25 mai 2009

Quelques notes de bonheur... (Citronnelle)

Dimanche, 19h30, une  journée ensoleillée se termine.

Je suis allongée sur le transat, je lis. Dans le lecteur CD, un disque que j’ai retrouvé par hasard. Offert par Jane, c’est sûr, mais à quelle occasion ? La pendaison de crémaillère peut-être...

J’adore cette heure de la journée. Le soleil s’est enfin délesté de ses feux trop violents pour ne conserver que sa douce et pale tiédeur.

Je pose mon livre, renverse la tête contre le dossier et ferme les yeux.

Mes trois hommes jouent de l’autre côté de la maison. Au foot, sans doute,  je les entends taper dans le ballon. J’entends aussi les cascades de rire perlé et clair des enfants. Ils adorent jouer avec leur père, les occasions sont rares. Et moi,  j’adore les sentir joyeux, tous les trois.

Quelques oiseaux sifflotent encore et semblent apprécier, eux aussi, le charme de cette fin d’après-midi. Le bourdonnement de quelques insectes se mêle aux notes du CD qui se faufilent depuis le salon jusqu’à mes oreilles. Un léger vent bienveillant passe sur ma peau.

Je me laisse aller en douceur à des pensées vagabondes. 

Le bonheur, c’est si simple parfois...

Je m’étonne de cette capacité que nous avons (un instinct de survie sans doute ?) à oublier si souvent le monde qui nous entoure. Le marasme financier, la crise écologique... Les enfants qu’il faudra aider à devenir des hommes dans un monde rempli de chausse-trapes...

La musique devient plus dense et plus douce la lumière sur mon visage.

Je  m’absente...

Et pendant quelques instants les grains de sable cessent de glisser dans le sablier.

Puis soudain, une brûlure fraîche dans le creux de mon cou me ramène dans le temps.

Je souris. J’ouvre un œil.

« Faudrait peut-être faire à manger ! Les enfants ont faim. »

Je m’entends répondre : « Vas-y, je t’en prie. Fais comme chez toi ! »

Mon homme s’éloigne en traînant les pieds. Ostensiblement, il me semble.

Mon sourire ne me quitte pas.

La musique s’arrête.

Je tends l’oreille et bientôt m’arrivent les premières notes de « Bloody Sunday ». Je souris encore. Réponse du berger à la bergère ?

Je  me refuse à quitter cet état d’apaisement. Je tente de retenir encore quelques instants la douce mélopée de cette fin de journée...

BOUHHH !

Je sursaute en lâchant un cri ! Mes deux serins (envoyés en mission par leur papa ?) viennent de grimper sur la chaise longue et entreprennent une partie de chatouilles en piaillant : « On a faim ! » Je leur laisse le plaisir de glisser leurs mains dans mon cou et sous mes aisselles en riant de bon cœur. Puis je me tortille et  m’extirpe pour aller me réfugier en courant derrière le vieux poirier.  La course poursuite commence. Je contourne le premier, fais tourner le deuxième dans les airs. Olé !

Le ciel s’est teinté de mauve.

La mélodie de Jane s’est tue pour aujourd’hui...

Je m’engouffre dans la maison en criant « Moi, aussiiiiiiiiiiiii j’ai faim !  Qu’est-ce qu’on mannnnnnge ? ? ? »

Retour express dans le tourbillon de ma vie !

Posté par Old_Papistache à 17:01 - - Commentaires [14] - Permalien [#]
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18 mai 2009

Variante (Citronnelle)

Madame,

De quel droit vous allez-vous fouiller dans les affaires d’une défunte et vous mêler de ce qui ne vous regarde pas ?
Je suis un honnête homme, moi ! Je ne veux pas savoir ce que faisait mon nom dans le répertoire de cette mauvaise chanteuse de cabaret  mais ma femme, elle, m’assomme de questions et ne cesse de me houspiller depuis que cette lettre est arrivée chez nous. Elle a 88 ans et n’en est pas  moins jalouse ! Depuis le temps, il y a pourtant prescription !
Mes pauvres yeux ne me laissent pas le loisir de vous en écrire davantage... mais un conseil : jetez ce carnet aux ordures !
Je ne vous dis pas merci !

