Fable ornithologique (Célestine)
Si un Micromegas débarquait des lointains
Et se trouvait plongé d’un coup dans la volière
On peut gager qu’il en perdrait son bas latin
Tant les oiseaux d’ici ont des moeurs singulières
Il y verrait le Sarkozinus cabotin
Donner des coups de bec au grand Fillonoptère
Et le Valsoptéryx au fichu caractère
Battre de l’aile sous les coups de l’Hamontin
Dans un coin de la cage, une Marinoptère
Grifferait les médias les traitant de pantins
Tandis qu’à l’autre bout fulminant de ses serres
Le Melanchonistus pourfendrait les crétins
Remontant aussitôt dans sa fusécoptère
Notre géant fuirait, criant au baratin !
Reconversion (Célestine)
Quelques jours après avoir pris possession de sa somptueuse villa, Ernst Kazirra, rentrant chez lui, aperçut de loin un homme qui sortait, une caisse sur le dos, d'une porte secondaire du mur d'enceinte, et chargeait la caisse sur un camion.
Il n'eut pas le temps de le rattraper avant son départ. Alors il le suivit en auto. Et le camion roula longtemps, jusqu’à l'extrême périphérie de la ville, et s'arrêta au bord d'un vallon.
Ernst se dit qu’il allait peut-être trouver là de quoi racheter sa vie d’ancien patron de la pègre. Et que, s’il livrait aux condés cette petite frappe, qui venait de lui tirer le joyau de sa « collection privée », une œuvre qu’il avait subtilisée des années auparavant au musée de Nice, il deviendrait un héros national en restituant l’œuvre aux autorités.
A vrai dire, il voulait se ranger des voitures. Il en avait sa claque des trafics louches, des soirées interlopes et des règlements de comptes dans des bains d’hémoglobine. Celui qu’on appelait « le Boss» ne rêvait plus que d’une chose : couler des jours paisibles dans sa villa de Cap Martin, sans être obligé de garder contre son cœur son calibre à canon scié, et des as de pique dans les manches.
L’homme à la caisse s’approcha du vallon et sortit précautionneusement la statue qui jeta des éclairs d’or mauve dans l’air du soir. Un splendide bronze du XVII° siècle représentant un enfant tenant un poisson. Tout à sa jouissance d’admirer l’objet convoité, l’homme n’eut pas le temps de dire ouf. Ou plutôt si. Il fit ouf sous la violence du crochet au foie que lui dégota Ernst. Celui-ci avait gardé de bons reflexes et savait encore surprendre par-derrière n’importe quel adversaire.
Pour une fois, tout se passa selon ses plans.
Bien des années plus tard, Ernst Kazirra se remémorait ces derniers événements de son ancienne vie, tout en tirant sur un havane avec une mine de nabab. C’était bon d’être un rentier honnête, finalement. Il ouvrit son ordinateur. C’était l’heure où il officiait sur un site en tant que webmaster. Il distribuait les sujets et gérait les participations sous le pseudo de Walrus. Et il n’y avait guère qu’une obscure blogueuse de seconde zone pour l'appeler encore « le Boss ».
Participation de Célestine
Pause
J’étais lascivement affouagé à la terrasse des deux Filons, sirotant ma levantine aux frais rayons d’un maigre soleil de mai. C’était ma pause. Quand l’Albert a débarqué en courtaudant à fond l’émule et en suant comme un camembert sur un puchoir.
- Chef ! Chef ! Y a une bande de freloches qui viennent de s’ faire serrer par l’patron du Grand Biprix. Faut qu’ vous z’y v’niez ! I’z’ont défoncé le rayon des biclous au fortran et au nummulitique !
- Arrête de mutir comme un goret qu’on égorge, y a pas urgitude !
- Mais si chef ! Faut z’y donner des coups d’podion dans l’pluvier à c’t’engeance ! Pour leur z’apprendr’ les bonn’s manières !
- Pfffff…j’ai soupiré. C’qui faut pas faire ! Et là, j’ai assommé l’Albert d’un coup d’bigo dans le musoir.
- Et v’là l’travoul ! J’ai dit aux badauds médusés. Ma pause, c’est sacré !
Participation de Célestine
Fin de journée
Ce soir, j’ai traversé la cour. Le soleil de fin septembre éclairait d’une lumière poudrée les cheveux en broussaille des derniers élèves de la journée. Ceux que l’on vient chercher tard et qui ont toujours peur qu’on les oublie. Leurs petites culottes courtes flottaient sur leurs genoux cagneux, et leurs incisives avançaient en ordre un peu dispersé…
J’ai regardé ces petits poulbots courir après leur balle en mousse un peu élimée. Ils portaient au front toute l’innocence et l’espoir du monde.
