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Le défi du samedi
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25 février 2023

Défi 756 (Clio101)

 

Après plusieurs jours de marche forcée qu’il vente, qu’il pleuve ou sous un soleil brûlant, elles étaient enfin arrivées. Il ne leur restait plus qu'un pont à franchir et elles pourraient enfin prendre un peu de repos. Bérilde s’engagea sur les marches d’un pas décidé. Sa longue chevelure, emmêlée et sale, ses habits poussiéreux, ses bottes crottées, la poussaient en avant, anticipant avec délectation le moment où elle plongerait dans un bain chaud. Anira lui emboîta le pas sans enthousiasme. Tout lui était indifférent. Sans se préoccuper de son acolyte, elle s’accouda à la rambarde de l’ouvrage d’art, fixant, comme hypnotisée, les méandres du fleuve qui s’étirait paresseusement devant elle. Il voguait, indifférent aux vicissitudes des hommes. Anira ne pouvait s’empêcher de l'envier. Qu’il aurait été bon d'être comme lui, sans se soucier de ce qui pourrait advenir, sans s’interroger sur les possibles conséquences de ses actions. Depuis qu’elle avait découvert le pendentif au milieu de la déflagration, elle se sentait comme anesthésiée.

—  Anira ! Tu viens ?

Anira releva la tête et croisa le regard de son interlocutrice mais ne bougea pas pour autant. Bérilde soupira et se rapprocha d'elle.

— Ecoute, on ne peut pas continuer ainsi. Tu n’aurais rien pu faire pour sauver Essaïra, ni même la faire changer d'avis. Te ronger de culpabilité ne te servira à rien, et certainement pas à honorer sa mémoire.

— J’étais sa meilleure amie ! Si elle m’avait parlé de son projet, si j’avais insisté pour le connaître, si j'avais forcé la porte de chez ses parents, j’aurai pu la convaincre. Il y avait un autre moyen, j’en suis sûre ! Une autre possibilité pour qu'Essaïra ne sacrifie pas sa vie ainsi. Elle venait juste de guérir de la mort de son frère, elle avait la vie devant elle, jamais ça n’aurait dû finir comme ça.

— Tu te trompes. Essaïra avait pris sa décision en toute connaissance de cause et ni toi, ni moi n’aurions pu la convaincre. Quand elle est venue dans mon bureau, j’ai bien essayé de la faire renoncer mais j’ai bien compris que ça ne servirait à rien. Maintenant, nous devons...

— Tu ne la voyais plus depuis des années. Moi, je la connaissais, je l’ai entourée, soutenue, j’aurais pu l’aider. Je m’en veux, mais je m’en veux. Je n’en peux plus.

Prise par une soudaine impulsion, Anira tourna les talons et redescendit du pont avant de s’éloigner à grandes enjambées. Elle allait atteindre la grande forêt des rêves bleus quand Bérilde lui saisit le bras et la força à lui faire face.

— Moi aussi je m’en veux. J’aurai voulu la stopper mais j’en ai été incapable et ça me ronge, tout autant que toi. Mais m’assaillir de culpabilité ne me fera pas avancer. Ses parents savent que tu es partie avec moi, au pire ils croiront que tu es ma complice, au mieux ils t’enfermeront dans une cage dorée pour te protéger. Je comprends que ça soit dur pour toi mais tu dois passer outre. Nous devons achever cette mission quoi qu’il nous en coûte. Alors, pleure si tu veux, pleure un bon coup, mais après soit forte. Essaïra restera vivante tant que nous resterons fidèles à sa mémoire.

Les vannes d’Anira s’ouvrirent. Elle pleura un long moment, criant à la face du monde sa colère. Quand ses larmes se tarirent, elle redressa les épaules et s’avança à nouveau vers le pont, sans adresser un regard à Bérilde.

— Je suis prête.

Elles traversèrent le pont silencieusement, espérant que le passage ne leur serait pas refusé.

Elles n’avaient pas fait un pas face aux murailles de pierres qu’un ordre sec leur aboya aux oreilles de reculer. Bérilde tenta de négocier, montra même une bourse contenant leurs maigres possessions mais rien n’y fit. Elle ne cessa pas de sourire puis rebroussa chemin, Anira sur ses talons.

Toutes deux passèrent le reste de la journée  tapies derrière un arbre. Quand la nuit eut descendu son manteau sombre, elles reprirent la route, passant sur un escalier de pierre près de l’entrée du pont. Il descendait vers les berges, pour permettre aux pêcheurs d'atteindre le fleuve en contrebas.

Elles longèrent le cours d’eau jusqu’à se trouver au pied des murailles.

Anira émit un sifflement, impressionnée.

D’en bas, les murs écrasaient de leur masse quiconque osait s’aventurer trop près. Les pierres blanches et lisses, sans une aspérité, s’élevaient à une telle hauteur qu’il était difficile, même en arquant la tête jusqu’aux limites de ses capacités, d’en apercevoir les créneaux. Monter à la main semblait impossible, d’autant que des gardes devaient patrouiller, et rejetteraient impitoyablement tout opportun qui tenterait de monter.

Bérilde de son côté semblait trouver la situation tout à fait naturelle. A gestes mesurés, elle sortit de son sac une large corde comportant un grappin à son extrémité. Son regard se porta vers le haut, scannant la hauteur des murailles, s'empara du grappin et le fit tournoyer énergiquement pendant quelques minutes, avant de le lancer en l’air. Anira le suivit des yeux, persuadée qu’il retomberait au sol à la première occasion. Mais ce ne fut pas le cas.

Anira tourna ses yeux vers Bérilde. La jeune femme suivait l’ascension de la corde en remuant silencieusement les lèvres. Comme si elle lui obéissait, celle-ci continua à se dresser jusqu’à atteindre et entourer solidement un créneau.

Bérilde la regarda.

-          Notre montée est assurée. Tu grimpes ?

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Commentaires
Trés prenant<br /> <br /> <br /> <br /> Le fleuve étirait ses méandres,<br /> <br /> "Il voguait, indifférent aux vicissitudes des hommes."<br /> <br /> <br /> <br /> Oui, c'est ainsi, quand se peut, et c'est bien ...
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E
encore une superbe histoire romanesque fantastique, merci pour l e plaisir d e lecture
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K
Ton récit, dixit Kate, est un début rêvé de roman ! On a très envie de connaître la suite... et le début. J'adore tous les détails que tu insères : ils donnent beaucoup de "coffre" au tableau.
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P
Agréablement transportée dans les méandres de ton récit.
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J
On ne s'attendait pas, à partir d'un méandre, à entrer dans un feuilleton post-apocalyptique, mais le fait est que, comme le grappin, nous sommes bien accrochés·e·s !
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W
Pas besoin de creuser des douves lorsqu'on a un beau méandre !<br /> <br /> Bon, c'est pas tout ça, va falloir grimper maintenant !
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L
QUEL SENS DU Récit!
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K
Un parfait début de roman ! À suivre, surtout, talentueuse Clio !
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L
Quel imagination autour d'un méandre !
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