Aux prunes. (Yvanne)
Louise confectionnait des tartes savoureuses. Et toujours avec des fruits de saison, des fruits frais.
Tous les 15 jours Léon allumait son four à pain pour cuire les grosses tourtes. Louise, sa femme en profitait pour y glisser un pâté de pommes de terre, une flognarde ou l'une de ses fameuses tartes.
Léon et Louise, nos voisins, possédaient quelques fruitiers dans leur couderc. Et parmi les pommiers, pêchers, poiriers et cerisiers il y avait deux petits pruniers qui ne payaient pas de mine mais qui donnaient chaque année ou presque beaucoup de prunes. C'était des prunes bleues, de forme allongée et à la couleur violacée. Nous ne nous préoccupions pas du nom des arbres et des espèces de fruits qu'ils portaient, nous les enfants du village. Je ne pense pas cependant qu'il s'agissait de la quetsche, plutôt de la prune dite d'Agen, variété plus commune chez nous dans le Sud Ouest. L'important était que les fruits soient d'un accès facile – et ça l'était – Léon laissant toujours ses barrières ouvertes.
Ces prunes bleues étaient à point juste après la rentrée des classes et nous attiraient en revenant de l'école le soir. Impossible de résister. Nous allions nous gorger de fruits mûrs ou quelquefois encore verts ce qui occasionnait bien sûr de sévères coliques aux gourmands imprudents.
Ces fruits étaient quand même assez acidulés et nous les préférions cuits bien saupoudrés de sucre comme Louise savait le faire. Les jours du pain chez Léon et Louise nous étions alertés par les odeurs suaves qui envahissaient tout le village : odeur de pain doré et croustillant à laquelle se mêlait le parfum du pâté de pommes et terre surtout celui de la tarte, quelle qu'elle soit.
Nous allions, attirés comme des mouches, nous poster devant le four. Nous posions nos cartables sur l'herbe et attendions. Léon n'était pas un causeux. Il faisait son travail sans paraître nous remarquer. Louise, un peu agacée essayait bien de nous chasser : » allons, les enfants, rentrez chez vous. Vos parents vont s'inquiéter. « Peine perdue. Nous ne bougions pas, espérant une suite qui allait arriver indubitablement.
Déjà, les tourtes de pain toutes chaudes avaient regagné leurs corbeilles de paille alignées sur la murette devant le four. Nous nous empressions de proposer notre aide pour les transporter dans la maison des voisins sachant que Léon nous ferait cadeau du « pompichou » - petit reste de pâte roulée en boule que tout le monde désignait comme étant « le pain du chien ». Nous nous disputions pour l'obtenir et nous brûlions les doigts et la langue dans notre précipitation pour le manger.
Léon sortait en dernier du fournil ce que nous guettions : la tarte. Puis le voisin allait s'occuper des tisons de la fournaise qu'il entreposait dans le bac en pierre situé juste en dessous. Si Louise était occupée au transport du pain nous nous approchions pour voler un petit bout du fruit cuit. Ce jour-là il s'agissait d'une belle tarte aux prunes bleues caramélisées à point. De trop nombreux doigts s'aventurèrent dans la pâtisserie. Léon nous surprit, se fâcha pour de bon et nous menaça avec la pelle à enfourner.
Les deux ou trois voleurs que nous étions s'éclipsèrent en vitesse. Mais la vengeance de l'un d'entre nous ne se fit pas attendre. Léon avait l'habitude de poser ses sabots de bois à l'entrée du four et de travailler en pantoufles de feutre à l'intérieur du petit bâtiment. L'un des garçons profita du dos tourné du vieil homme pour se saisir d'une grosse braise incandescente à l'aide de pincettes et la placer dans une des galoches. Sitôt dehors il se mit à crier au feu. Léon se précipita et ce qui devait arriver arriva : Léon envoya promener sabot et chausson fumant en hurlant et maudissant la bande de petits polissons que nous étions.
Je me souviens bien de ce jour de septembre : j'avais justement ce jour là 8 ans aux prunes !