Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 049 951
Derniers commentaires
Archives
30 mars 2010

Avoir des absences caro_carito

Le temps de compter jusqu’à cent.
Je        ne          l’  ai                  pas
Pas    même   au   bout   des   doigts
J’ aimerais    bien,    bon   sang !
Dévider un peu les fils des mots
Juste pour vous, pour fêter
Cette semaine échevelée.
Alors, je dis de justesse: banco!...
Je ne vous lirai pas,    délirants,
Ni ajouter en bas de page, un signe
N’empêche, je ne la jouerai pas indigne.
Vous n’aurez qu’à compter jusqu’à cent
(Je suis déjà aux cent coups) ! Pas plus
Pas moins. Pour tout dire,  motus
Cette fois-ci, pas de texte absent

Le plaisir d’un trait de plume.

 

Publicité
27 mars 2010

Trésor (Caro_Carito)

En aparté : ma merveilleuse merveille pour les défis du samedi s’enracine dans la rencontre de l’amitié, la musique et la réconciliation. Elle s’appelle Gaspard de la Nuit de Ravel.

Collusion

Elle m’a tendu les billets qu’elle avait récupérés à l’entrée. Je les prends, les yeux perdus dans le vaste hall. Une éternité depuis que je suis brouillée avec les robes pincées qui s’étalent et les cravates impeccablement nouées. En froid avec les arpèges et les mouvements en mi mineur ou d’autres. Les fauteuils cramoisis et les mesures qui s’envolent sans assauts de basse et de guitare électrique me semblent autant étrangers que les lancinantes harmoniques indiennes. Elle me sourit, consciente de m’avoir traînée de force dans la fosse aux lions, engoncée que je suis dans ma jupe droite et mes escarpins douloureux.

Je m’assois sans jeter un coup d’œil au programme, je fixe le piano luisant. Depuis combien de temps, n’ai-je pas écouté quelques mesures de Chopin, ou même Schubert. Un vieux livret aux pages fragiles et odorantes, trônait sur le bureau, une mélodie, un souvenir de cordes pincées. Un nom, Anna Magdalena Bach, des pièces pour clavecins. Des touches jaunies, une note toujours fausse au bout de mon petit doigt. Le feutre et sa frange perlée avec laquelle je jouais machinalement avant de rabattre le lourd couvercle vernis. Je prenais au passage ma dîme d’un bonbon au sucre fondant, mon préféré, celui au glacis vert tendre, j’embrassais mes voisins qui me donnaient gentiment asile pour une demi-heure de notes vives ou écorchées. Un piano à demeure, c’était trop cher. Et puis, plus rien, le silence qui s’installe, mes visites de moins en moins fréquentes. Cette angoisse, presque haine, au creux du ventre chaque mardi dans la salle Mozart. Les propos en ricochet acérés, cette main sèche, lourde d’une bague de fiançailles vieillotte et d’un anneau, s’abattant cette fois-là sur mes doigts maladroits. Plus jamais les touches blanches et noires, plus jamais faire retentir les notes argentines, juste des larmes avalées jusqu’à la lie et le silence.

J’écoute l’accent flûté d’Adelina me raconter les premières lignes du programme, le passage décrit comme diabolique techniquement. Ravel, oui, pourquoi pas, cela présage une touche mélancolique. Elle m’indique le nom de l’œuvre, Gaspard de la nuit. Je tressaille, le titre sonne comme un tableau de Caspar Friedrich. Il est trop tard pour m’éclipser, j’avais accepté l’invitation pour le plaisir d’une soirée entre amies, sans penser à un traquenard innocemment mis en place. Il me faut rester.

Les rangées se taisent dans un frissonnement de tissus et de velours rouge. Un homme en frac noir s’installe devant le clavier.

Je n’entendrai bientôt plus que ses mains.

20 mars 2010

Debout (Caro-Carito)

Le lieu à changé. La lumière aussi. Dernier brigand est là, enveloppé d’une chemise constellée d’éclats de peinture. Un trio de fillettes s’affaire autour d’un débordement de tubes et de gouaches. Le petit bonhomme nettoie soigneusement ses menottes et décroche son duffel-coat râpé. Je suis sa course furtive dans les couloirs défraîchis. A travers les vitraux de poussière, la lumière entre à flots, berçant l’école endormie de ses pépiements de printemps. Je marche sans bruit, attentive à ces salles vidées de toute fureur écolière. Du haut de l’escalier, j’aperçois la cour voisine et les slips d’un grand-père alignés au cordeau, en une comptine de coloris défraîchis. Une porte entrebâillée laisse danser les copeaux de soleil.

Je balaye du regard les fantômes d’enfants jouant à la marelle. Je revisite en catimini cette enfance passée, ces souvenirs aussi vivaces qu’un poème de René Guy Cadou : la vieille école maternelle près des bords de Sambre où ma mère me conduisait en souriant. De la terre jusqu’au ciel, j’aimais bondir très haut, un caillou lisse à la main. Dernier brigand a atteint le portail de l’entrée. Un dernier survol de la cour goudronné, vierge de toute course et j’aperçois la loge du gardien. Et devine sans doute, là-bas, dans le coin ombragé, des nattes s’envolant au rythme d’une corde à sauter ou d’un élastique tendu. Sans oublier ces visages malicieux qui se poursuivent, le temps d’un épervier.

Mon petitou marche à mes côtés. Le vent qui sévissait les dernières semaines a cessé de nous emmitoufler de nuages poudreux et d’une embrassade glaciale. Je m’attarde sur les graviers crème qui roule sous mes pas, les routes meurtries par le gel. L’hiver s’enfuit, laissant place au ballet des ravaudeurs de bitume qui encombre les trottoirs et les rues. Nous slalomons, tranquilles, entre barrières et tranchées à vif.

Quelqu’un pourrait croire que j’emprisonne le temps dans une cage de mots, des phrases serrées que j’inscrirais dans les feuilles pâles de mes souvenirs. Mais non. Je le laisserai libre de voleter autour de moi, de redessiner les contours de ces instants-là. Dans une semaine, un an, qu’importe, je fermerai les yeux et tout se détachera avec netteté devant moi. Les minutes qui passent, tout comme cette poussière qui vole, me rappellent qu’un jour, moi aussi, j’entrerai dans la valse lente et silencieuse de la mémoire : celle des autres. En attendant, je ferai résonner mes mots et je barbouillerai de couleurs toutes ces heures gravées en moi. Comme un défi, une gageure…

13 mars 2010

L’avenir de Clém (Caro_Carito)


Clém leva les yeux de ses notes. Plus que trois minutes avant la pause sandwich et quelques longueurs, piscine Molitor. D'une charge de patron conquérant, Jean-Alban franchit la porte et précipita quelques phrases. Elle avait à peine eu le temps de regarder le dossier rouge qui venait d’atterrir sur son clavier, qu’elle se trouvait à nouveau seule dans son réduit sans lumière. Elle frissonna - pas tant que ça - si elle tenait compte du souvenir odorant du fils du boss, ses pellicules, les taches grasses sur ses chemises et les vociférations, chaque lundi matin sur le répondeur, de ses maîtresses délaissées.

Elle lut en diagonale la dépêche. Un nounours offensif posé dans un endroit stratégique pour une poignée de péquenots américains. Le scoop du siècle. L’ordre de mission était clair, ramener un papier de là-bas. Il était temps pour Clém, stagiaire à l’avenir journalistique incertain, de boire une pression cuivrée comme ses taches de rousseur, histoire de faire passer l’odeur faisandée de « Uno, le journal de toutes les Une » des Margouillers Père et fils et de mettre ses idées à plat. Elle fourra le dossier dans son baggy d’occase et dévala les trois étages qui la séparaient de l’esplanade.

Elle avait avalé la moitié de son sandwich quand elle se décida à sortir le maigre feuillet. La saveur amère de sa Grimbergen et les cornichons qu’elle croquait comme des bonbons avaient chassé l’odeur aigrelette des locaux où elle s’étiolait. Un ourson borgne la contemplait depuis un fax baveux avec un rapport de police rédigé en mauvais anglais alarmiste. Le shérif local avait réussi – oh exploit ! – à glisser Al-Qaida dans ce qui ressemblait plus à une blague de potache qu’autre chose. Dépitée, Clémentine se rabattit sur Le Parisien, le seul journal à avoir échappé à la mauvaise passe qui vidait le Paltoquet de ses clients et de ses lectures. Une crise qui avait pour nom Starbucks et un goût de café lavasse imbibé de carton. Elle venait d’ouvrir au hasard  le quotidien: en troisième page où elle put contempler le portrait grimaçant du Commissaire Rappaport. Elle l’entrevit aussi, juste derrière l’épaule de l’épais personnage. La photo ne lui rendait pas justice : pas un sourire, les sourcils froncés, plutôt grand mais légèrement vouté. Fabien Despinasse.

Elle l’avait rencontré pendant l’affaire qui l’avait rendu célèbre. Il n’était pas encore inspecteur. Pourtant, il avait réussi à dénouer le complot ourdi par les Nez rouges, une association à première vue inoffensive. Elle se souvenait de la terreur que ses vengeurs déguisés avaient semée dans toute la ville : attaque systématique de fumeurs impénitents, agression sur automobilistes irresponsables. En bref, représailles contre tout citoyen qui s'accomodait un peu trop des lois et qui portaie préjudice à la communauté tout entière. D’ailleurs, le schéma de départ des deux menaces terroristes semblait être strictement similaire. Un nez rouge assez volumineux déposé devant la gare Saint-Lazare. Un nounours idiot mis en évidence…

Mais… Bien sûr elle le tenait son papier! Elle sortit son portable antédiluvien et tapa les chiffres qu’elle avait souvent caressés du regard sans jamais avoir osé les composer. Pourtant, elle avait failli croire que quelque chose se passait, ce jour où elle couvrait l’arrestation de tous ces redresseurs d’ordre social au tarin rubicond. Il avait griffonné son numéro perso au dos d’une carte et avait enregistré le sien au cas où … Au final, pas le moindre bip. Silence radio. Elle avait laissé choir tout espoir.

Elle s’apprêtait à laisser un message quand il décrocha. Elle lui expliqua brièvement la situation. Il parut intéressé et convint d’un RV vers 16h. Clém avait juste le temps de régler les formalités et les impératifs pratiques du voyage. Le vol décollait d’Orly à 21h48 le soir même.