J’ai pensé à ces sublimes photos de bébés en trois dimensions, dans la douce transparence du ventre de leur mère. J’ai pensé aux perce-neige, aux lionceaux qui jouent maladroits avec leurs frères, aux bourgeons des saules aux lueurs des aurores printanières.
Un immense soupir de bonheur m’a secouée comme un frisson. J’ai fermé les yeux. Maman s’est approchée de moi avec un gros morceau de clafoutis aux cerises. Elle a arrangé mes tresses en les nouant de rubans turquoise et mauves. J’ai sauté à la corde. Une corde qui avait la soie du temps qui passe sans abîmer les choses. Un lien puissant qui me tient vivante et joyeuse.
J’ai rouvert les yeux. J’ai franchi le portail de l’école en faisant un petit signe aux élèves. « Au revoir, maîtresse ! » ils m’ont crié en agitant leurs mains noires de poussière.
De loin, l’école brillait, comme une orange au soleil couchant. J’ai pensé que ce métier était vraiment ma fontaine de jouvence. J’ai souri.
Enquête (Célestine)
Ding dong !
On sonne chez Epamine, qui a reçu quelques amis dans son jardin pour la rentrée littéraire.
-Bonjourrr Messieurs-dames, gendarrrmerrrie nationale, nous rrrecherrrchons le prrroprrriétairrrre de cette valise, nonobstant et subséquemment ! Elle a été rrretrrrouvée tout prrrès d’ici, aux alentourrrs de vingt-trrrois heurrres cinquante…Saurrriez-vous la rrreconnaîtrrre ?
-Mais, c’est la valise de Célestine, bien sûr ! Quelle joie, s'écrie Epamine.
-Trrrès bien, et comment en arrrivez-vous à cette conclusion aussi hâtive que pérrremptoirrre, je vous prrrie ?
-Regardez : elle est bleue comme la mer de juillet sous le zénith, et toute éparpillée d’étoiles, dit Nhand. Ça ne trompe pas !
-Ouvrrrez-la donc, prrrésentement, que nous jugions de la vérrracité de votrrre déclarrration !
-Mais oui, je confirme, monsieur l’agent, dit katy…
-Parrrdon : vous voulez dirrre monsieur le brrrigadier-chef !
-Si vous voulez…mais voyez : à l’intérieur se trouvent des souvenirs d’été, s'exclament Vegas et Sebarjo. De beaux souvenirs apparemment… Regardez, sentez ! L’odeur de Paris qui s’éveille et secoue ses grands arbres au ciel du matin, celle des lavandes et des tilleuls, de belles fougasses dorées…Un marché de Provence, quelques bernaches du lac de Vincennes, un concert de jazz, des étoiles filantes, des sapins et des chamois, une pièce de théâtre fabuleuse devant un château somptueux, la mer qui danse en papillotes , les neiges éternelles et le défilé du quatorze juillet. Des livres sur la plage et des éclats de rire. Et des heures de bonheur grave avec des êtres chers.
-Et de l’amour, de l’amour encore et toujours…dit Titisoorts
-Ah ! L’amour…soupirent Lorraine et Joye en chœur.
-C’est ma foi vrrrai ! Et où trrrouve-t-on cette demoiselle, subséquemment ?
- Voilà justement la revenante…murmure Joe Krapov.
-Célestine !!! Mais tu nous avais oubliés, non ? disent en chœur Jak, Fairywen Enlumeria et Map …
-Mais pas du tout, comment aurais-je pu ? dit Célestine. J’avais mon petit Walrus en peluche pour penser à vous, et mon porte-clé Bongopinot en plexiglas. Mais je suis très heureuse de vous retrouver. Vous m’avez manqué…
-Dans mes bras, sister ! dit Epamine. Tu prendras bien une tasse de thé ?
Leçon de ponctuation (Célestine)
- Maîtresse, parle-nous de la ponctuation.
Le Prince du Loch (Célestine)
-Hola ! Myrmidon, comment céans pénètre-t-on?
-Il vous faudra, messire, semer trois poils de mandragore dans le calice de cette fleur de pourpier, tout en récitant le Kâma-Sûtra à l’envers. Qui cherchez-vous ?
-Je cherche, vile fourmi, Nessie, prince du Loch et des landes désolées.
- D’abord la fleur de pourpier…
- Voilà qui est fait. Me donneras-tu la clé ?
