Balades (Yvanne)
Viendront-ils cette année ces après midi radieux où invariablement, attirée comme par un aimant je file dans mes bois préférés ? Pas un seul jour depuis que l'automne est arrivé je n'ai pu aller fouler les feuilles mordorées des châtaigniers. Pas un seul jour où j'ai pu admirer la lumière filtrante aux tons cuivrés du soleil à travers les arbres, inondant de sa clarté tamisée les sous bois. Il pleut tout le temps. Bien sûr, je vais arpenter quand même mes Saulières, les bottes aux pieds, un parapluie au-dessus de la tête et le ciel gris et bas pour compagnon. J'ai besoin de ces moments pour me vider l'esprit, être seule avec moi-même. Mais quelque chose d’indéfinissable et de prégnant me manque.
J'aime l'automne et je lui en veux aujourd'hui de me priver de ses trésors.
Les arbres n'ont pas encore perdu totalement leurs frondaisons. C'est pour cela que j'espère encore quelques journées de soleil avant le froid et la mise à nu de la végétation pour profiter des couleurs chaudes de la saison. Ces couleurs tellement belles dont je ne me lasse jamais, cet embrasement qui me serre le cœur. L'automne ardent dans mes Saulières n'est qu'harmonie et je communie avec la Nature, complètement envoûtée.
Je connais sur le bout des doigts tous les chemins qui sillonnent le massif de 400 hectares. J'évite les sentiers trop connus tel le chemin de mémoire de la Résistance et je me coule, comme un animal sauvage à travers les chênes, les châtaigniers et les pins sylvestres en écartant les fougères flamboyantes. Pas âme qui vive au grand dam de mes proches - qui craignent pour moi toujours le pire : accident, mauvaise rencontre etc - et c'est ce que je veux.
J'adore me glisser dans ces sentes de chèvre à peine perceptibles qui se faufilent, tortueuses comme des couleuvres. Elles m'entraînent dans leur sillage et me retiennent. Je suis un autre moi qui ne pense pas, toute aux émotions qui me submergent. Je respire avec délice les senteurs enivrantes d'humus, de noisette, de terre riche, de feuilles putrescentes et bien sûr aussi l'odeur si particulière des champignons. Souvent domine le parfum lourd et musqué de la sauvagine qui s'enfuit prestement à mon approche délaissant une couche tiède et fumante. Tous ces effluves capiteux et subtils m'enfièvrent. Pas un bruit qui déchirerait la plénitude. Un silence presque parfait. Juste un chant d'oiseau de temps à autre qui me semble un peu triste ; un craquement soudain et bref de branchages ; le souffle d'une brise légère faisant frissonner les feuilles des châtaigniers dont les nervures ressemblent de plus en plus à une fine dentelle. J'avance et je ressens la douce impression – ou illusion - d'être intégrée complètement dans ce formidable univers.
Mes Saulières en automne sont splendides sous le déferlement et l'éclat de ses ors, ses pourpres, ses verts fanés, adoucis. Sans mélancolie encore, le vie est là. La liberté aussi pour moi. Celle d'avoir volé des instants de bonheur intense. Une parenthèse sereine dont je ne saurai me passer qui me nourrit et m'apaise.