Jean De Lamacrelle




Madame,

C’est mon aide-soignante, Ghislaine, qui me prête sa main pour rédiger cette lettre. Je suis vieux moi aussi, mes yeux sont fatigués, ma main tremble mais j’ai toujours ma tête et mes souvenirs. Je m’interroge depuis plusieurs jours au sujet de votre lettre et de votre louable requête. Ce sont les petits jeunes qui ont acheté notre maison qui ont fait suivre votre courrier. Cela fait 4 ans que ma femme n’est plus de ce monde et que j’ai quitté l’adresse où votre lettre est arrivée. Mes enfants ont préféré me placer dans cette maison. J’y serais mieux, disaient-ils...Ce n’est pas faux, Ghislaine et ses collègues s’occupent bien de moi...


Mireille Icks (ne s’est-elle donc jamais mariée ?) je l’ai connue il y a bien longtemps mais je n’ai jamais oublié son nom, bien qu’elle soit restée pour moi, « La belle Lou ».

J’étais alors instituteur dans une petite ville du Nord. Elle était chanteuse dans un   cabaret minable, terne et sale mais qui était très fréquenté...Les hommes venaient de loin pour la voir. Lou, la belle. Un ange en dentelle noire. Un ange au purgatoire... Sa voix enchanteresse, je l’entends encore.
J’étais timide, je n’osais trop lui parler. Elle était entourée d’hommes, de ces bons bourgeois pleins aux as. Attention, ne vous méprenez pas ! C’était une femme respectable ! Elégante, ensorcelante, souvent.  Joyeuse et... colorée,  parfois mais jamais vulgaire ! Son parfum de violette la suivait entre les tables du cabaret... Je choisissais toujours une place dans un coin pour être discret. (Un instituteur doit prendre garde à sa réputation, mais n’en est pas moins un homme.) Nos regards se sont croisés plusieurs fois, nous avions même échangé quelques paroles. Une fois, je me souviens, après son spectacle, elle s’était racontée... Mireille, bien moins scintillante que Lou, mais tout aussi touchante... 
Je l’aimais secrètement... J’étais bête, timoré, je n’avais pas l’audace que donne un portefeuille bien rempli  pour le lui dire vraiment.
Un soir, j’avais même acheté un bouquet de roses jaune pâle. Après les avoir cachées toute la soirée sous la table,  je les ai finalement jetées. J’en ai gardé une, entre les pages d’un recueil d’Apollinaire.

C’est ridicule, ne trouvez-vous pas ? Je vois bien le regard amusé de Ghislaine qui couche mes paroles sur le papier. Elle s’en défend poliment, elle a du tact,  mais tout de même, je le sais...

Puis la guerre est arrivée. Je suis parti, il a bien fallu. Quand je suis revenu, elle avait disparu. Ensuite, j’ai rencontré mon épouse, une honnête femme, travailleuse et aimante. Nous avons eu trois enfants, nous avons emménagé dans ce petit village où nous avons fait notre vie et où j’ai effectué toute ma carrière d’instituteur. J’ai été heureux mais j’ai souvent relu ce poème d’Apollinaire en pensant à elle : « Je t’écris ô mon Lou... » Le connaissez-vous ?

Comment a-t-elle retrouvé mon  adresse ? Et pourquoi ? Ces questions ne cessent de me troubler depuis que votre lettre m’est parvenue. Je ne puis m’empêcher de penser que peut-être...

Je ne sais ...et puis, je suis bien vieux pour me tourmenter ainsi.

Je vais demander à Ghislaine de  joindre à cette feuille la rose séchée que les poèmes d’Apollinaire ont  conservé si longtemps. Vous la lui offrirez pour moi...

Merci,
Sincèrement vôtre.

Jean Lamoureux

PS : Monsieur Jean nous a quitté la nuit qui a suivi l’écriture de cette lettre.  C’était un gentil monsieur.

Cordialement, Ghislaine.

Posté par Walrus à 17:01 - - Commentaires [18] - Permalien [#]
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