Au vert (Yvanne)
Comme beaucoup de personnes – enfin celles qui en eurent l'opportunité – Valérie et son compagnon Stéphane quittèrent la ville pendant le confinement lié à la covid pour se réfugier à la campagne. Des amis vivant à l'étranger leur avaient prêté leur longère tout le temps qui serait nécessaire.
Jusque là ce couple de quarantenaires ne se posait pas la question : ils habitaient Bordeaux et s'y sentaient bien. Un appartement spacieux, lumineux avec une vue magnifique sur la place de la Bourse, un métier qui les passionnait tous les deux. Sans enfant d'un commun accord. Beaucoup d'amis et de relations. Ils étaient heureux. Du moins le croyaient-ils !
Quelques mois passés dans une bourgade tranquille, à seulement quelques dizaines de kilomètres de la capitale régionale, loin des embouteillages, du bruit, de la frénésie moderne, de l'indifférence des gens, les firent réfléchir. Valérie surtout. Elle avait pris goût à cette vie simple dans ce village de quelques âmes où tout le monde les avait très bien accueillis. Un couple de fermiers affables, principalement, qui leur donnait des œufs, des légumes du jardin, des fruits et se proposaient gentiment pour d'éventuels services à rendre.
Un jour ces voisins généreux se présentèrent avec un gros panier de cerises. Que faire ? Ils ne pouvaient pas tout manger et ils n'allaient quand même pas jeter ces grosses Burlat juteuses et parfumées offertes de si bon cœur. Valérie eut une idée : les transformer en confiture. Aucune expérience de la chose. Qu'importe. La tentation tout à coup était trop forte. Et puis l'inaction commençait à lui peser. Quelques livres de recettes, des tutoriels sur YouTube et la voilà prête à officier. Auparavant se munir d'une bassine et de sucre cristallisé. Et puis aux fourneaux. Ce fut une vraie réussite. Valérie, jusqu'alors réfractaire aux casseroles eut envie d'en faire plus. Elle s'entendit avec les voisins du village pour acheter tout le surplus de leur potager et se mit aux conserves avec bonheur. Elle regardait, émerveillée et fière les pots et bocaux qu'elle entreposait dans la grande cuisine en attendant de les emmener chez elle. Chez elle ? A Bordeaux ?
Une idée germa dans l'esprit de la jeune femme, fit son chemin et devint vite une évidence : il fallait dès maintenant changer de vie. Restait à convaincre son ami. Aucune difficulté. Stéphane rêvait de nature, de grand air et de liberté. Il pensait alors à Rimbaud lors de ses promenades solitaires dans les champs et forêts et voulait comme lui « fouler l'herbe menue » pour en sentir « la fraîcheur à ses pieds » et « le vent baigner sa tête nue » pour les années à venir. Il se demandait comment ils avaient pu tout ce temps passer à côté de ces joies simples, surtout celles de côtoyer des gens qui avaient encore de l'humanité.
Sans plus tarder ils se mirent en quête d'une maison avec un grand jardin. Ils projetaient de cultiver eux-mêmes leurs légumes et pourquoi pas avoir des animaux. Stéphane se moquait gentiment de Valérie qu'il appelait affectueusement sa Perrette. Ils dénichèrent une élégante bâtisse toute proche du lieu de leur refuge-covid. Très chère mais la vente de leur bel appartement à Bordeaux ajoutée à leurs économies couvrirait une bonne partie des frais. Pour le reste leurs salaires respectifs leur permettaient d'envisager l'avenir avec sérénité. Stéphane était avocat d'affaires et Valérie, JAM (juge aux affaires matrimoniales.)