Diableries corréziennes. (Yvanne)
Un jour le diable en eut assez de la vie qui était la sienne dans les labyrinthes du ciel. Il trouvait que c'était l'enfer là haut. Trop de travail. En situation de burn out. Besoin de vacances. Il décida d'aller faire un tour sur la Terre pour voir comment cela se passait chez les Hommes. C'était peut être le paradis. Il abandonna sa charge à ses subalternes trop heureux de pouvoir enfin manier la fourche. Et ils s'y entendaient ses diablotins. Ils avaient été à bon école. Ils étaient même pire que leur maître. Trop de rage retenue depuis trop longtemps. Et vas-y que je t'attise le feu. Et vas-y que je t'embroche les pauvres hères tombés sous leur férule pour leur plus grand malheur. C'était, paraît-il terrible. Je ne souhaite à personne pareil calvaire. Mais me direz vous s'ils étaient là c'est bien parce qu'ils l'avaient mérité. Pas sûr. Personne n'est infaillible. Même pas Dieu . D'ailleurs on s'aperçoit qu'il y a quelquefois des manqués.
Ses affaires réglées, le diable se glissa dans la peau d'un beau jeune homme et apparut sur la terre dans la plus grande discrétion. Il avait choisi comme point de chute un petit village corrézien nommé Gimel. Il y régnait une douce quiétude en ce jour de septembre ensoleillé et chaud. Satan fut surpris de constater qu'en devenant humain il en avait pris non seulement les formes mais aussi les exigences. Une soif tenace l'amena devant une fontaine où coulait une eau transparente et fraîche. Alors qu'il se penchait pour saisir dans ses mains en coupe le précieux breuvage, il entendit des pas derrière lui. Il releva la tête et se trouva en présence d'une jeune fille à l'allure de paysanne. Ni belle, ni laide, elle aurait pu passer inaperçue si quelque chose dans son regard n'avait attiré le voyageur comme un aimant.
- Bonjour ma toute belle. Je suis Jehan, un pèlerin en route pour Rocamadour. Comment te nommes tu et dis moi où je peux trouver le gîte et le couvert pour la nuit.
- On m'appelle Nanon. Vous pouvez venir chez nous. Vous y trouverez un abri et une bonne soupe.
Jehan, comme possédé, ne pouvait détacher son regard de l'étrange fille. Sa chevelure aux mèches folles, d'un roux ardent cascadait jusqu'à ses reins. Ses yeux, d'un noir profond semblaient lancer des lueurs farouches. Son sourire dévoilait des dents petites et pointues. Prêtes à dévorer...Toute sa personne électrisait le diable devenu homme. Il s'en voulait de succomber au charme de cette curieuse femme. Il la suivit à contre cœur – comment, lui, le diable pouvait il tomber amoureux se moquait il - jusqu'à une maisonnette où elle habitait, lui dit elle avec son frère.
Jehan vécut entre les deux jeunes gens qui firent tant et si bien qu'il ne put les quitter.
Il était ensorcelé et son amour pour Nanon allait toujours grandissant. Il ne tarda guère à demander sa main.
- Mon beau Sire, je serai à vous si vous me construisez un château où nous vivrons heureux.
Le diable essaya de protester – il n'était pas venu sur terre pour tomber en amour pour une jouvencelle – mais il ne pouvait pas résister au feu de ces yeux impérieux. Il fit ériger sur la plus haute colline de Gimel un magnifique castel.
- Ma mie, nous pouvons maintenant nous marier déclara-t- il en se jetant, tout fier aux pieds de la demoiselle.
- Mon beau Sire, voyons, je ne peux être à vous sans parures d'or et de diamants.
On apporta à la jeune femme des coffres pleins de lingots et de pierreries.
- Ma mie, vous voilà riche à présent. Il est temps de célébrer nos noces supplia Jehan.
Mais la capricieuse voulait toujours plus et elle fixa un nouvel ultimatum au pauvre diable de Jehan.
- Mon beau Sire, j'aimerais tellement entendre le bruit de l'eau dévalant les gorges depuis mes appartements. Faites moi donc ce dernier plaisir et nous nous unirons c'est promis.
Jehan exauça encore son vœu. On entendit bientôt des grondements provenant de la rivière Montane. Trois cascades successives rugissaient pour se jeter dans un gouffre profond. Jehan, excité comme un petit garçon crut que sa belle, enfin satisfaite allait cette fois lui accorder sa main. Il se précipita dans sa chambre. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant sa bien aimée dans les bras de son prétendu frère !
Le diable berné vit rouge, vociféra, tenta de s'approcher du couple pour se venger mais les yeux de Nanon le clouèrent sur place. Il comprit alors qu'il avait à faire à une sorcière. Il se sentit tellement ridicule qu'il décida sur le champ de retrouver son fief au fond des enfers en jurant que ces deux là devraient payer un jour pour leurs forfaits. En reprenant son apparence initiale il constata avec stupeur un changement d'importance dans sa physionomie. Des excroissances avaient poussé sur sa tête.
C'est bien évidemment depuis cette histoire de diablerie corrézienne que Lucifer porte des cornes. Et que l'on peut admirer à Gimel les splendides cascades créées sous la contrainte par Satan et dont tout le Limousin s 'enorgueillit. Mais pour bien montrer que pour lui l'enfer était sur la Terre il ne manqua pas de laisser une dernière trace de son passage en nommant Inferno les gorges insondables et sombres de la Montane.