Fabien Despinasse arriva avec ses cinq minutes réglementaires de retard et lui offrit un café au comptoir du Paltoquet. S’enquit des évènements. Il parut réfléchir pendant un temps interminable et lui demanda de le contacter en cas de nouvelle appartition d'une menace pelucheuse. Elle sentit diffusément qu’il se moquait d’elle, mais jugea inutile de relever. Il ne lui restait plus qu’à rentrer et laisser son bureau en ordre et commencer à suer sang et eau pour pondre un article sensassss – venait de préciser le fils Margouiller en levant haut ses longs bras maigres emprisonnés dans une chemise marronnasse qui accusaient deux superbes auréoles sous les aisselles.

Dans le taxi qui l’amenait à l’aéroport, un SMS s’inscrivit en lettres digitales, « autre nounours, urgence article. » Est-ce son imagination, mais elle jura que le conducteur avala d’une traite, dès réception de ce message sibyllin, les kilomètres restants. Elle appela le Uno, qui n’avait aucun détail supplémentaire à lui fournir. Le taxi la déposa face au guichet de l’enregistrement des bagages. Une demi-heure plus tard, elle s’apprêtait à subir la désagréable fouille de ses effets quand elle entendit une voix, trop proche pour être réelle. Elle tourna la tête, c’était lui. En un mot, il lui expliqua la situation plus clairement qu’une dépêche de l’AFP. Oui il avait mis au courant le commissaire Rappaport.  L’arrivée de la deuxième bestiole poilue avait décidé de l’envoi d’un spécialiste. Il s’était alors proposé et avait pris un billet. Quelle coïncidence ! Vol identique à celui de l’apprentie-reporter rousse et compagnie idem, jusqu’aux horaires… . Ils embarquèrent côte à côte et atterrirent au bout de plusieurs heures sur le sol oregonais. Ils purent constater que le deuxième nounours avait fait évacuer les immeubles des alentours. Au milieu de la nuit, la bestiole s’avéra anodine, elle-aussi.

Vers 2h du mat, heure locale, l’inspecteur Despinasse et celle qu'il avait promue coéquipière se retrouvèrent exténués dans la seule chambre disponible de la ville. Elle s’endormit dans l’étroit lit et lui sur le canapé, dès qu'il eurent rédigé l’article assassin demandé. Exit par fax vers la salle de presse parnassienne où les mains aux ongles rongés de Jean-Alban les saisirent illico.

Au bout d’une journée et d’une nuit à se morfondre, pas l’ombre d’un troisième nounours, ou alors à l’abri d’un landau... Il était temps pour le duo de plier bagages. Pour calmer la terreur qui s’emparait de Clém à l’idée de prendre l’avion, Fabine Lespinasse tendit un petit sac en carton. La jeune femme en extirpa un doudou plantigrade, rigoureusement identique à ceux photographiés sur les mises en scène de faux attentats. « Mignon, non ? » Elle contemplait incrédule le nounours. « Je suis désolé pour votre rigueur journalistique, mais j’ai sauté sur l’occasion pour vous approcher ! Vous ne m’en voudrez pas ? » Elle faillit lâcher un mot bien senti, mais finalement se ravisa. Après tout… il avait toujours eu l’air tendre, ce jeune teddy bear.

6 mars 2010

Les fauves (Caro_carito)

J’ai quatre minutes. Même pas la peine de scruter les aiguilles de ma montre. Quatre fois soixante précieuses secondes pour effacer le rouge au ton de fraise écrasée qui déborde. Je fais la moue, je hais mes lèvres renflées, pulpeuses. Elle me donne un petit air déplacé pour un directeur des Ressources Humaines. J’ai quatre minutes, pour encaisser la présentation imminente aux forces vives de la boîte, c’est-à-dire le comité de direction, de ma future ombre professionnelle. Eh oui ! Big One Mégaloman m’a affublée d’un adjoint, jeune, bardé de diplômes et d’un papa éminent. Thierry Stocal…. Il me faut retenir ce nom qui, en temps normal, m’aurait fait éclater de rire. Mais l’idée d’avoir un toutou savant dans mes basques, que ce morveux ait pu, de surcroît, être installé dans mon bureau, avoir une place de parking à côté de la mienne. Et de l’apprendre par mail en même temps que les urgences et les ratés d’hier… j’ai failli avaler mon café de travers. Ça ne passe toujours pas. En gros, avant même qu’il ait mis un pied dans la boîte, la seule chose que nous n’avons pas en double se résume à l’imprimante et Jessica, promue secrétaire partagée, et le salaire ; le mien aligne encore quelques stock options et crans supérieurs côté barème. La prime annuelle, j’espérais désormais qu’ils ne la diviseraient pas en deux.

J'ai réagi dans la minute suivant l’arrivée du mail. J'ai lâché mes chiens, la fidèle Jess, les deux stagiaires qui ne rêvaient que de voir leurs six mois en tant que grouillot de service transformés en sésame à durée indéterminée, pour savoir qui était ce Thierry S. Toujours connaître son ennemi, son ami, son collègue, son amant, son mari, failles, points forts, potentiel, relations. Se fier à l’instinct. Le rapport du trio de limiers m’a été remis, il y a à peine cinq minutes. Et j’ai mal au bide à en crever. Ce petit c… a réussi à transformer la filiale vendéenne percluse d’impayés et de litiges en réussite à deux chiffres en terme de croissance et à liquider sans faillir tout une charrette de bons et loyaux serviteurs. Papa a bien l’expérience anglo-saxonne du tailler à vif dans la chair des masses salariales. Quant à son pedigree, le jeunot frôle la perfection, centrale, master franco-américain, souplesse dans l’exercice des langues. Même le mariage est profilé avec les deux rejetons aux noms de vieille noblesse décomplexée siégeant à deux encablures des Buttes Chaumont. J’en ai des palpitations. Trois minutes pour évacuer la tension. Les abdos serrés à bloc et l’expiration biseautée, je pénètre dans la salle de réunion.

Surprise, j’ai beau regardé à deux fois, pas de Thierry Trucmuche. Ou alors il est devenu brun, avait des lentilles de contact et des talonnettes. L’autre option étant la nécessité rapide d’un contrôle technique chez mon ophtalmo. A l’allure embarrassée de Big One, je comprends illico qu’il y a un bug. Mon ombre à venir est passée à la concurrence. Exit Thierry. Welcome Alexandre.

Je profite d’une diversion avec l’entrée d’un plateau d’expresso et d’une Cyrielle ou Marjorie, juchée sur escarpins griffés pour observer l’animal. En l’absence de cv et d’investigation, il me faut me rabattre sur des méthodes plus primales, l’observation in vivo, l’attitude du sujet en milieu naturel ou hostile, la bonne vieille méthode expérimentale qui, je l’avoue malgré mes ronflants diplômes en psy me paraît souvent la plus judicieuse. Je note en vrac : bonne diction. Tenue de travail sobre, mais sans excès. Remerciements à la pulpeuse créature préposée au ravitaillement sans ce quart de minute fatal qui transforme le plus doux collaborateur en homme comme les autres, capable d’évaluer une taille de bonnet et des mensurations en trois coups d’œil et qui le range aussitôt dans les « on-travaille-ensemble-depuis-longtemps- ça te dirait…» potentiels quand l’occasion arrosée d’un ou deux verres se présente. Alexandre, sur une invite de big boss, se lève et se présente sans ostentation, commet à la louche trois erreurs qu’il efface d’une excuse désolée et .. sincère.

Bigre, l’adversaire est de taille, je ripe sur sa haute stature décontractée ; d’habitude, il suffit de passer à la moulinette les phrases toutes faites, de déterrer une minuscule ambition mal dissimulée, des habitudes taiseuses qui dépassent. Là, rien. Nothing. Le gaillard affiche des défauts humains, une beauté que quelques aspérités adoucissent, une bouche irrégulière, une mèche rebelle, un anglais audible, mais qui se pare d’un reste scolaire parfait pour rassurer la moitié des cadres autour de la table (ils n’alignent pas plus de trois mots dans la langue de Keats ! ). Un peu de culture, mais point trop faut. Même la gestuelle, sa posture coulent de source ! Il énonce quelques vérités avec la facilité de celui qui les a faites siennes. Pas de faux semblants. Juste une idée qui a été travaillée au corps. Il n’y a rien de pire qu’un collègue qui affiche une opinion que l’on devine n’être là que pour la parade. Au moins, le jeune Alex ne fera pas partie du clan des faux derches qui se reproduisent dans ces locaux aussi vite qu’une tribu de rats parisienne. Ou de cafards ; oui cafards collent mieux à ces pauvres minables.

Diantre, le nouveau venu s’avère soit très fort soit… Mon nom fut prononcé, Jasmine. Je relève la tête, chasse l’envie brûlante de jouer au directeur policé et finalement je fais, comme d’habitude, dans la clarté et la sincérité sans exagération. Du cousu main. Je bute sur un concept, me rattrape avec simplicité. Du coin de l’œil, je remarque qu’il me jauge, de la tête au pied, attentif à chacune de mes paroles.

Nous nous levons tous de concert, les pontes filent dans leurs tanières, pour répandre à tous les étages, leurs impressions sur le petit nouveau. Accompagné de M. Darpuit, l’autre cadre du service, je fais le tour de l’étage, flanquée de ma nouvelle ombre adjointe pour une rapide présentation et le traditionnel repérage des lieux.. Un étrange ballet s’énonce entre la jeune recrue et moi. Nos corps se frôlent, se cherchent et esquivent sans qu’il nous soit loisible d’interférer dans les déplacements. Une sorte d’attraction primitive. Une ou deux fois, le rouge me monte aux joues. Lui bafouille quelques excuses. Il est midi. Jess a quitté les lieux, pause oblige. J’argue d’une course à faire pour ne pas déjeuner avec mes deux collègues. Ce n’est pas très glorieux de laisser Alexandre dans les mains du soporifique Darpuit, mais j’ai besoin de rassembler mes pensées dépareillées et mises à mal par tant d’impromptu.

Je m’arrête au petit bistrot dans l’angle de la rue de la Roquette. Une habitude pour me dévêtir du stress du bureau. Si ce gars-là n’est pas le mec, le plus cynique, le plus rusé, le plus diabolique que j’ai croisé dans cette fosse aux requins, qui est-il ? Je dois me rendre à l’évidence, j’ai peut être affaire à… Je lève mes yeux. Un sourire amusé, « vous êtes vin rouge, n’est-ce pas ? Je me suis permis ». Il est là devant moi, et pose deux verres sur la table. Je fais un vague geste vers la chaise.

