Qui perd et ne gagne pas. (Yvanne)
- Je l'ai perdu ! Je l'ai perdu !
Zélie, une voisine de Maria et de Céleste – que vous connaissez déjà avec l'histoire des cuillères en bois – plantée au milieu de son jardin, lève les bras au ciel, complètement affolée.
Elle crie tellement fort que tout le village se précipite pour voir ce qui se passe. En temps normal, Zélie, une célibataire endurcie, calfeutrée chez elle hiver comme été, passe totalement inaperçue. Comme si elle n'existait pas. Tout le monde est habitué et personne ne s'occupe d'elle. Sauf aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui Zélie ameute le hameau d'ordinaire tranquille.
- Je l'ai perdu ! Je l'ai perdu !
Quelques hommes font remarquer d'un ton égrillard qu'il serait enfin temps que la Zélie l'ait perdu. Ils parlent de son pucelage « vous aviez deviné j'espère » Trêve de plaisanterie. Les choses ont l'air sérieuses. Aussitôt la brave Maria se précipite chez sa voisine qui s'arrache les cheveux.
- Eh bien Zélie ! Qu'est ce qu'il t'arrive ? Qu'est ce que t'as perdu ?
- Mon Kiki Maria . J'ai perdu mon Kiki.
Ce qui bien entendu fait s'esclaffer les hommes. C'est encore plus croustillant que ce qu'ils pensaient.
- C'est qui ton Kiki Zélie ? Ton chat ?
- C'est mon coq. Je viens d'aller au poulailler pour soigner mes bêtes et il n'est plus là.
- Le renard te l'aura pris ma pauvre !
- Impossible ! J'ai mis une double porte à leur cabanon. Impossible de rentrer. Et tout était bien fermé. Je ne comprends pas. Oh ! Il est tellement beau mon Kiki. Tellement affectueux. Et réglé comme une horloge. Il me réveille le matin et c'est un bonheur de l'entendre chanter.
Maria, qui a parfois entrevu l'animal retient un rire. Ah il est beau le Kiki ! Décati, efflanqué, le cou nu, la crête en berne, et par dessus le marché l'œil torve. Et pour ce qui est de son chant si gracieux aux dires de sa propriétaire, cela fait grincer les dents de Maria qui se passerait bien de ses « cocorico » enroués dès potron-minet. On croirait une crécelle. Pourvu qu'il ait disparu le Kiki à la Zélie pense Maria ! Mais enfin il faut bien rendre service à la voisine.
- Écoute Zélie. On va tous s'y mettre et on va le chercher.
Les villageois, peu pressés en ce dimanche après midi prennent des bâtons pour inspecter les fourrés alentour. Pas de Kiki. Il faut faire quelque chose parce que Zélie est prête à tourner de l'œil tant elle se lamente.
Céleste, toujours derrière ses carreaux ouvre enfin sa fenêtre et dit doctement :
- Je descends et je vais aller jusqu'à l'église avertir Monsieur le Curé et nous prierons Saint Antoine. C'est sûr, il va intercéder pour retrouver le coq perdu.
- Te fatigue pas Céleste avec tes bondieuseries dit un voisin. On va appeler un sourcier. J'en connais un très bon qui habite tout près.
- Ah non gémit Zélie. Pas de sorcier. Pas de sorcier. Il va faire peur à mon Kiki.
- Un sourcier, pas un sorcier ! Un radiesthésiste si tu préfères. En plus de sa baguette, il a un pendule pour localiser ce qui est perdu.
- Une pendule ? Mais qu'est ce qu'il raconte ? J'ai pas besoin de pendule moi. C'est Kiki ma pendule le matin.
- Zélie, va t'asseoir et laisse nous faire lui intime un voisin plus du tout amusé par les bêtises de la brave femme.
On dépêche un gamin à bicyclette dans le village proche pour ramener au plus vite l'homme de science. C'est alors que sortant du bois bordant le hameau surgit, fier et bombant le torse le Kiki à la Zélie. Mais il n'est pas seul : une jolie poulette blanche très fraîche l'accompagne en restant, comme il se doit, deux pattes derrière son amoureux.
Zélie est folle de joie. Elle prend son coq dans ses bras et le félicite d'avoir déniché une si belle volaille, bien dodue et sûrement très tendre. Finalement je vais la mettre à la cocotte avant que quelqu'un la réclame pense-t-elle. Mais voilà qu'arrive, essoufflé, le radiesthésiste.
- Mais c'est ma poule. Qu'est ce que c'est que cette histoire ? Rendez moi ma poule !
- C'est pas nous, c'est Kiki !
Le bonhomme se précipite pour récupérer son bien mais le Kiki à la Zélie fonce et s'abat sur lui, attaquant férocement ses mollets.
- Sale bête va ! Le sourcier, rouge de colère poursuit le volatile avec sa baguette - suivi par une Zélie qui n'a jamais couru aussi vite - pendant que les villageois retiennent leurs rires. Un dimanche ordinaire à la campagne.