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Le défi du samedi
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11 juin 2022

La maï capel. (Yvanne)


La maï capel – traduisez la mère chapeau – a fait partie des personnages insolites de mon enfance.
C'est ainsi que les gens du village nommaient cette veuve de guerre un peu folle. Nous les enfants  changions le « p » en « m » et l'appelions « la mère chameau » ou bien la sorcière. En toute saison elle portait un galurin informe sur la tête. Elle usait jusqu'à la corde les chapeaux – tout comme les vêtements - qu'on lui donnait ou qu'elle récupérait aux ordures. Je ne vous dis pas la tête de Madame, la femme du Maire le jour où elle découvrit avec stupeur l'un de ses couvre chef hardiment planté sur le chignon sale de la Léontine. En vrai, elle s'appelait Léontine. Quel scandale ! Le Maire en personne vint récupérer le bibi de son épouse chez la bonne femme. Elle pouvait prendre tout ce qu'elle voulait dans les affaires jetées mais surtout pas ce qui avait été porté par Madame. Enfin tout de même ! C'est à cet incident regrettable que Léontine dut son surnom.

Léontine se le tint pour dit. Et la vie reprit comme avant. La maï capel donc, vêtue en toute saison d'un manteau noir – le deuil de son Marcel mort pour la France oblige – qui lui battait les jambes, chaussée de bottes en hiver et de sabots en caoutchouc le reste du temps se trouvait toujours où on ne l'attendait pas. C'est ainsi qu'elle surprenait les conversations, les disputes et les secrets des familles. Elle entendait tout. Et savait en jouer le cas échéant. Elle adorait mettre son nez partout, donner des avis qu'on ne lui demandait pas. Léontine avait l'art d'apparaître brusquement sans que l'on détecte le moins du monde sa venue. On ne pouvait pas dire pourtant qu'elle était transparente. Ça non. Plutôt une rude gaillarde. Et forte en gueule. De plus une vraie poissonnière ! Si certains accueillaient ses grossièretés d'un rire gras d'autres, dont les mères, poussaient  leurs enfants devant elles dans les maisons pour préserver leurs chastes oreilles. Les grands-mères se signaient à la va vite pour conjurer les maléfices quand Léontine s'en prenait au Ciel ou au curé en blasphémant tout son saoul. Sa façon à elle sans doute de dépenser son trop plein d'énergie et de jeter sa hargne.

De fait, Léontine se faisait une joie mauvaise de débiter des cochonneries devant les gamins. Tout simplement parce qu'elle ne les aimait pas. Peut être parce qu'elle n'avait pas eu le temps d'en avoir avec son Marcel décédé peu après leur mariage en 1939. Aigrie sans doute, elle se vengeait de cette façon. Nous les enfants le lui rendions bien. Un coup d'œil rapide pour s'assurer qu'elle était absente et nous voilà à investir son jardin auquel elle donnait tous ses soins. Un jour, elle me surprit à arracher consciencieusement ses poireaux fraîchement repiqués. Vous imaginez la suite...

Bref. La Léontine n'avait pas que des défauts. On pouvait compter sur elle pour rendre service. Comme elle était forte comme un bœuf on lui demandait son aide pour les gros travaux. En échange on laissait ses chèvres pâturer dans les terres en jachère. Ses chèvres. Elle aimait ses animaux plus que tout au monde. Sa petite maison, son jardin et son bétail. Toute sa vie. Elle possédait aussi une vilaine bête vicieuse, bien encornée, mauvaise comme une teigne, un bouc nommé – allez donc savoir pourquoi – Degaule. Nous nous gardions bien de nous en approcher et nous contentions de l'asticoter et l'invectiver de loin. Il nous observait et, vif comme l'éclair fonçait sur nous. Ce qui nous faisait fuir en hurlant. C'était un de nos jeux favoris qui déplaisait bien sûr à sa patronne. Une raison de plus de nous en vouloir.

Degaule était il paraît un excellent reproducteur dont la bonne femme vantait les mérites. Et on venait de loin pour que l'animal honore les biquettes qu'on lui présentait. Ce qu'il faisait sans se faire prier. Bizarrement c'était toujours les hommes qui amenaient les chèvres. Pendant le travail, Léontine et le propriétaire allaient déguster un petit remontant. Ce qui ne trompait personne. La maï capel avait peut être mis son cœur en jachère depuis la perte malheureuse de son Marcel. Pas son berlingot.

 

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Commentaires
Y
Merci pour votre lecture - malgré la longueur de mes textes parfois souvent - et vos coms sympas ! Un clin d'œil particulier à Jean-Patrick !
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M
Ton texte est un plaisir de lecture ! Si je savais peindre j'aimerais bien l'illustrer avec la Léontine en premier plan :) !
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L
Comme tu sais bien camper les personnages. On la voit tout à fait ta Maï Capel !
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J
Tes portraits campagnards sont effectivement savoureux ! Merci de ce voyage en "orne-hier" !
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J
Ne se lit pas, se délecte ! Bravo
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W
Cornes de bouc ! C'est-y pas bien conté tout ça !
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K
https://www.letribunaldunet.fr/people/lea-salame-benjamin-biolay.html<br /> <br /> Léontine est comme Benjamin, pas comme Léa... Magnifique portrait, Yvanne, de Léontine... et de Degaule !:)))
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J
Ton texte fleure bon le terroir, comme une vieille chanson de Brassens.
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