Je dois me rendre à l’évidence, j’ai peut-être affaire à mon alter ego…

Publicité
27 février 2010

Décalage temporel (Caro_Carito)


 
Décalage temporel

Olivier commençait à trouver le temps long et se mit à étirer l'élastique de l'épais dossier. Rouge. Ventru et boursouflé. Aussi haut que ces heures d'ennui et d'obstination en british sans l'accent d'Oxford. Il leva la tête vers l'écran géant sur lequel se détachaient la bedaine presque séduisante, sous la chemise immaculée et italienne, du Directeur adjoint de la maison mère Lost or No costs et le sourire enjôleur de Mrs Drumond. Les minutes avaient dû se déstructurer entre Ottawa et Paris. Quand tous se levèrent, l'heure discrète de sa Baume et Mercier indiquait qu'il allait bientôt être quatre heures du mat.

Le défaut de murmures d'oiseaux le réveilla. Il habitait usuellement assez loin, au-delà du croissant de bois du Nord parisien. Il souleva les lamelles métalliques de la persienne. La Défense était vide, ni balayeur, ni travailleur matinal. La grande dalle claire s'étendait sur la ligne franche dessinée entre les Champs et le début de Nanterre, ses jardins, ses passerelles en bois et son cimetière. Il se dirigea vers la douche, privilège de haut et jeune gradé et enfila l'un de ses costumes de rechange. Un Boss discret. Un café, où il tremperait un muffin industriel, calmerait sa faim. Les deux plateaux repas qui avaient accompagné les réunions de 13h et de 20h15 étaient infects et toujours intacts, le dernier tour de vis de la division contrôle des coûts à n'en pas douter. Il franchit le sas d'entrée après avoir salué le gardien de nuit. Il ne ressentit pas la moindre sensation de froid en s'aventurant sur les rectangles ordonnés, un vent tiédi par la nuit s'étiolait contre les lignes cassés des tours et de l'arche immaculée.

Assis sur un banc, il n'avait pas encore sorti de son emballage le muffin pâteux à l'arrière-goût de chocolat. Il avait juste posé le gobelet rempli de café clairet à côté de lui. Soudain, une voix toute proche. Il se tourna vers la gauche. Un vieillard était assis à ses côtés, souriant. La première chose qu'il remarqua fut le melon impeccable qui coiffait sa chevelure argentée. « C'est mon oncle. Vous regardiez bien mon chapeau, n'est–ce pas ? Il me l'a offert jadis. Enfin mon oncle... Un homme qui habitait plus haut dans la rue et qui l'avait confectionné. Il tenait une boutique rue Lepic. J'avais quatorze ans quand j'y suis entré comme commis. Lui avait repris l'entreprise d'un Aristide Bombec, un Breton arrivé sur le tard ici et qui avait avant racheté le pas-de-porte puis les murs à... La mémoire me joue parfois des tours. » Le vieillard se courba un peu sous la chiquenaude de la brise matinale. « Bref, je vends des chapeaux depuis la nuit des temps. » Et sa voix sembla se briser. Il tendit le noir couvre-chef à son voisin. Celui le caressa ; apprivoisant doucement le feutre lustré. Il leva les yeux, à nouveau étonné : pas une âme, pas plus près du métro que du trio de statues colorées et futuristes. Il s'attarda sur le balancement grinçant d'une grue de chantier, jaune, et les dernières années de sa vie laissèrent place à des senteurs de voyages, des bruits d'arrière-boutiques emparcheminées, un parfum de canopée.

Quand il ouvrit les yeux, l'étrange vieillard avait disparu, il se leva et se dirigea vers la façade vitrée et impeccable de l'entreprise d'audit qui dévorait sa vie. Un coup sur l'épaule gauche le fit vaciller alors que la double porte s'ouvrait en glissant. Il découvrit, roulant à ses pieds, un chapeau melon d'un anthracite presque noir. Il le ramassa, avisa une tache et voulut sortir un mouchoir pour l'épousseter quand il trouva un papier plié en huit au fond de sa poche. Il le déplia et découvrit une feuille officielle recouverte de pleins et déliés vieillots, griffés à l'encre violette. Il ne se retourna pas. Il savait qu'un vieillard, tête nu, l'observait, un vieil homme appelé Casimir Carens. Ou alors Aristide Bombec ? Et que cet inconnu lui léguait à lui, Olivier Darsin, une minuscule chapellerie montmartroise, en contrebas du Moulin de la Galette.

Une semaine plus tard, au 33, rue Lepic, le jeune homme fraîchement licencié manu militari ouvrit pour la première fois la devanture du « gai galure ». Un mois après, il découvrit, dans la réserve du fond, une porte soigneusement dissimulée. Quelques marches de pierre menaient à un cabinet de curiosités déjà correctement pourvu.

Un an passa. M. Olivier Darsin fermait pour la première fois sa boutique pour une période de vingt-huit jours. Dans sa poche un billet pour le Laos, sur sa tête un chapeau melon.

13 février 2010

Le bruit de l’acier est glacé sur ma peau. (Caro_Carito)

Sans doute le champagne. Je n’ai rien entendu ; pas même un bruit de pas. J’avais cette gueule de bois d’après les mots de trop. Cela me prenait de plus en plus souvent, ce mal de crâne quand je le voyais. Paul. Il fallait que cela cesse ; seulement après, il me faisait le coup des yeux de chien battu. Je n’ai jamais sur résister à la peine d’un homme. Je revenais, il me demandait pardon et puis…

Pas ce soir. Mes tempes étaient brûlantes et les nuages d’orage avaient, dans leur maraude, avalé lune et étoiles. J’aurais voulu qu’il garde sa jalousie dans sa poche, qu’il ne me suive pas comme si il était le gardien de mon corps. A défaut de régner sur mon âme.

Sans doute le champagne. J’avais trop ri avec les cousins de la mariée. Et son frère dont je gardais encore le souvenir violent d’une peau d’épice. Fine. Paul, en me voyant si gaie, si lointaine, avait eu ce mouvement violent malgré le costume et la cravate de soie. J’oubliais le rire de ce Guillaume qui voulait me raccompagner, et la légèreté de la fête. J’avais lu sur le visage de mon amie, la plus belle ce soir en ivoire et roses pleines, sa peine et sa colère quand il m’avait presque arraché à eex. J’étais lasse. J’avais tourné les talons. Le DJ venait de mettre Nirvana. Je voulais glisser et tourner sur moi-même. Sur la piste, il y avait juste une fille qui dansait.

Après son coup d’éclat et les invectives, il avait disparu dans la nuit. Grand mal lui fasse.

Quelqu’un me tendit une coupe. Je la bus d’un trait et cela me rappela… elle. Isabelle. Nous avions sifflé quelques bières, c’étaient la dernière fois avant que je ne parte pour Londres. Nous avions passé un été de parlottes et de secrets idiots de filles, d’interrogations sans retour. Soudain, elle me montra sa peau blanche ; je ne voyais plus que ses yeux roux, ses boucles cuivrées, ses taches délicates sur son teint clair, cette marque rouge, tailladée : I / L. 

J’aurais voulu toucher sa peau, la serrer contre moi. Ma renarde… Je lui ai souhaité bonne chance. Je n’ai pas voulu me souvenir de son visage.

Sans doute le champagne. Je ne l’ai pas entendue et je l’ai laissée s’accoudée à la barrière juste à côté de moi. J’ai soudain senti sa main sur la mienne. Une main fine, légère. Nue. Je n’ai tourné la tête qu’en sentant le froid du métal de sa montre. J’ai frissonné aussi. C’était elle, la fille mince qui tourbillonnait. Je l‘ai laissée prendre mes lèvres.

L’ivresse, peut-être. J’ai oublié l’homme jaloux. J’ai cru voir un instant ma Renarde, celle d’avant les initiales, le sang séché et les faux-fuyants. Je rêvais d’éclat chaud et velouté sous les paupières. Sauf que le regard était gris acier. Il a soudain pris une teinte liquide quand elle s’est à nouveau approcher de ma bouche ; mes mains ont trouvé sous sa tunique mince la rondeur des mamelons. J’ai senti ses doigts frêles glisser sur moi, le froid des anneaux de métal contre ma hanche. La vieille balancelle de nos jeux d’enfants grinçait non loin de là.

Je ne crois pas au verre de trop. Vers minuit, un rayon de lune s’est échappé et j’ai ouvert les yeux. Le tic tac de sa montre avait ce mordant d’acier qui m’avait fait gémir. J’ai alors saisi que cette vie s’était choisi un autre tempo. Que mon cœur n’avait jamais cessé de battre.

30 janvier 2010

Un carré d’herbes folles (Caro_carito)

Elle eut à peine le temps d’enlever son tablier et de fermer la porte, il était en haut de la colline. Les blés courbaient la tête sous les rayons drus. Il avait raison, dans deux heures à peine, il faudrait déjà songer à clore à demi les persiennes. Elle sentit le trousseau chargé de clefs inutiles qui valsait au fond de la poche de sa blouse. Elle poussa la grille du cimetière. Elle s’amusa de son invite rouillée. Elle le vit s’approcher des trois pins, au fond à droite. Elle marcha vers le fouillis fripé de coquelicots et de monnaies du pape. Les amarantes qu’elles avaient semées au printemps passé avaient avalé le muret de pierres blanches, grignotant les guérets des Béard.

 

Elle tourna la tête vers le carré nord. Il s’était sans doute agenouillé car sa silhouette voutée avait disparu dans les hautes herbes. Elle se demandait avec qui il s’entretenait, chaque matin. Un jour, elle s’était approchée et avait perçu des mots feutrés, sa tête chenue penchée sur l’ombre. Etait-ce un mot un peu plus grave ? En tout cas, un souffle d’air indiscret lui avait rapporté ce prénom, Sybille. Plus tard, elle avait examiné l’endroit avec soin, en vain ; il n’y avait que graminées, un papillon et des noms oubliés. A ses pieds, ne dormaient que quelques morceaux de pierre lisse et des âmes oubliées. Le vent, le gel, les averses avaient emporté leurs initiales.

 

Elle marcha le long des chardons. Ici, il n’y avait qu’une tombe ramenée à grand frais pour le père Gabriel. Ses enfants l’avaient commandée en ville ; ils avaient sans doute jugé cela suffisant car ils n’étaient plus jamais venus lui rendre visite. Elle bifurqua pour se perdre dans le dédale de plaques en grès beige. Le village était trop pauvre pour d’autres sépultures. La terre sèche et un rectangle de pierre protégeaient les morts pour l’éternité. Elle s’assit près d’une souche et sortit de sa poche un livre qui s’ouvrit machinalement à la page cornée.