- Et le Kâma-Sûtra ?
-Si fait, et à l’envers, comme demandé. Puis-je, chétif insecte, excrément délétère ?
-Entrez, messire, dans le palais improbable des créatures. Prenez garde aux colimaçons !
-Je connus en Chine il y a longtemps des ouvriers bâtisseurs de maisons, des coolies maçons… Sont-ce ceux-là ?
-Nenni, ceux-là sont pis que des méduses et des scorpions. Ils vous emporteraient sur le Styx en un instant…
-Le Styx…n’est-ce point là que Cerbère jadis…
-Le pauvre vieux cabot, hélas, n’est guère plus bon à rien, il vend des cartouches de tabac au rabais à la frontière des Pyrénées…
-Hola ! Aimable reptile, je cherche Nessie, prince du Loch et des terres désolées. Me diras-tu où le trouver?
-Je suis l’Hydre de Berne, monstre financier multinational aux bourses pleines. Je me nourris de stokopcheunn… Poursuis ton chemin, étranger, il est trop tôt, je préfère les princes du cas tard !
Hola ! Etrange cheval volant et nauséabond, connais-tu Nessie, Prince du Loch et des friches ventées ?
-Mon nom est Pet-Gaz de Schiste, je fais des prospections aériennes pour le compte de Total Pétro Léhomme Limited. Et je n’ai point aperçu dans mon radar celui que tu cherches.
Hola, bizarre volatile, connais-tu Nessie, Prince du Loch et des nuées embrumées ?
-je suis la Fée Nixe Dézotte Decébois, et je vends des maisons en carton, les fameuses maisons Fée Nixe. Désolée, je n’ai pas de client de ce nom dans mon listing de mailings.
-Hola, Etrange et visqueuse chose, connais-tu bien Nessie, Prince du Loch et des torrents pollués?
-Non, je retourne dans ma Lozère, je tiens une salle à Mende, et n'ai point temps à rêvasser. Je risque une sale amende!
-Hola, homme-tronc sans tort, infâme bovidé, qui me dira où se cache Nessie, Prince du Loch et des chemins empierrés ?
-Je suis Centaure et sans reproche, en effet, et ne connais que les routes bien goudronnées, car j’organise des stages de conduite et de sécurité routière. Avez-vous votre permis ?
Mais enfin, bande d’Hippocaméléphantocamélos, salamandres, licornes et poils de chameau ! Personne ici ne connaît donc Nessie, Prince du loch et des forêts entourbées ?
-Si fait, l’ami ! Moi je le connais !
-Ah ! Enfin ! Mais qui es-tu donc, impressionnant géant ?
-Je suis Atlas Desmeublescanapéssalons, frère d’Axis Desassurances Dumêmenom.
Jadis, au jardin d’Olympe, je trouvai dans ma salade un gros vers blanc, qui se coinça dans ma molaire. Dégoûté, je le crachai dans une flaque que les humains appelaient Ness. Ils en firent tout un pataquès.
-Tu m’en vois tout ébaubi ! Le Prince du Loch ? Un ver ? Un misérable asticot ?
-Eh oui, l’ami, Shakespeare lui seul le savait : il en a écrit une pièce.
- Et quelle est-elle, pédant colosse ?
-Eh bien parbleu…« Beaucoup de bruit pour rien ! »
Charing-Cross (Célestine)
Il courait comme un fou à perdre haleine sur les dalles noires et blanches du sol de la gare. Il jouait sur ce damier géant son dernier joker, tel un roi déchu de sa tour. Et les voyageurs semblaient devant lui comme des pions innombrables freinant sa route.
« Bataille perdue ! Echec et mat ! » Répétaient les haut-parleurs de Charing-Cross.
Au jeu de l’amour et du hasard, il lui semblait pourtant qu’il n’avait pas encore joué sa dernière carte, ni dit son dernier mot. Il lui fallait la rattraper avant que le train de la vie ne l’emportât à jamais.
Alice ! cria-t-il en croyant apercevoir sa chevelure brune sur un duffle-coat rouge sang. Pardonne-moi!
Un gigantesque lapin blanc tenait dans ses pattes l’horloge monumentale de la gare. Ses dents énormes lui faisaient un rictus ignominieux.
Et la vapeur de la locomotive commençait à envahir le plateau de jeu, de son panache cotonneux. Les silhouettes paraissaient moins nettes. Tout se fondait dans une brume de silence et d’angoisse.
