Les parenthèses (Pascal)
Puisqu’on ne peut nommer l’une sans l’autre, voici deux belles arches de ponctuation sur le chemin de la lecture, des gémeaux de phrases qui se regardent dans le reflet des mots qu’ils contiennent. Les parenthèses sont les deux mains en porte-voix de l’auteur qui murmure un fait de l’histoire au visiteur.
Lecteurs assidus, avec un certain empressement, quand on ouvre la première, on entre dans un autre monde. Plus qu’une affirmation, un détail qu’il soutient avec ardeur, une précision évidente, une simple date, l’auteur s’autorise, un instant, à être lui-même dans l’histoire qu’il écrit. Simple anecdote ou broderie, divagation ou excursion, c’est une courte histoire, parfois un mot, un bémol, une partie de sa vraie vie, son expérience en filigrane, un peu plus de couleur dans l’allégorie qu’il déclame, un « vous me comprenez » sous-entendu. C’est son explication entre quatre yeux avec le lecteur, la vérité vraie, son petit « quant à moi » qu’il ne peut éviter tant il faut qu’il le raconte.
C’est une communion intime que l’auteur conçoit avec le lecteur, avec une digression opportune. Saillie ou litote, c’est une partie de la clé de son histoire, une parcelle de son secret, un soupir de réflexion accordé à son hôte. C’est un pied de nez à son histoire, un égarement convenu et inopiné, absolument nécessaire à son inspiration. C’est parfois le départ d’une autre aventure, un chemin de traverse, une différenciation avec son analyse, une contingence qui déporte son sujet.
Elles sont le portemanteau théâtral de l’écrivain. Révérence sardonique ou grimace émue, s’y accrochent la familiarité, l’austérité, la sincérité, la vulgarité, l’extraordinaire, le paradisiaque, qu’il pourra s’autoriser entre le sceau de ses parenthèses. Lire l’intérieur d’une parenthèse raconte parfois plus l’auteur que son histoire.
Dans le cheminement lyrique, avant les points de suspension qui suggèrent, les parenthèses détaillent sans dévoiler ; elles sont les cousines des guillemets ; les mots s’y dispensent de majuscule, souvent de ponctuation et de verbe. Mais point trop n’en faut car, fréquemment, la parenthèse évente le secret ou l’enfouit dans les ténèbres de l’entendement du lecteur. Elle induit en erreur, s’en va dans des labyrinthes inextricables où la seule issue possible est de ne pas la lire.
Pourtant, pour qui sait traduire ses mots emprisonnés, la parenthèse est un éternuement de diva, une larme de poète ; dans sa transparence grossie mille fois, assujetti au secret, le lecteur, devenu naturellement ami, comprend toute la déroute. Elle est une signature d’amoureux (surtout entre les miennes), un poème entre les creux d’une seule vague, une lumière passionnée entre deux nuages complices, un empêchement, un maléfice, un retard de calèche ou un automne trop précoce. Elle est un no man’s land, une frontière, un fourre-tout où on n’entasse que l’essentiel en mots sibyllins. Souvent, quand on ferme la deuxième, on est investis dans le secret ; on n’est plus pareils, comme si on avait parlé à l’auteur.
Tout à coup, nos yeux s’emballent ! Le train de la phrase repart vers son aventure ! L’une après l’autre, les deux portières des parenthèses se referment et, dans une autre gare de partage, les mots voyageurs ne délivreront leur confidence… qu’au prochain lecteur…