 

Elle ne l’entendit pas partir, perdue près du canal San Barnaba. Elle relisait religieusement la strophe biffée de gris : l’eau luit ; le marbre s’ébrèche … quand on passe à l’ombre du Palais Rezzonico.* Elle s’amusa à franchir les montagnes qui l’enserraient de toute part, l’Italie n’était pas loin. Il suffisait d’un rien, d’un vol d’oiseau pour découvrir le campanile de Saint Marc. Le marbre s’ébrèche. Elle fixa longuement la plaque grège qui gisait sur le sol. Pour elle, il était trop tard. Jamais elle ne quitterait sa maison, jamais elle n’irait plus loin que ce cimetière à l’abandon. Elle se dit qu’elle aurait aimé rester un peu, et voir les mots, qu’elle avait choisis pour ce long voyage, inscrits au milieu de ce sol rouge et sec, effleurés par une tige frêle… et voir Venise.

 

Le portail grinça en se refermant, un nuage de poussière se posa sur la forêt de tournesols qui se hissaient de toutes leurs forces vers le ciel doré. A petits pas, elle descendit le chemin.

 

 

  • Contes      vénitiens Henri de Régnier

 

 

 

23 janvier 2010

Une envolée d’oiseaux et de bois vert (Caro Carito)

 

Carajo ! Il attrapa de justesse un chiffon pour éponger le parquet et éviter la catastrophe. Qui se transforma en déroute car les lames de bois déteintes prirent des allures arc-en-ciel. En deux enjambées, il atteignit le coin gauche assigné à la kitchenette. Il vida le peu d’eau qui restait dans la bassine, passa un coup de serpillère et remis l’attirail en place sous la fuite. Le plic ploc de la pluie qui tombait du toit fissuré reprit sa marche militaire.

Il eut une pensée pour cet hijo de puta français qui lui louait ce galetas. L’odeur de moisi et les pannes de chauffage n’étaient agréables que dans un recueil de poèmes. Il n’avait décidément pas la désinvolture d’un Rimbaud, ni la démesure d’un Lautréamont. Ses pinceaux transis lui tombaient des mains au bout d’une heure. Près de la baie sale qui se gorgeait de tous les vents, se bousculaient esquisses et tubes de gouache, des photos voilées, des bouteilles en bataille et des assiettes de pâtes froides. Sur le chevalet, quelques traits de fusain présageaient d’un tableau hésitant. Presque malhabile tant les références à des Kandinsky, Miro, Dali s’alignaient sans rime ni raison.

Il remplit l’unique casserole de la mansarde et se promit d’attendre patiemment le gloussement de l’eau bouillante. Les tscchhh feutrés avaient la douceur des après-midi de Doña Laura, sa mère. Il pénétrait alors dans le salon d’été, étriqué dans son uniforme de collégien, pío pío la coupe de cheveux translucide. La Tia Maruja se tenait toujours à droite du piano français. Il embrassait quelques joues orangées qui laissait en bouche un goût de sucre éventé. Il dérobait un ou deux biscuits sous l’œil amusé des « «ladys ». Il aimait cet accent traînant, ridicule qui frisottait en un zzz grasseyant quand Asunción lui rappelait sur le chemin de la maison que c’était jour de thé, synonyme de gâteaux à l’orange et d’ongles propres et récurés.

L’eau trépignait. Les bulles s’éventraient contre les parois moussues de calcaire. Il posa sur le coin de l’évier les lettres qu’il avait en main depuis le matin. Dans l’une, Paolina lui signifiait la fin de leurs relations. Une âme bienveillante l’avait informé depuis quelques mois que sa fiancée fréquentait avec assiduité le tennis del Club Regata. Avec toutes les circonvolutions propres à la bonne société et à la troisième missive, il avait deviné quand, quoi, comment… et n’attendait plus que la touche ultime au tableau du cornudo. Il imaginait sans peine les gloussements de ses condisciples. Ja ja, sabes que, pobre Esteban… si, ella, con ese demonio de…  La deuxième enveloppe contenait une invitation officielle à exposer dans un Musée de cette désolante ville normande. Puta madre, pourquoi à ce moment précis ? L’hiver avait délavé ses illusions. Les cours d’histoire de l’art et les borborygmes d’artistes sur le retour lui abrutissaient l’esprit, martelant son imagination d’un tam tam pernicieux. Tout ce qui transpirait de son âme était aujourd’hui d’un tel convenu. Au mieux trois touches ocre bronze sur un grand vide. Il regarda flotter le sachet de mate de coca, ne sachant laquelle de ces deux nouvelles le désarmait le plus.

Oser s’avouer que l’été passé, il s’était réjoui de sa bourse, comme d’un Sésame vers un monde neuf, une élite qui n’étrillait pas ses meilleurs rejetons à la moindre audace artistique. Un bruit mat lui fit lever la tête. Sur le rebord de la fenêtre, un oiseau à la poitrine vermillonne picorait les débris de son petit déjeuner. Il se rappela avoir acheté à un bouquiniste un livre d’ornithologie avec force gravures. Il le dénicha sous une pile de livres. Il étudia attentivement les illustrations passées, hésita, rouge-gorge, pinson des arbres ? Ou alors bouvreuil pivoine ? Linotte mélodieuse ? Il se souvint avoir acheté ce guide parce qu’il avait été étonné des couleurs ternes des oiseaux européens. Même leurs  pio pio semblaient dérisoires. Il se souvint de cette expédition où il avait quitté Tarapoto à l’aube avec Jorge, son guide, pour plonger dans la forêt amazonienne et tracer quelque croquis de la faune locale. La pluie les avait surpris et ils avaient dû trouver refuge dans un village en bord de rivière. Il n’avait pu sauver de son sac à dos trempé que ses peintures et ses pinceaux. Mais le papier, lui,  était inutilisable. Ils étaient restés là quatre jours, une éternité pendant laquelle il avait déniché, cartons, documents fripés, pages maculées de graisse, vieux chiffons, pour reproduire ces oiseaux aux couleurs tapageuses. Il avait un souvenir très précis de cet ara qu’il avait peint sur un bout de bois, un Chloroptera aux coloris si vifs qu’ils semblaient irréels. En partant, il avait entassé dans un grand sac de toile ces œuvres insolites et les avait exposés ensuite dans un café de Tarapoto à la grande satisfaction des touristes et des locaux.

Son minuscule visiteur n’était plus là. Il s’approcha de la fenêtre. Après tout, pourquoi pas ? Il se saisit d’une feuille de papier de riz, lissa le grain délicat et décida de croquer au fusain, en vis-à-vis, le modeste serin qui avait picoré là, à la minute précédente, et l’exemplaire chatoyant qui voletait dans ses souvenirs. Puis changer ensuite de matière, un canson banal qu’il utilisait avec ses élèves. Ou même un buvard, et des pastels. De l’encre de chine sur un papyrus. Un papier calque appliqué sur un tissu… Jusqu’à l’œuvre finale où, abandonnant le papier, il coucherait sur le bois brut un envol de plumes brunes et colorées.

Lexique

 

Carajo                        merde

Hijo de puta               fils de pute

pío pío                        piou- piou en espagnol

Tia                              tante

Cornudo                     cocu

Club Regatas              Club chic de Lima, situé à Chorillos

Mate de coca              infusion de feuille de coca très courante au Pérou

Ja ja                            expression du rire

Puta madre                 expression de colère

Sabes que, pobre Esteban… si, ella con ese demonio de

Tu sais que, pauvre Esteban, elle, avec ce démon de…

 

16 janvier 2010

Le doigt dans l’œil de l’histoire (Caro Carito)

Le doigt dans l’œil de l’histoire.

le_doigtAu commencement : 

Le doigt de Dieu n’a jamais pu être fiché car, malgré une publicité ininterrompue à travers l’Ancien Testament, les tables de la loi sont restées introuvables jusqu’à ce jour. Cette empreinte digitale fameuse n’a donc pas laissé de trace. D’aucuns ont voulu se faire dieu à la place de Dieu et en ont profité pour mettre à l’index les bouquins qui pressentaient le roussi.

Epoque romaine : pouce

De la difficulté du gladiateur à terre, les yeux plein de poussière, à estimer la positioncommode du pouce impérial. Alors une devinette : vous choisissez quoi, haut ou bas, pour avoir la vie sauve ? Ou murmurerez-vous pouce …

Epoque victorienne : le petit doigt

En l’air. Avec un thé Darjeeling, un nuage de lait accompagné de deux scones. tea_in_art_mary_cassat_afternoon_teaEt vous pourrez dire à votre voisine :   mon petit doigt m’a dit que… Victoria n’est pas avec nous parce qu’elle devait absolument trouver des rideaux pour le petit salon. Il est vrai qu’elle a des doigts de fée. Enfin, il faudrait surtout interroger son jardinier ; il travaille autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des communs si mes sources sont bonnes. Entre nous, espérons qu’elle ne s’en mordra pas les doigts.

Epoque révolutionnaire:

La bague au doigt….. Une coutume du fond des âges au contraire de la dinde ou duPèreles_dalton_se_marient Noël. Avec de timides évolutions. La main droite est devenue parfois la main gauche, y on été inscrits des graffitis verso ou des diamants recto, tous deux gages d’éternité. Néanmoins, il a été enfin possible de s’en séparer à la révolution quand les divorces ont eu droit à leur registre. … la corde au cou contre la carmagnole et la guillotine.

Epoque contemporaine :

On le dégaine pour un oui ou pour un non. Il s’élève droit comme un i au détour d’un feu orangé, d’un propos hargneux. Quoi ! Il faut que je vous fasse un dessin. A tout âge, sans le mondre respect, le moindre honneur, il a autorité pour vous insulter: le majeur.

