vous avez trouvé des champignons. Tu en as croqué un bout sans savoir qu’il s’agissait d’une amanite panthère, c’est un champignon vénéneux. Heureusement pour toi tu n’en avais ingéré qu’un petit morceau  et nous avons pu te soigner en te donnant du charbon actif et en aidant ton corps à expulser tout ce qui restait du champignon. Après cela tu as déliré pendant trois jours : tu marmonnais dans ton sommeil en parlant de choses étranges, comme une yourte et des personnages bizarres. Nous sommes heureux que tu ailles mieux.

-          Nous sommes extrêmement soulagés de voir que tu as repris conscience. Repose-toi maintenant ma chérie, renchérit son père. Reprends des forces.

Alice ne les écoutait déjà plus.

Pendant que ses parents parlaient elle avait fermé les yeux.

A présent elle dormait profondément et dans son rêve un champignon souriait.

 

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