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Le défi du samedi
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5 mars 2022

Braguse (Yvanne)

 

Tout commençait par un grand feu dans la cheminée. Une grosse bûche de châtaignier disposée sur les chenets brûlait en craquant. Ses crépitements joyeux inondaient le cantou de gerbes d'étincelles.
Toute la famille se réunissait autour de l'âtre, les femmes de la maison pour tricoter ou ravauder les vêtements, les hommes pour confectionner des paniers d'osier ou réparer les outils de la ferme.
Nous, les enfants quand nous avions la permission de « veiller » nous blottissions sur les coffres en bois qui garnissaient le foyer de part et d'autre.

Très souvent Mémé Toinette – une dame très âgée et seule – et la Demoiselle – une vieille fille qui habitait la gentilhommière délabrée du village - partageaient ces moment avec nous. Et c'était pour moi la fête. Je connaissais déjà les histoires que toutes les deux racontaient pour les avoir entendues maintes fois. Mais peu importait. Je frissonnais de plaisir à l'avance.

Mémé Toinette parlait invariablement du grand loup gris qu'elle avait vu en gardant ses moutons dans les puys alors qu'elle n'avait que quinze ans. Ses brebis affolées s'étaient précipitées vers elle. La bête était là, prête à sévir. Comme on le lui avait appris, la bergère se défit de ses sabots de bois et les tapa de toutes ses forces l'un contre l'autre. L'écho faisant retentir le bruit de toute part, l'animal prit peur et s'enfuit. Toinette ajoutait malicieusement : «  il n'est jamais revenu mais j'ai vu d'autres loups moins méchants par la suite. »

La Demoiselle, tout en brodant des mouchoirs - c'était sa marotte - qu'elle offrait pour faire plaisir, contait, parmi d'autres histoires, celle de la Dame Blanche de Braguse. C'était ma préférée. Celle qui m'emportait loin, qui me faisait frémir d'excitation, de peur et de plaisir aussi.
La Demoiselle – tout le monde l'appelait respectueusement ainsi – savait captiver son auditoire de sa voix douce et profonde. Plus un bruit à part celui du feu qui ronflait dans la cheminée. Je n'ai pas oublié la légende de la Comtesse de Braguse. Voici ce que rapportait notre voisine.

Il y a très longtemps à Gimel, vivait en son château la Comtesse de Braguse. Ce château était en fait une forteresse lugubre, qui se dressait, menaçante, au-dessus des cascades de la Montane. La châtelaine était fort belle et chose extraordinaire les années qui passaient n'avaient pas de prise sur elle. Elle gardait une jeunesse éclatante. C'était, en tout cas ce que rapportaient ses gens et le curé du village qui allait dire la messe dans la chapelle de Braguse. A part eux, personne ne voyait jamais celle que tout le monde nommait la Dame.

Cependant, des choses insolites survenaient à Gimel. Des villageois, de retour de veillées dans les hameaux voisins les nuits de pleine lune, évoquaient une forme humaine, toute de blanc vêtue, qui s'échappait du château pour se rendre au pied des cascades. Fait étrange : le lendemain, on constatait le décès d'un nourrisson dans son berceau. Il portait au cou la trace de deux petites morsures et il était exsangue. Plusieurs mères rapportaient qu'elles avaient vu ces nuits-là une énorme chauve souris sortie d'on ne savait où entrer dans la chambre où dormait leur enfant. Les rumeurs allaient bon train. Il fallait agir. On fit appel au sorcier qui vivait non loin de là. Il pouvait mettre un terme à ces malheurs selon lui mais il exigeait en retour un sac d'écus. Les pauvres villageois se débrouillèrent pour lui remettre la somme. On ne sait pas comment il s'y prit mais on ne déplora plus de décès de bébé les lendemains des nuits de pleine lune. Mystérieusement, dans le même temps, la Dame de Braguse se mit rapidement à dépérir et mourut dans son sinistre château.

La Demoiselle ne manquait pas alors de nous interroger et comme nous connaissions le fin mot de l'histoire nous nous empressions de clamer : la Dame se transformait en chauve souris pour aller boire le sang des petits. C'est pour cela qu'elle ne vieillissait jamais et qu'elle était toujours très belle. C'était un vampire.

 

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Commentaires
J
Je suis encore tout frémissant sous ton (v)empire narratif !
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P
Une belle et terrifiante histoire à lire et à relire (le soir à la veillée, "autour de l'âtre" ! :-) ). Merci Yvanne pour ce plaisir de lecture.
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T
Tellement fidèle au 'roman terrifiant', initié au XIXème par Charles Mathurin, avec son 'Melmoth, ou l'homme errant' que je t'invite à découvrir, car, dès les premières pages, on est pris par son mystère !<br /> <br /> C'est dans le thème, oui. Mais pas que !<br /> <br /> C'est un monumental régal de frissons romanesques.<br /> <br /> Mais, peut-être que tu connais déjà.
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Y
Merci Walrus d'avoir corrigé mes fautes ( à ma demande) ;-)
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L
j'aime beaucoup ton histoire et cette atmosphère qu'elle décrit, le soir à la veillée autour de la cheminée avec les voisins et voisines. J'ai connu ça et c'était bien !
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W
Ah, les veillées au coin de l'âtre et la pénombre autour, propice aux frayeurs diverses ! Aujourd'hui, on va au cinéma et les vampires boulottent du pop-corn ! ;-)
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K
Gimel et ses cascades extraordinaires ! Je garde un souvenir éblouissant de ce lieu merveilleux mais je l'ai vu en plein jour et même en plein soleil. J'imagine que la nuit l'endroit doit dégager une atmosphère propice aux frayeurs, réelles ou imaginaires...
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A
on n'a pas fini de représenter les femmes comme des êtres malfaisants...
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J
On m'avait dit de me méfier des femmes : entre la vieille fille et la vampire, j'ai trouvé le juste milieu ; ce qui m'a permis d'apprécier le récit à sa juste et haute valeur.<br /> <br /> Sauf le châtaigner qui s'appelle "châtaignier"... comme pomme pommier, poire poirier ;-)
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J
Le début est vraiment très bon (le reste aussi), mais je le signale à cause des sons qui s'y promènent : on entend bien la mise en scène de l'histoire (chose que je ne réussis jamais !)<br /> <br /> <br /> <br /> Chapeau bien bas.
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