Et en 2010 ? Vous méconnaissez la tendance ! sachez que le combat de pouces est totally hype.

http://burkiblog.blog.canalplus.fr/archive/2010/01/12/la-chronique-du-mardi-12-janvier.html


Résumé : Après s’être décrotté le nez avec l’index et l’oreille avec le petit doigt, Marcel se tourna les pouces. Marcel, c’est pas le genre à boire sa kro avec le petit doigt en l’air non. Croisez les doigts et il vous autorisera peut être à partager le même rade. Vous échangerez quelques brèves de comptoir. Deviendraient potes, unis comme les deux doigts de la main, l’alcool aidant et si vous ne lui mettez pas les cornes. Mais ne vous fourrez pas le doigt dans l’œil, en cas d’embrouille, il ne lèvera pas le petit doigt pour vous. Au contraire, seul le majeur s’élèvera au cas où vous lui demanderiez un petit coup de pouce. Mais si vous levez le coude, avec les autres habitués, vous serez unis comme les cinq doigts de la main et le taulier sortira de derrière le bar un ring de pouces.

ring_pour_combats_de_doigts

9 janvier 2010

Un vert Prévert (Caro_carito)


 

Ils marchent le long de la digue. Quelques joggers s’essoufflent, les joues rougies par le vent. Olivier sent ses mèches qui flottent le long de sa joue. Sa main froide s’évade. « Continue sans moi.» Il la laisse à quelques mètres de l’hôtel des acacias. Marée haute, les embruns s’accrocheront à ses lèvres. Il regarde le chemin gris sur lequel quelques mouettes luttent contre des rafales éparses. Ou peut-être des goélands. Les mains enfoncées dans les poches de son vieux caban, il accélère le pas. Il aime marcher comme d’autres s’accrochent à un mot, un cierge, un battement de cils. La peine, toute sa peine, se ratatine comme une vieille peau à mesure que le muret s’efface au bas des remparts. Il croise un autre jogger, des façades crème et la verrière des thermes, des ombres, proches et polies. Diffuses. Il s’arrêtera en bout de course, là où la baie s’écrase.

Il revient sur ses pas. Derrière le banc vert, l’hôtel des acacias. Elle n’est plus là. Le fracas des rouleaux, trop proche, le fait sursauter. Où l’illusion d’une tachycardie qui le surprend depuis l’enfance. Il la retrouve, à même le mur de pierres, les jambes plongeant dans le vide, au dessus d’une bande de sable mouillé. L’heure a repoussé les vagues vers l’exil, vers le large. Il se pose à côté d’elle, sent sur son paletot l’odeur écœurante de la mer et des algues. Les cheveux plaqués contre ses joues, elle fixe un horizon absent.

Il se surprend à penser qu’elle se perd dans les flots comme elle se noie dans les livres. Il l’avait surprise, dans un square, le roi des aulnes à la main. Au bout de quelques minutes, elle s’était retournée et lui avait demandé s’il aimait les contes. Elle avait essuyé les larmes qui lui maculaient le visage - après tout ne naissaient-elles pas des océans, avec leur goût salé - et lui avait tendu le Folio usé. La première fois où ils avaient pris la voiture et roulé toute la nuit, elle lui avait confié qu’elle rêvait parfois d’Ys, de la furie des flots et des cloches mêlés. Elle avait glissé son bras sous le sien et ils avaient parcouru les dunes douces. Le ressac avait mis à nu deux coquillages ; pas d’éclat de bronze, pas le moindre tocsin.

Il pleut un peu. Une bruine légère. Elle a posé sa tête contre sa veste. Il respire avec précaution son parfum de sel. Elle s’absorbe, scrute la surface martelée et liquide pour finalement relever la tête. Le vent en écartant quelque nuage ou un courant inespéré... le gris ourlé de jaune sale s’éclaire. Translucide, il dévoile toute la palette d’un orfèvre, Véronèse ou malachite, émeraude, avec parfois une pointe de cyan, de beige opalin, sculptée à même la masse liquide. La mer se retire, hésitante, emportant ses éclats.

Il n’ose la regarder, de peur de trouver dans son regard pâle, deux petites vagues assassines.*

 

*extrait de Démons et merveilles de J. Prévert


Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

 

2 janvier 2010

Ivre de vous (Caro_Carito)

17 octobre : Gabi

Le portable gémit encore une fois, jeté avec son sac sur le siège avant. Elle l’agrippe et l’éteint malgré la courbe qui se déhanche dangereusement. C’est elle sans doute. Pat, Patricia. Elle chasse d’une pensée deux regrets : ne pas avoir téléphoné et esquiver lâchement la voix, attentionnée, soucieuse. Pressante. Zut. Ne peut-on pas la laisser tranquille. Elle baisse le son du cd jusqu’à ce que les graves se mêlent au bruit de la voiture, ne formant plus qu’un bourdonnement mélodieux, étrange, de mécanique feutrée et d’une voix éraflée et chantonnante. Elle croise un 4x4 noir dont elle ne discerne pas le conducteur. Ou la conductrice. D’emblée, elle ne les aime pas, avec leur façon insolente de frôler la ligne blanche et de ne pas savoir que la route exige certaines limites. Elle se moque. Surtout, elle ne supporte pas qu’il ou elle partage, cet après-midi là, la route de campagne fraîchement asphaltée qui mène à la forêt. Et avant la forêt, l’étang de Saint Hubert et la chaussée Napoléon.

La route est déserte. Elle se laisse aller, toute au vagabondage qui l’emporte, à l’automne qui mord les feuilles. Platanes, chênes. Parfois un érable. Elle aimerait croiser sa Saab noire, imaginer qu’il sursaute parce qu’il la croit ailleurs. Amorce d’une fin dont il n’a pas su se prémunir. Qu’elle pressent parce la vitesse enfle, allante, entre franges des arbres et prairies ombragées. Elle s’amuse du soleil moucheté, des ocres et des sanguines, de l’air encore chaud de l’été qui affleure par nappes généreuses. Elle aurait seize ans, elle répéterait sans fin « je suis amoureuse » comme la fillette qui a sauté d’un trait jusqu’au paradis de la marelle. Le temps a filé, défaisant aux passages quelques illusions tricotées par l’enfance. Sa peau vacille au souvenir d’un regard hardi sur sa nuque, de mots entrechoqués de silence et d’étreintes timides. De rencontres brèves et brûlantes. Le feu de ses aveux, chaque fois plus pressant, roule encore tout au long de son corps. Si vivante… Les jours ont acquis ce poids étrange où tout semble à sa place. Où chaque gorgée d’air ajoute à l’ivresse d’être. Il n’est rien, ce Fabien. Dès demain elle oubliera son visage, ce grain de beauté perdu en haut de l’omoplate. Elle ne se souviendra que d’elle-même, de son âme lourde, gorgée d’ivresse. Elle savourera pleinement l’étrange rencontre du désir de l’autre. Ce fragment d’incandescence où tout chavire, et la tête et les sens. Ce qu’elle a obtusément cherché, méthodiquement, avant d’en accepter l’arrivée impromptue et le départ tout aussi précipité. Etrange paradoxe, emberlificotée entre deux hommes, elle se découvre à nouveau libre. Demain ou jeudi, elle savourera la soie de son visage. Elle l’effleurera des ses lèvres et glissera, les yeux clos : « Je suis ivre de vous. » Il s’émouvra du vouvoiement. Elle taira les autres, leurs mains, les regards, les balbutiements éperdus, confondus en un unique vous, en un même trouble délicieux. Qui la saisira longtemps après la tempête.

 

21 octobre : Pat

Pat a ignoré depuis quelques jours la boîte aux lettres décorées d’hirondelles par un des anciens propriétaires. Mais le facteur l’a rattrapé au creux de la clôture et lui a tendu un recommandé accompagné d’une enveloppe grège. Elle a reconnu, et l’encre violine, et les pattes de mouches appliquées. Inchangées depuis leur adolescence conjointe. Elle ne l’ouvre pas de suite. Elle sourit à l’homme en bleu et prend le temps de voir la camionnette s’éloigner avant de rentrer. Dix jours que Gabi n’appelle pas. Elle sait pourquoi. Elle entend encore leurs dernières conversations, ses absences et ses rires à contretemps. Ce prénom qu’elle feint d’ignorer ou qu’elle gomme maladroitement comme si il envahissait trop ses pensées. Fabien… Evasive et étrangement exaltée. Suivent les habituels jours sans nouvelles, le sursaut avant la fin, comme toujours. Elle sait son amie heureuse, emportée, exultante.

Elle est arrivée à la porte, se penche pour arracher une mauvaise herbe. Elle recule le moment où l’enveloppe se déchirera, où la dernière phase du mauvais scénario sera écrite. Elle pose le courrier sur la toile cirée, se sert une tasse de café tiède. Elle repense à cette conversation. Trois ans déjà. Les mots qu’elle lui a assenés et qu’elle regrette encore. Paroles biaisés, malheureuses qui masquaient mal ses tourments. Peur de ce qui pouvaient lui arriver, à elle, sa presque sœur, la déception attendue, les conséquences de ses folies. Craintes qu’elle alimentait à son propre passé, cette blessure toujours vive. Elle avait traversé en solitaire les mêmes affres, les mêmes ivresses, le même espoir ténu, jusqu’à ce qu’il fasse volte face brusquement, sans une explication. Elle avait traversé les mois qui suivirent, en aveugle, solitaire, brisée. Quand elle avait voulu se confier, il était trop tard. Elle s’était tue.

Elle ouvre maladroitement l’enveloppe. Soupire. Elle revoit ses instants chatoyants où elle se sentait portée, légère. Elle les entraperçoit parfois quand le regard d’un homme se pose sur elle, comme une étincelle fugace. Brûlante. Une larme tombe. Puis une autre. Elle tient dans sa main une feuille maculée de tâches pâles. Elle n’ose se regarder dans une glace, elle y trouverait ce visage rougie de lendemain de noces.

 

19 décembre 2009

Fred m’avait dit, au fond de la cuisine… (Caro_Carito)

Je n’ai pas allumé la lumière en arrivant. Pourtant il faisait sombre. Si sombre que j’aurais pu croire que la suie avait essuyé tous les murs. Ou la crasse. Au fond de ma poche, il y avait ta lettre, pliée en deux. Je n’avais pas faim. Pas vraiment soif non plus. J’étais crevée. Je n’avais jamais fait le voyage jusqu’à toi qu’en pensée. Les rêves fatiguent moins que le train et le stop. Je suis allée directement au placard que Fred m’avait indiqué au fond de la cuisine. J’ai farfouillé à tâtons et j’ai pris la première bouteille venue. Ca devait être un de ces trucs dégueu aromatisé au citron. Je me suis endormie sur le canapé. Je crois que j’ai entendu le téléphone sonner.

J’ai mis la télé en marche. Mais j’ai coupé le son. Il pleuvait dehors. J’ai fini les deux paquets de chips rances : barbecue et paprika. Je sais pas pourquoi, j’ai pris trois verres d’un alcool blanc et rêche. J’ai mis une pincée de poivre dedans. C’est ce que tu m’avais dit de faire pour améliorer le goût. Sur la boîte, il y avait un drôle de dessin.

