Retouches uchroniques (joye)
C’était Nicolas à la porte. Je lui avais confié la clé deux ou trois semaines avant. Avant le Pire.
Quelques minutes plus tard, je me retrouvai en bas avec lui.
Mon vieux manteau crasseux ne m’allait plus, il était plein de trous, mais j’étais quand même reconnaissante de ne pas l’avoir vendu avec tous mes autres vêtements. Puisque les tissus devinrent introuvables après cette dernière Catastrophe, cela faisait au moins six jours que la garde-robe me servait d’une sorte de banque et me permit de manger encore.
Je fus chanceuse, et je le savais. La voisine d’en face me raconta comment on l’avait menacée d’un ersatz de matraque avant de lui voler toutes les fringues qui lui restaient et son chien. Je lui avais vite refermé la porte au nez. Je ne savais pas si c’était vrai ou si elle voulait tout simplement que je partage avec elle mes derniers vivres, quelques pommes qui brunissaient d’âge et une boîte cabossée de sardines. C’était sans doute vrai ce qu’elle me racontait. Je ne la revis plus depuis.
- Claire, viens ! Vite ! appela Nicolas d’un ton urgent.
Je le suivais au trot dans la rue. Le plip-plap de mes vieilles pantoufles faisaient un drôle d’écho dans la crépuscule abandonnée.
Il n’y avait plus de voitures. Rien d’électronique ne marchait depuis le Second Désastre. Il n’y avait rien de vivant non plus. Tous les animaux du voisinage furent déjà mangés, et cela depuis un moment. Le chat de madame Clouet fut parmi les premiers chouchous sacrifiés. La vieille dame dut mourir de chagrin quelques semaines après, et le festin qui résulta dura au moins une bonne heure. Morte pour la patrie , grimaça finement une des convives, dont les yeux noirs brillaient d’une gourmandise obscène, un vautour graisseux assis sur une carcasse. Affamés tous par cette série interminable de traumas globaux, on grignotait furtivement, comme des chacals, la peu de viande qui nous restait.
- Nous voici, Claire, m’annonça Nicolas.
Nous étions devant une sorte de boutique. Sur le panneau, je lisais RETOUCHES. Mes yeux me piquaient. C’était bizarre. J’avais oublié comment pleurer. J’avais oublié aussi le simple plaisir d’entrer dans une commerce. Rien du passé n’exista. Plus rien. Rien du tout.
Nicolas vit ma panique et me regarda droit dans les yeux.
- C'est ici. Je te laisse, Claire. Ça ira. Tu verras.
- Dans un magasin de retouches ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu'on va raccommoder l’humanité ?
Mais Nicolas avait déjà disparu dans la nuit, et j'hésitai seule devant l’entrée. Et puis, je poussai la porte et y pénétrai.
- Messieurs, dames, sanglotai-je, aveuglée par les larmes et la lumière.