Alice, je t’aime ! hurla-t-il, bousculant sur le quai un nain jaune qui le menaça de son poing, les fesses aplaties dans la neige molle de novembre.
Mais aucun son ne sortit plus de sa gorge étranglée.
Tous ces personnages ricanant, grimaçants, n’étaient que des quilles sans importance sur la piste d’un bowling dérisoire. Pourtant il avait l'impression de comparaître devant ses juges. Le train s’ébranla. Le rideau de fer de la boutique « La Dame de Pique » retomba lourdement avec un fracas de tonnerre dans son cœur lacéré.
Midi sonna, il trébucha.
Alice…
Il regarda longuement le long monstre d’acier qui emportait sa reine.
Et s’offrit à ses dents de métal hurlant, dans un long cri silencieux.
Magie étincelante (Célestine)
Je me suis calé les fesses dans l’herbe tendre, avec deux trois épaisseurs quand même.Tous mes schtroumpfs autour de moi.
L’air de la montagne est frais, le soir, même en juin. On claque vite des dents à attendre sans bouger le spectacle stellaire. Un voyage saisissant, qui change à tout jamais celui qui a la chance de le faire.
Une demi-lune splendide monte à l’est. Toute en ombres et lumières, en nuances et en cratères. Le crépuscule s’effondre, remplacé par symphonie de diamant et de velours.
-Maîtresse, maîtresse ! Regarde ! La reine Casse-les-Pieds !
Je souris…c’est ainsi que l’animateur d’astronomie leur a présenté Cassiopée. Difficile d’imaginer une reine dans ce simple
W !
-Maîtresse, maîtresse ! La grande Casserole !
Mais où ça, une maîtresse d'école ? Je suis la fée des étoiles, voyons, et je répands ma magie blanche dans vos yeux, par la vertu de mon stylo-laser qui scintille de son rayon vert.
La couleur grenadine d’Antarès la Rouge annonce déjà le Scorpion et sa forme gracile qui raviront les observateurs de l’été.
Au-dessus de vos têtes, presque au zénith, le Bouvier a la forme d’un gigantesque cerf-volant, et la Couronne Boréale est à ses côtés un diadème précieux.
A leur âge, les enfants, s’ils ne sont pas encore sensibles à la magique fureur étincelante et glacée de l’univers et à sa dimension philosophique, se laissent emporter par les légendes qu’ils se récitent comme des psalmistes. Des histoires de reines déchues, de héros mythologiques aux pouvoirs insensés, de bêtes étranges ou monstrueuses, dragon, centaure, cheval ailé.
-Maîtresse, maîtresse ! Montrez-nous le Cygne ! le Dauphin ! Et le Triangle des Belles de l’été, Altaïr, Vega et Deneb!
Et la fée des étoiles reprend inlassablement sa baguette, pour graver dans le coeur de ses élèves un peu de la passion qu'elle éprouve, et de cette étrange sérénité qui l'envahit.
En même temps que la conscience soudain très aiguë de la vanité de toute chose sur terre. Comme nous sommes seuls, éperdument seuls dans un univers hostile de gaz, de glace et de poussière! Perdus et éperdus sur notre point bleu pâle...
Elle voudrait tant trouver la paix dans la contemplation de ces nuits somptueuses, et refuser avec énergie la vieillesse, la peur, la mort et l'oubli et toutes ces petites idées bizarres qui viennent parfois lui grignoter l'âme comme des termites!
Alors elle lance un grand cri silencieux à ses doutes, et retourne en riant vers la joie des enfants. Comme une fée.
Spleen (Célestine)
Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose de vent en haut du Mont Saint Clair
A capté, fugitive, l’or du premier soleil
Sur la ville endormie dans ses troubles merveilles
Et dardé ses rayons sur mon cœur entr’ouvert
Alors j’irai m’asseoir au bout des crépuscules
Regarder le soleil s’effondrer dans la mer
Et les bateaux me paraîtront si minuscules
Du haut des Pierres Blanches où le ciel est si clair
Dans le port, les marins tutoieront les étoiles
Et l’ombre de Brassens enserrera mon cœur
Cependant que la nostalgie comme une voile
Bercera en mon âme une morne douceur
Et de l’Etang de Thau au bar de la Marine
De la Corniche en fleurs à ton blanc cimetière
Je trainerai partout un indicible spleen
La rose aura percé la pierre de l’hiver
Les blancs chevaux d’écume en leur mousseux cortège
Crieront comme les mouettes ce malheur fatal
Une rose a percé la pierre de la neige
De ses maudits piquants sur le pont du canal