J’ai tellement caressé ta lettre qu’elle s’est couverte de fines rides douces. Je pense à ta peau. J’en ai encore le goût en bouche, une saveur d’amande amère qui dure et qui apaise.

Je suis sortie. J’ai appelé de la cabine. Il me restait trois unités mais la voix à mesure que je demandais se faisait épaisse, lente. Au bout d’un moment, il n’y a plus eu qu’un grand silence. Mon front a rencontré la vitre, j’ai senti le sang monter, cogner. Je suis rentrée précipitamment au studio. J’ai cherché une tisane comme celle que l’on me forçait à boire, enfant : racine d’angélique, réglisse et violette. Il paraît que cela calmait mes colères. Je n’ai trouvé qu’un fond de raki. Il m’a brûlé les veines. J’ai eu l’impression que tu étais là.

L’enveloppe avait glissé par terre près de l’entrée. Du canapé, je pouvais voir les lignes irrégulières de mon adresse. On s’est écrit un peu. Je ne pouvais pas te voir. Je ne suis pas ta femme puisque la tienne élève ta fille. On n’a même pas vécu ensemble. Je suis un nom, une nana qu’un jour on a convoquée pour déposition. Je suis ce rien dans ta vie ; on  m’a tendu un café tiède au lieu d’un livre sur lequel j’aurais posé ma main et où j’aurais juré la vérité. J’ai menti et j’ai signé. Pas de parloir donc, juste des cartes postales et des journaux couverts de photos de bagnoles, avec des centaines de kilomètres entre nous deux. L’avocat n’a pas prévenu pour ta sortie ou alors c’est cette salope de secrétaire qui raccrochait trois secondes après que j’aie dit bonjour. C’est toi, un matin dans ma boîte aux lettres, qui m’a tout résumé, l’heure, l’adresse, la ligne de bus. J’ai dessoulé en trois heures. J’ai croqué ce mélange de graines enrobées de sucre que l’on trouve chez Medhi. Il me sert toujours les mêmes  bobards celui-là, il me dit que c’est des graines de paradis, des perles de coriandre qui viennent de chez lui, de l’écorce de cassier. Alors qu’il pique ça chez l’indien du coin - Je m’en fiche du moment que ça fasse passer l’haleine de rhum. Pour le stop c’est plus sain - je l’ai remercié tandis que, cadeau de la maison, il m’en remplissait un petit sachet en papier - il n’a pas vu mon signe de la main. J’ai fait mon sac

J’ai relu ta lettre six fois, tu sors demain.

Ca n’aurait pas du se passer comme ça. La porte en métal. Qui s’ouvre. Tu n’es pas là. D’autres si. J’ai froid et je partirai si tu ne respirais pas là, derrière les hauts murs. Il faut que je me retrouve seule pour que j’ose m’adresser à un gardien. Je lui répète ton nom et il m’amène dans une pièce carrée. Je ne sais pas pourquoi il m’offre un verre d’eau. « Soyez forte » me dit-il. Il prononce des mots que je ne veux pas comprendre. Il sort une lettre mais je vois bien que ce n’est pas ton écriture. Il y a une date et des adresses et des noms que je ne connais pas. Il griffonne aussi un n° « Pour l’enterrement, c’est demain, si vous voulez. » Sa phrase se casse juste après le verbe, conduisant  directement à une voie sans issue. Je me lève. Il ne tend pas sa main. Je suis dehors. Il pleut, le bus arrive.

En fait, il n’a pas bougé d’un cil derrière son bureau en métal. Peut-être a-t-il maté mes nichons ou mon cul quand je me suis retournée. J’étais encore ce rien. J’étais pour toujours cette femme qui t’aimait mais sur aucun registre. Je suis retournée dans la piaule de Fred. Je n’ai pas allumé la lumière. J’ai fini par trouver sa bouteille de genièvre. Au fond du placard. Il en a toujours une planquée, en souvenir du temps chez son grand-père à Lens. Depuis… Tu m’excuseras, on t’enterre et je ne tiens pas debout. Mais je m’en fous, j’ai pas pu te voir, je sais juste que tu dors dans cette grande caisse en sapin et que je suis toute seule derrière.

Ça pue le sapin. Tu me disais ça en rigolant, le jour on est allé en chercher un pour ta fille, pour Noël. Tu avais raison, c’est vrai, ça pue. J’irais boire un verre pour faire passer l’odeur.

 

12 décembre 2009

Sur les murs de guimauve (Caro _Carito)

Murs de guimauve

Où se perdent, mot à mot

Les encres de nos vies

 

L’immeuble craque. Le vent de décembre vient de l’ouest. Il est glacial.

Un immeuble ou plutôt une maison flanquée de plusieurs étages, fin XIXème. Hier, ancien hôtel de passe, il soupirait alors ; le bois à peine ciré des escaliers gémissait sans cesse. De jour. De nuit. A peine quelques mots effleuraient les murs recouverts de papier peint. L’immeuble était jeune alors,  vain bien entendu et assuréméent inattentif aux murmures qui l’effleuraient

Le vent fait bruisser les branches des platanes qui ceinture le lycée ; il s’enfuit déjà vers la Seine. L’immeuble se tait. Au premier, une main relève la couette légère. Deux fronts se touchent, une berceuse fredonnée transmise du bout des lèvres par une autre, mère, tante, aïeule. La porte se ferme sur la veilleuse assoupie Les murs chuchotent à l’enfant, les mêmes paroles : l’était une tite poule brune….

La maison se penche. « Amorino, Amorino ! ». La jeune fille porte doucement la carte postale à sa joue. Elle croit respirer l’odeur salée de Chiogga. Et Andrea, ses lèvres minces murmurent dans un souvenir fugace : « Amorino, te scrivero tutti le settimane. ». Elle repose la carte postale où sourit un gondolier et attrape une feuille dactylographié, elle a coché une case en haut à gauche. Elle fera de l’italien l’an prochain. C’est décidé.

La maison s’étonne. La porte de la cave 5 est entrouverte. Une lampe électrique balaie les étagères. « La bougresse, la bougresse ! C’est là qu’elle avait caché ma prune ! » Une larme s’écrase sur la terre battue. « Ma bougresse… »

La maison retient son souffle. Un cri, un seul « A table. » Galop et chaises qui raclent le plancher. Ce quart de silence juste avant que les mots fusent. La maison suspend son souffle.

La vieille bâtisse a entendu le train de 20h. Elle devine qu’il va rentrer, allumer la lampe, jeter sa mallette sur le clic clac. Il va se diriger près de la fenêtre et s’agenouiller devant elle. Soigneusement essuyer une à une ses feuilles vernissées à peine poussiéreuses. « Petit Schefflera, Mabelle, Ma toutebelle. Tu es à couper le souffler. » Il se lèvera et attrapera une télécommande noire ;  la télé ronronnera toute la soirée.

La maison dort quand le dernier arrivant monte les escaliers, quatre à quatre. Un voyant vert clignote dans la pénombre. Il enclenche le répondeur, les murs assombris sursauteront. Une voix de femme tremblante : « Même à Limoges, je t’aime. » Une pause. « Pour effacer ce message, veuillez appuyer sur le bouton rouge. »

Le silence s'établira patiemment entre les fenêtres qui crissent et les craquements, le vieil immeuble qui endormira . Après avoir longtemps veillé un petit point vert. Lumineux. Qui bat encore.

26 juin 2009

texte de Caro Carito

5 h 58. Elle voit le soleil qui pointe, sang sur le sable et les pierres. L’enfant se fait lourd dans ses bras. Il est pourtant si frêle. Il ouvre et ferme ses yeux pâles. Devant elle, le groupe a grossi à chaque baraque, à chaque village. Le vent leur amène le bruit de la mer. La file de bus, de camions, de fourgonnettes cahote. La ville est proche. La ville et ce centre de soins dont le nom lui a été glissé dans la main par le Padre Lucio. Il lui a aussi indiqué le nom de son frère, qui a quitté le village pour conduire un taxi et qui habite une masure de terre dans les barriadas du haut de San Cristobal.

6 h 30. Alan est en maraude dans sa vieille Chrysler. Dernière course avant le retour à la maison Il entend la course des collectivos les plus matinaux qui arpentent encore silencieusement les grandes artères. Le soleil darde quelques rayons au dessus de la frange de montagnes. Mais déjà une barre jaune et épaisse se dresse au dessus des quartiers sud et des cheminées des fabriques. L’autoradio grésille une cumbia puis se tait. Il cherche distraitement une station. Sans succès. Il va rentrer bientôt, apercevoir Rosario et les jumeaux derrière son bol de café en poudre et le grand sommeil. Une ombre blanche sur l’esplanade debout devant l’hôpital central. Sa dernière course ? L’homme écrase une cigarette et s’éloigne.

Javier a franchi le sas translucide. Il a déjà chaud sous sa blouse d’infirmier. Les volutes de poussières qui décorent les parois forment une œuvre d’art mouvante et volatile. Il ne la voit pas, se dirigeant avec précipitation vers le bureau 12 A où on lui donnera son affectation pour la semaine. Les lampes crachotent dangereusement sans qu’il y prête attention. Ce n’est qu’au moment exact où Mme Lupe lui tend le papier bleu que les lumières s’éteignent définitivement. Ils attendent. Rien. Noir total. Il sent dans la pénombre le bruit métallique d’un briquet. Une flamme et la voix douce qui répond à son interrogation muette. « Le groupe électrogène, le fournisseur refuse de se déplacer tant que les factures ne sont pas payées.» La ville endormie tait encore l’écho des manifestations du mois passé, les morts laissés en tas sur les trottoirs et les blessés qui affluaient et encombraient le hall d’entrée. Sur le bureau, il entrevoit la Une du diario nacional. La photo est mauvaise mais il reconnaît sans peine le visage figé de Vincente Loyola, chef de l’opposition et disparu depuis trois semaines et demie.

6 h 31. L’homme remue à peine. La geôle est humide et obscure. Il entend les sons étouffés d’une conversation, des rires gras. Et des jurons soudains. Une heure après, le judas s’entrouvre. Il ne distingue pas le visage du garde, juste le faisceau puissant de sa torche qui furète dans tous les coins, caresse le fil électrique qui pend au plafond et finit par se poser sur son corps douloureux. Une pensée de haine le transperce. Le tyran a osé encore une fois ; priver la population de courant, condamnant bon nombre à la faim, à la ruine, à la mort peut-être. Le judas se referme dans un claquement. Il sent une larme couler sur sa joue recouverte de crasse. Qui ? Qui se lèvera maintenant qu’il n’est plus qu’un demi-mort. Un visage du passé s’esquisse sur les parois qui suintent la peur et la mort.

