Au Clos des Marguerites (Yvanne)
Madeleine Pinson voulait intégrer une maison de retraite. Pas n'importe laquelle : après bien des recherches elle avait jeté son dévolu sur une belle résidence – une maison de maître – nichée au fond d'un parc aux arbres centenaires. Elle s'était procuré toute une documentation qui vantait les qualités d'un établissement luxueux au nom prometteur : « Les Portes du Paradis ». Un peu cher sans doute mais Madeleine songeait qu'après toutes ces années de labeur elle méritait bien de finir sa vie douillettement.
Madeleine Pinson, contrairement à d'autres qui freinent des quatre fers quand on a décidé pour eux de les placer en ehpad, en avait assez de trimer pour tenir son intérieur, faire les courses, cuisiner etc... Elle désirait maintenant qu'on la serve comme elle avait servi les bourgeois toutes ces années.
Madeleine travaillait à Paris comme cuisinière chez des gens de la mode, du cinéma et même à la fin chez des politiques. Elle en avait vu et entendu des vertes et des pas mûres. Mais fidèle à ses engagements elle ne disait mot de tout cela. Motus et bouche cousue ! Le scandale ne passerait pas par elle. Pourtant elle en savait des choses. Et des pas jolies jolies.
Le moment venu pour eux de prendre la retraite, Madeleine et son mari Henri Pinson avaient décidé de revenir à leurs origines : les terres corréziennes sur le plateau de Millevaches, au milieu des bruyères. Ils avaient acheté une jolie maison dont Monsieur Pinson avait peu profité hélas. Au bout de deux années de bonheur simple, le crabe avait fait son œuvre et l'avait emporté laissant sa femme désemparée. Mais elle avait courageusement remonté la pente et vécu vingt ans sereinement. A 82 ans, elle se disait aujourd'hui qu'elle avait besoin de repos.
Le fils unique des Pinson, retraité depuis peu, s'était rapproché de sa mère au grand dam de son épouse qui ne jurait que par la grande ville. Il avait fallu faire des concessions et pour plaire à sa dame, acquérir un grand camping-car tout confort et vagabonder à droite et à gauche.
C'est bien simple se disait Madeleine, qui jugeait cet achat exorbitant et inutile, Julien n'est jamais là quand j'ai besoin de lui. Toujours par monts et par vaux avec cet engin de malheur. Je vais lui mettre sous le nez cette maison de retraite. On va bien voir...
- Tu veux aller en ehpad maman ? Toi ? Mais tu es en pleine forme. Tu l'affirmes toi-même.
- Oui. Et je sais déjà où je veux aller finir mes jours paisiblement. Tiens, voilà les papiers. J'ai déjà tout préparé. Il faut ta signature je me demande bien pourquoi d'ailleurs.
Après une lecture attentive des brochures provenant des « Portes du Paradis » Julien leva les bras au ciel, horrifié.
- Tu n'y penses pas maman ! Tu as vu les prix ? Puisque tu veux aller en maison de retraite, j'ai une bien meilleure idée. Près de chez nous à Brive il y a le Clos des Marguerites. C'est très bien je t'assure. Et nous serons juste à côté.
- Ah ! Je vois je vois hypocrite ! Tu n'attendais que ça pour te débarrasser de moi hein ? Tu avais tout prévu ? Le Clos des Marguerites ! Et pourquoi pas le Clos des Chrysanthèmes ou des Pissenlits pendant qu'on y est ! Bien plus approprié ! C'est trop cher « Les Portes du Paradis » dis-tu ? Vends ma maison et ta roulotte de bohémien et ça fera le compte au moins pour un moment.
Il avait bien fallu en finir et Madeleine qui avait demandé elle-même à partir de chez elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et fut admise rapidement au Clos des Marguerites. Elle logeait là depuis quelques jours et boudait un peu. Elle s'enfermait dans sa chambre pour de longues siestes ne voulant pas de compagnie pour le moment.
Alors qu'elle somnolait cet après midi là, une petite mouche se mit à la taquiner. Impossible de la chasser même à grands renforts d'éventail. L'impertinente revenait sans cesse à la charge. Marguerite, énervée, se leva, chercha une arme efficace et ce fut la carpette au pied de son lit qui lui tomba sous la main. S'en suivit une course-poursuite effrénée et dévastatrice. Son voisin de chambre qui ne manquait pas d'humour alerta Josy, l'aide-soignante de service.
- Josy, allez donc faire un tour à côté. Il y a le petit oiseau qui vole partout et va tout écraser.
- Quoi ? Quel petit oiseau ? Qu'est ce que vous racontez ? Il y a un oiseau chez Madame Pinson ?
En haussant les épaules Josy ouvrit la porte de la chambre de Madeleine et évalua le grabuge, incrédule.
- Qu'est ce qui se passe ici ? Qu'est ce que vous faîtes Madame Pinson ? Arrêtez ça tout de suite.
- Oh vous là ! Aidez-moi à tuer cette sale bête au lieu se rester là comme une momie.
- Une sale bête ? Quoi ? Une souris ? Un cafard ?
- Une MOUCHE ! Là. Vous ne la voyez pas sur le rideau ?
- Oh c'est juste une mouche Madame Pinson . Ce n'est pas grave ça une mouche. Attendez. Vous allez voir. Je vais chercher la bombe de Catch !