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17 décembre 2022

Un âne au Paradis. (Yvanne)

 

Joseph Nicoulin dit « le Nicou » du village de la Buffadière venait de mourir. Nombreux furent ceux qui l'accompagnèrent à l'église puis au cimetière. Joseph, facteur de son état était apprécié de tous. Serviable, ponctuel, aimable, le préposé rendait de nombreux services aux personnes qui ne pouvaient se déplacer. Les ménagères le récompensaient en lui donnant qui deux tourtous (galettes de blé noir salées) qui une portion de civet etc...On supposait que Joseph, tellement maigre qu'il faisait peine à voir, ne s'embarrassait pas avec la cuisine. Il était aussi un homme très secret et ne recevait personne dans sa maisonnette située à l'écart dans la commune. La Buffadière ne comptait qu'un seul habitant : lui.

Le Nicou était célibataire, un célibataire tellement endurci que pas une femme n'avait réussi à mettre le grappin dessus malgré de gros efforts. Joseph avait du bien et on le savait. Certaines femmes ayant coiffé Sainte Catherine n'auraient pas hésité à se perdre pour convoler. C'était peine perdue : il était aveugle à toutes les avances.

Joseph n'aimait que les ânes. Il en eut plusieurs sa vie durant. A son décès tout le monde s'interrogeait pour savoir ce que l'on allait faire de Barbarin, le dernier en date, tellement vieux et décrépi que pas un paroissien n'en voulait. La pauvre bête avait bien compris que sa vie était fichue. Il mourut le lendemain de l'enterrement de son maître. On le trouva raide dans son étable.

L'histoire était finie sur cette terre pour les deux amis. Mais pas au Ciel. Dieu, voyant arriver chez lui Joseph suivi de son fidèle Barbarin convoqua Saint Pierre et le curé de la commune décédé quelques mois plus tôt. Ce dernier se prélassait dans le jardin d'Eden en croquant des pommes, ses fruits préférés. Non, il n'avait pas peur de la tentation. Du moins pas de celle-là.

Le diable, toujours à l’affût d'une bonne affaire s'imposa. Le colloque délibéra. Et ce fut animé. Le curé possédait le testament de Joseph dans lequel ce dernier précisait que Barbarin devait le suivre au Paradis s'il tel était son destin. Ce dont il ne doutait pas.

Un âne au Paradis ? Dieu, l'air dubitatif, caressait sa barbe qu'il avait longue et blanche comme celle du Père Noël. Saint Pierre brandissait sa clé et sa tête en signe de dénégation pour montrer son désaccord. Le curé insistait en mettant sous le nez du Créateur qu'il avait introduit sur la Terre aussi bien des hommes que des animaux. Pourquoi délaisser une partie de ses créatures ? Le curé osa dire que ce n'était pas juste. Le diable piétinait d'impatience, le regard avide. Il avait déjà une idée. Il allait mettre le bourricot au boulot en le faisant tourner autour de son foyer. Attaché à un énorme soufflet, la bête servirait à l'actionner pour alimenter les flammes. Il suggéra que chez lui Barbarin serait très utile.

Dieu posa sur sa balance céleste les arguments des uns et des autres. Il fallait trancher.

- Curé, as-tu béni l'âne chaque année durant ton sacerdoce ?
- Oui, bien sûr Seigneur. Je n'ai jamais manqué mes bénédictions des étables et des écuries.
- Et tu en a profité pour baffrer chez le maire et les riches de ta commune. Ça je sais. Passons. Et Joseph ?
- Quoi Joseph ?
- Il me semble qu'il ne fréquentait guère ton église pour la messe du dimanche ? Il préférait braconner quelques truites dans le ruisseau de la Buffadière. Dont tu as profité quelquefois non ?
- C'est vrai Seigneur. Mais vous savez la bonté du Nicou. Un saint homme...
- Saint ? Pas si vite curé ! Pour qui te prends-tu pour décider à ma place ?
- Oh ! Seigneur, je ne voulais pas vous offenser. Euh... le Nicou me tiendrait compagnie. Je suis bien chez vous mais quelquefois je m'ennuie. - -  - C'est dur ici de demeurer en chasteté avec toutes ces...Et Barbarin alors ? Qu'allez-vous en faire ?
- Ne me fais pas regretter de t'avoir accueilli. Mais cet âne...Avec ce nom...Ça me chiffonne un peu. Barbarin Bar-ba-rin ! Il a des comptes à régler avec moi celui-là. Je ne veux pas entendre prononcer ce nom chez moi. Débrouillez-vous pour nommer l'animal autrement. C'est bon. - - - Saint Pierre, ouvre la porte et filez tous les trois avant que je change d'avis. Un âne au Paradis ? On aura tout vu mais ce brave Francis Jammes me le demande depuis si longtemps...
 

 

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Commentaires
L
C'est vrai que ton histoire qui m'a ravie vaut les lettres de mon moulin
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T
joli conte qui merite une relecture je reviendrai
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J
Ton texte me fait penser à la chanson de Renaud à propos du chien de Tonton. :'(<br /> <br /> <br /> <br /> https://youtu.be/OHDr-pi1s9w
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W
Et le nouveau nom de l'âne, bon Dieu, quand le connaîtra-t-on ?<br /> <br /> ...Pas Walrus quand même ?
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J
Comment ça ? La chasteté c'est dur, surtout vers la fin ?<br /> <br /> <br /> <br /> Belle histoire qui rappelle effectivement Cucugnan et justifie les énervements d'Augustin Dieu le mélophobe ! ;-)
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K
Magnifique, cette nouvelle, Yvanne ! Et quelle chute ! Ça commence comme un conte des "Lettres de mon moulin" et on arrive à ce bel hommage à Francis Jammes ! 👏
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