Armando a deviné depuis longtemps que la nuit recelait quelques complots. Le bruit a transpercé son sommeil léger aux environs de 2 heures. Il a gravi l’escalier en silence et observé l’agitation qui filtrait derrière les minces persiennes. Des gardes ceinturaient sa maison. Il sut instantanément que son téléphone était sur écoute. Depuis combien de jours déjà. 3, 4. Toute communication lui était désormais interdite, net, fax. Il ne pouvait même plus sortir. Il était devenu inutile pour la cause. C’est plus tard, dans son bureau, alors qui écrivait boulimiquement, que la lumière cessa. Vers 8 heures, le téléphone sonne. Sa mère sans doute. Il ne prend pas la peine de répondre, elle peut toujours joindre son frère. Lui, ne peut plus rien faire pour quiconque. Juste attendre que l’étau se resserre sur lui et qu’il rejoigne dans une prison inconnue le chef de file du syndicat. Dans l’oubli que le président et la junte ont creusé méthodiquement pour les opposants.

9h27. Le capitaine Orlando a enfilé ses gants immaculés. La voix fatiguée de sa mère l’assaille encore. Elle est inquiète et sans nouvelles de son frère. Il a tu ce que le bon sens lui soufflait. Armando sera bientôt, à moins d’un miracle, un homme mort. Il l’a laissée s’abandonner à un flot de paroles apaisant. Long filet de gémissements, de plaintes qui apaise et draine tous les malheurs que la rue rapporte. Derrière la tension et la vieillesse mêlées de cette voix, il perçoit en sourdine un concert de sons mats ; les voisins sont aux fenêtres tapant sur leurs casseroles. Il perçoit les portes qui claquent et le rassemblement qui enfle et monte jusqu’au palais où va se tenir le discours présidentiel. Ultime provocation pour saluer une victoire truquée. Les paroles de sa mère semble ne plus se tarir, se gonflant des morts qui se déverse des portes de l’hôpital, tabernacle des mots tus de ce peuple qui l’a vu grandir et qu’il a quitté pour une solde, un travail, un repas. Cette voix l’enveloppe, comme lors des jours d’enfance, sans répit. Il est l’heure de rejoindre son poste, derrière l’homme fort, en deçà des gardes du corps. Son revolver d’ordonnance ne bougera pas. Il caresse dans sa poche intérieure droite un browning de femme, joujou qu’il a dérobé en vue d’un crime sans signature. Il ne sent pas la morsure froide de l’acier.

9h45. Devant un micro, un homme s’écroule. Juste avant le chaos, cet instant irréel. Miracle ou délivrance. Dans la masse qui gronde au bas du balcon présidentiel, au sein des gardes prêts à faire feu ou dans le maintien brusquement relâché des officiels, tous sentent, en un moment fugitif, le poids du temps qui bat, qui marche, qui obère. Sous l’épais brouillard sale, quelques rayons percent.

Barriadas : bidonvilles - Collectivos : minibus qui servent de taxis.

18 juin 2009

Attaquer là où le bât blesse... (Caro_Carito)

Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage. Il dormait à côté de moi, ses longs cheveux blonds emmêlés. Je savais que si je remuais d’un millimètre, son corps brûlant se collerait à moi. Je m’étais maquée avec lui parce que c’était un aventurier, le gars qui fait le tour du monde à vélo, escalade un versant schizoïde de l’Annapurna et affronte les vagues d’Hawaï pour se déstresser. Après une soirée chez Véro, éclairés par la vodka blanche et quelques passes épicées, nous nous étions promis une balade jusqu’au-boutiste à travers l’Europe jusqu’à flirter avec les nations Baltes, la Macédoine et qui sait la Russie. Illico, j’avais mentalement préparé un bagage léger et décidé de ne pas ouvrir le moindre guide pour goûter à des horizons vierges de toute pensée.

Hier matin, il est arrivé au volant d’un vieux fourgon. Matelas à l’arrière, réchaud, mini frigo. Il y avait même des panneaux en papier de soie ornés de quelques calligrammes. Un trip feng shui. Et un abat-jour festonné. Quand il m’a proposé de faire un tour pour m’essayer à la conduite de l’engin, il ne me fallut qu’une seconde pour deviner que le plan terres dénudées était mal barré. Il avait soigneusement attaché ses mèches oxydées par le large en un catogan impeccable. Son T-Shirt noir n’était même pas froissé. Je respirais un bon coup en allumant l’embrayage. La voiture ne toussota même pas et réagit au quart de tour. Je me sentais mal. Vu sa mine tendu alors que j’enclenchais la première, les dents serrées par le mal au cœur, je lui donnais deux ans à peine avant une visite mensuelle chez le coiffeur, une amorce de cravate et un monospace diesel. Il ne pipa mot alors que je roulais quelques dizaines de mètres en oubliant sciemment le frein à main. Qu'importe, j’avais perçu la tension qui le vrillait, corps et esprit,  sur son siège parsemé de boules massantes.

Patience. Hier, j’ai repéré un plot opportunément masqué par un platane qui s’encastrerait à merveille contre le pare-choc avant droit. Ajouté à une ou deux rainures et quelques rires intempestifs pendant nos séances de bête à deux dos et je devrais en être débarrassée avant la fin de la semaine.

Juste à temps pour profiter des dégriffés solo de dernière minute de lastroutardvoyage.com.

10 juin 2009

Mme Dubois. (Caro_Carito)

Directement inspiré de Medium, série véhiculée par M6.

Pour les néophytes.

 

Je regarde ses traits doux, tordus par l’effroi. Je n’ai pas besoin de me tourner vers les deux hommes qui asphyxient la pièce de leurs carrures épaisses pour partager avec eux leur désarroi et leur scepticisme.

Elle secoue ses mèches blondes et prend cette expression butée que nous connaissons bien. Les autres parce qu’elle les a aidés dans toutes sortes d’enquêtes, les menant sans faillir vers une tombe, un meurtrier, une réponse. Moi, parce que je partage sa vie depuis plus de dix ans. Ainsi que trois filles, si semblables à la femme qui se tient devant moi, s’échelonnant à différents âges, de la fillette à l’adolescente montée en grappe. Sans oublier les traditionnels hauts et bas maritaux. Plus brutaux que ceux du commun des mortels. Parce que ses songes à elle sont peuplés de morts, de drames et que j'attend avec patience et désespoir que le défunt, apaisé, la délaisse, la délivrant de son harcèlement inlassable. Jour comme nuit. Surtout la nuit.

Oui, je connais bien cette lueur au fond de ses yeux. Mieux, je la déteste.

C’est Scanlon qui démarre les questions. Bille en tête, avec l’obstination pesante du détective à qui on ne la fait pas. La pièce, elle était comment. Taille ? Peinture? Elle se rappelle la couleur des murs ? Une indication, la plus infime. Une ouverture sur l’extérieur. Un bruit. Un symbole. Il la voit secouer la tête énergiquement puis le foudroyer avec cette pensée presque inscrite sur son visage : il ne comprend rien.

Puis, ce fut le tour de Devalos.

Il s’accroche à ses affaires, le proc . Il les récite comme il devait réciter ses cours, de l’école primaire à la fac de droit ou comme il noue sa cravate. Avec application et sérieux. Mais il n’y a rien qui colle. Juste des voleurs à la ramasse, un braqueur, des rixes entre bandes. Pas de meurtres bizarroïdes. Phénix est étonnamment calme en ce moment.

Moi, je me tais. Je ne fais que la regarder. Je la dévore des yeux. En fait, je n’ai jamais cessé depuis cette première fois. Elle était jeune et, moi, inconscient. Elle a vieilli. Comme moi. On vieillit toujours quand on aime de concert. Mais la flamme reste la même. Elle défaille parfois. Ou, comme en ce moment, elle crame comme jamais et rien n’a plus d’importance.

Bon Dieu, Allison. Dis-moi que c’est un rêve. Un truc en toc. Que je ne m’appelle pas Joe Dubois. Que tous les quatre. Que tous les deux, on squatte un plateau et des spots, des décors en placo et du gazon synthétique. Qu’un gars dans l’ombre va nous dire. « On arrête les gars c’est la quille on se revoit demain. »

Je te regarde détailler ton rêve. Encore et encore. Tu es seule. Dans une pièce. Il n’y a plus que toi sur Terre. Et quelqu’un frappe à la porte. Et je sens que tu as peur. Tu trembles, tu défailles. Et cette peur, elle nous colle à la peau, à Scanlon, à Devalos et à moi. Elle s’insinue avec adresse. Dans chaque pli de notre peau, dans chacune de nos pensées. Ils essayent encore un peu de trouver une affaire qui s’accommoderait de tes visions. Bientôt, ils vont essayer de croire qu’un médium, c’est jamais fiable. Mais non. Ca fait trop d’années qu’ils te connaissent. Des jours, des mois, des saisons. Comme moi. Nous savons que tes songes sont obscurs et infaillibles.

Moi qui t’aime, je suis glacé tout d’un coup. J’ai froid parce que pour la première fois, je vois l’avenir avec tes yeux. Et je suis seul dans une pièce. Le dernier des hommes. Tu n’es plus là. Ni même les filles. Pas même Scanlon ou Devalos. J’aurais jamais pensé qu’ils pourraient me manquer autant. Même l’épicier je le chercherai. Et le médecin. Tiens, je croise même ce mec qui a failli me buter et qui est mort maintenant. Tu te rappelles, pendant la prise d’otages.

Je crève de froid. Ou de peur. C’est peut-être la même sensation humide. Je ne sais pas. Surtout, je meurs de me dire que tu n’es plus là, Allison, dans mon rêve. Que tu te retrouves toute seule  aussi. Ailleurs.

Tu ne dis plus rien, mon ange. Plus personne ne parle.

Tu ne dis rien, mon ange. Et je ne peux même pas te dire, on va dormir, ça va passer.

Maintenant, il faut juste attendre. Allez viens, on rentre. Je crois que Scanlon préfère retrouver sa blonde et Devalos sa femme et ses fantômes. Allons rejoindre les filles. Après tout, il n’y a plus rien à faire. Simplement rester éveillés.

5 juin 2009

Voyage sur la frande / Carnet 57- dGH (Caro_Carito)

 15 VI 2742

Les minuscules points blancs qui semblent s’écraser sur la vitre avant me font penser à de la neige. Le ciel a la densité d’une encre de chine. Enfin, c’est ce qu’avançait au début du millénaire Tokhen Shi. Je n’ai jamais rien vu d’approchant et les rares vestiges des œuvres au pinceau du Maître sont enfermés dans un bunker à plusieurs mètres sous la croûte terrestre. Bientôt, le vaisseau retrouvera une vitesse moins inhumaine. J’échapperai pour deux rotations à la surveillance ténue des awacs de l’espace et je m’envolerai au-delà de la Frange. Tout est programmé.

 

16 VI 2742

Je remplis le dernier questionnaire pour signaler ma position. Le consortium stellaire aime savoir où chacun de ses membres se trouve. Pour notre bien. Je regarde en utilisant un plus fort grossissement les planètes de l’archipel des Cyclopes. Elles ont gardé cette douce variété de bleu qui se nuance de reflets camaïeu. L’eau. Empoisonnée mais omniprésente sur sa surface. Dans deux minutes, mon petit robot Souznic sera éjecté et enverra à intervalles réguliers les rapports nécessaires pour ma quiétude et mon éloignement temporaire. J’ai un petit pincement au cœur. Rester là. Là où mon odyssée personnelle a démarré et où Xilos Népomucène, humble citizien du consortium céleste a cédé la place à Xilos le baroudeur stellaire.

Je viens de dire au revoir à Souz nik. Je sais c’est puéril, il n’est qu’un assemblage de circuits et de matières dérivés mais c’est le plus avancé de mes droïdes. Je l’envierai presque ; plusieurs semaines à contempler les éruptions gazeuses qui maculent la planète d’éclats mordorés. Et pénétrer le regard plus avant sous l’épaisse d’écorce de quartz et de granit avec les yeux de sa sonde. Ca me rappelle la première fois où j’ai débarqué ici ; j’ai conservé mes croquis de l’époque. Je travaillais au fusain sur de gros blocs notes que j’avais troqué contre une bouteille d’aguardiente à l’avant poste de Guarzar, à quelques mille-lumières d’ici.

 

17 VI 2742

Le vaisseau a passé le point de non retour. Ici règne l’ombre absolu. Je ne crois pas qu’une peinture puisse retranscrire cette noirceur inhumaine. Pas un souffle de vie. Un règne minéral. Il est temps de faire un petite somme d’une heure ou deux. La Frange n’est pas loin.

Je me suis réveillé en sueur. Pourtant la clim n’a pas bougé d’un iota. C’est toujours comme ça, chaque fois que je travers la frontière intangible de la civilisation, le souvenir de ma première errance revient en force. J’étais jeune. Excité comme un jeune chiot et inconscient. J’avais pris ce poste risqué d’ingénieur dans les limites du monde ordonné. Et puis, trop loin de Guarzar, j’avais eu une panne. J’avais sondé les mondes environnants et il était clair qu’il me fallait trouver secours au-delà de la Frange. J’avais de quoi faire un aller retour en étant sûr d’atteindre une ville, enfin une ville… Quelque chose où s’agglutinaient mercenaires et rejetons d’indésirables, chassés quelques décennies auparavant du consortium céleste. La peur m’avait collé aux basques jusqu’à ce je revienne sain et sauf, les pièces défaillantes remplacés par des neuves.

Mais j’avais pris le goût du voyage et de l’inconnu. J’y étais retourné dès que possible sans plus chercher de prétexte.

 

18 VI 2742

 

Voilà. J’ai laissé derrière moi les météorites de la Frange. Une forte luminosité m’aveugle presque. Dans quelques heures, je retrouverai la première planète sauvage habitée. Je regarderai les deux soleils s’écraser sur la ville haute et le fleuve avant de m’égarer dans un bouge souterrain pour y nocer avec méthode.

C’est drôle avec ma gueule abimée par l’âge et les voyages, je suis plus chez moi ici, parmi tous ces fracassés que sur ma Terra de naissance. Là-bas, tout est si propre est verdoyant, chacun transite sur une trajectoire de perfection, l’âme et le corps retouchés depuis l’enfance. Je suis un lépreux parmi les miens, nostalgique de planètes mortes et de villes bétonnées et métallisées.

Terra, calibrée et miraculeuse, recouverte de prés et lacs translucides. Pas un bruit trop haut, pas un geste démesuré. Je suffoque, ma Terra, dans ton oxygène purifié et mon cerveau suinte l’ennui.

Je regarde une dernière fois mon visage sur lesquels se sont incrustées les émotions charriée pandant mes voyages avant de contempler la ville blanche, son fog épais et l’étendue liquide qui la ceint. Déjà le ballet désordonné du trafic s’épaissit en un nuage de moustiques d’acier. Vrombissant. Sautillant.

Juste avant d’amorcer la descente, j’hume l’air saturé et épais comme un cadeau de bienvenue.

29 mai 2009

Bis repetita (Caro carito)

C’est toujours la même chose

Depuis 15 ans.

Depuis ce premier jour.

 

J’avais immédiatement senti l’assaut des odeurs. Je suis comme ça. L’odorat sensible, les sens à cran. L’éclairage était dense et d’un jaune pisseux. J’ai hésité. Après tout, seules quelques semaines de mon temps seraient voracement dévorées. A l’évidence, l’emploi du temps plombait les traits de l’équipe. Leurs voix monocordes paraissaient venir d’outre-tombe.

Au bout d’un mois, il me suffisait de jeter un regard au miroir de ma chambre d’étudiant pour voir cette même ombre brouiller mes traits : yeux en creux, joues hâves. Je me rasais maladroitement. La chaleur intense de ce mois d’août n’avait pas quitté la nuit. Une sueur sourde collait à chaque centimètre carré de la ville. J’enfourchais mon vélo, sachant que en quelques coups de pédales, en dépit de la douche que je venais de prendre, mon T-shirt serait transformé en un suaire humide.

Dans le hall, je n’eus pas besoin de regarder l’horloge pour savoir, que l’agitation ambiante était inhabituelle. Mais plus que tout, cette atmosphère métallique me prenait à la gorge. Un médecin me reconnut. Il me héla. J’entrais dans la ronde. S’ensuivirent des gestes mécaniques, cette routine à laquelle je m’appliquais journellement était devenue un fanal. Je surnageais à l’angoisse ambiante.

Soudain une main me tira. Des ordres brefs. Ascenseur, couloirs. Nous précédions les brancardiers. Au fur et à mesure, les remontées poisseuses des blessés s’estompaient, balayés par le désinfectant qui imprégnait les murs et les sols. L’une des infirmières vérifia ma tenue.

Je l’ai déjà dit, je suis un homme sensible. Pas extra-lucide. Sensible. En pénétrant dans la salle d’op, je l’ai entendu. Distinctement. Avec cette netteté un peu affolante des apparitions qui s’invitaient dans ma vie. Je savais cet homme entre la vie et la mort. Je captais l’écho des sons mats de son corps, ce tambourinement implacable. Il m’emplissait de sa rage, de cette furieuse envie de ne pas interrompre la course. Déjà j’emboitais le pas à l’équipe. Juste derrière le mentor, l’homme en blouse blanche et aux mains qui plongent la lame à même la chair vive. Ce fut le premier jour, dépucelage au goût âcre qui me laissa sans forces au bout des quatre heures d’opération. J’en sortis épuisé mais certain d’y revenir encore. Je ne pouvais laisser échapper l’appel de ce souffle.

 

Depuis ce premier jour.

Depuis 15 ans.

C’est toujours la même chose.

Une des infirmières vérifie ma tenue et en pénétrant dans la salle d’op, je l’entends...

 

Un homme, une femme, un enfant sont étendus là et je sens battre leur vie. Les yeux ouverts, je plonge à cœur nu.

22 mai 2009

Lettre de Caro Carito

Cabinet Aimé Léperripe et Cie                                            
13 impasse des Maures, 2 allée des myosotis
Saint Germain en Laye

Jeudi, 29 août 2009

 

A l’attention de Mme Katia Laipouls-Scière                  

Madame,

Notre cabinet notarial a achevé il y a peu un rapprochement avec le cabinet de généalogie de Mlle Laure Niaire. Le mariage contrat ayant été conclu il y a à peine deux semaines, nos services n’ont pris connaissance de votre dossier, resté en cours d’étude, que récemment.

Dans un premier temps, après une recherche succincte, nous n’avons pas trouvé trace d’une quelconque Mme Ikse. Il faut dire, qu’en période prénuptiale préparatoire, il nous a été impossible d’approfondir les raisons qui avaient fait noter à la défunte notre adresse. Notre étude a été accaparée par les formalités administratives, les déménagements divers et variés et les affaire urgentes, nous obligeant à traiter avec un délai certain une partie de nos dossiers. Vous noterez d’ailleurs que notre papier à entête n’est pas encore conforme à notre nouvel état civil.

Heureusement, l’arrivée d’un jeune stagiaire zélé, disposant d’un triple cursus, notarial, bien sûr, en droit et en histoire, Nicolas Manhouvot, a permis de reprendre la recherche à zéro. Après avoir achevé sa mission de mettre sur serveur l’historique de notre société – qui remonte au début du 20ième siècle avec M. César Aimé -, il a pu retrouver un extrait de naissance, grâce au nom de jeune fille de Mme Ikse, plus connue au début du siècle dans notre ville sous l’accorte patronyme de Julie Sansieuse.

Vous trouverez ci-joint, le contrat de mariage de cette jeune femme, danseuse exotique au cabaret, Le chapeau vert, qui a fait place depuis à l’école maternelle des libellules, avec feu Roger Pasdechance. Le contrat stipulait que Mme n’hériterait de la fortune, coquette, de son époux, que si elle donnait jour à un enfant de sexe mâle. Notre étude a été sollicitée trois ans après la signature de cet acte, à la mort de M. pasdechance qui laissait une veuve inconsolable, sans aucun souci matériel et mère d’un enfant prénommé Béranger.

Nous n’avons pas d’autre renseignement à vous communiquer. Néanmoins, le jeune Nicolas Manhouvot se propose de vous aider dans votre recherche pour un modique forfait de 145,23 € TTC comprenant les frais de dossier.

Nous espérons que nous avons répondu à votre attente. Nous restons à votre disposition pour toute précision et nous vous prions, Madame, d’agréer l’expression de nos salutations distinguées.

Pour M. Aimé Léperripe………….

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 > >>
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité