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Le défi du samedi
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18 décembre 2021

Une envie d'ailleurs (Clio101)

« S’assurer de reposer chaque objet à sa place. »

« Faire les pièces du premier le matin et celle du rez de chaussée l’après-midi. »

« Utiliser un produit différent pour les toilettes, la salle de bain et la cuisine. »

« Ne jamais utiliser la même éponge pour la salle de bains du rez-de-chaussée et celle du premier étage. »

« S’adresser au majordome uniquement en anglais. »

« Ne pas écouter de musique. »

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 Crédits photographiques : magnetme, Pixabay, 24 janvier 2020 (dernière mise à jour : 10 novembre 2020)

 

Et caetera, et caetera, et caetera

Ça faisait quarante minutes que mon interlocuteur me détaillait une kyrielle d’instructions pour faire le ménage dans son appartement. Seule la perspective de faire de lui un nouveau client m’empêchait d’éclater de rire ou de faire transparaître mon ennui. Je m’efforçais donc de garder un air aimable et attentif tout en priant pour que cet entretien s’achève.

Un habitant du seizième arrondissement, propriétaire d’un cinq pièces en duplex, donc deux réservées à sa collection de statuettes en verre provenant de tous les continents. Tiré à quatre épingles dans un costume trois pièces de chez Armani, il se tenait droit sur sa chaise, les mains fermement appuyées sur le bureau, en homme qui a l’habitude d’être écouté et obéi. Il s’adressait à mon agence de services à la personne car un de ses amis lui avait vanté la qualité de mes prestations. Autrement dit : un futur potentiel de développement.

Je prenais donc fidèlement en note toute ses recommandations.

Quand au bout d’une heure il s’en alla, je poussais un soupir de soulagement. Contrairement à mes habitudes je ne me précipitais pas pour mettre mes notes au propre et rechercher dans mes dossiers l’employée la plus convenable pour cette mission. Je me levais, sortis hors de l’agence et m’affalais sur le premier banc venu. Je pris quelques grandes inspirations, me visualisant dans mon île du Morbihan, allongée sur la plage avec un bon polar.

L’ennui causé par cet entretien s’estompa peu à peu mais je ne me pressais pas pour regagner mon poste. D’habitude c’était la partie que je préférais : découvrir mes clients, connaîtres leurs habitudes et leurs petites exigences puis déterminer à partir de là le ou l’employée qui leur correspondrait. C’était cette formule sur-mesure qui m’avait permis de fonder mon agence et d’accroître sa réputation d’excellence. Le bouche-à-oreille avait fait le reste. A présent j’étais connue dans tout Paris, et de simples services de ménage, j’avais pu étendre mon activité au soutien scolaire, à la garde d’enfants et à l’aide à domicile. Ma clientèle ne cessait de croître et si ce contrat avec le riche excentrique fonctionnait je pourrais attirer à moi tout un panel de clients fortunés.

Pourtant je ne parvenais pas à m’en réjouir.

Depuis quelques mois déjà me rendre à l’agence me pesait de plus en plus. Prospecter pour rechercher de nouveaux clients, établir les plannings en fonction de la personnalité de mes employés, les guider au début de la prestation et surveiller l’évolution de leur travail, réfléchir à de nouvelles prestations ne me satisfaisais plus autant qu’avant.  Je me sentais vide, asséchée et cela se répercutait sur mon humeur. Les entretiens hebdommadaires se terminaient souvent par des larmes. Je ne tolérais aucune erreur dans la réalisation des prestations et les contrevenants subissaient un discours sentencieux sur le rôle de l’excellence et de la perfection dans la paix du ménage et de l’hygiène de vie.

J’avais beau avoir gagné un peu en sérénité après ma pause, je m’en pris dès mon retour à mes assistantes à qui je reprochais le désordre quasi permanent sur leur bureau qui nuisait à l’image de l’agence et leur obstination à privilégier l’agenda papier au lieu d’utiliser celui d’Outlook.

 Toute à mon discours je ne perçus pas le coup d’œil de connivence qu’elles se lancèrent.

—   Maintenant, ça suffit, m’interrompit Joanna, une ravissante Polonaise.

Première à répondre à mon annonce, six ans plus tôt, pour un poste de secrétaire, elle m’avait aidée à fonder l’agence et avait assisté avec moi à son développement. Elle me tenait lieu d’adjointe et de confidente.  De caractère franc et direct, elle était la seule à pouvoir me dire ce qu’elle pensait et ne s’en privait pas.

—   Ça ne peut plus durer. Vous terrorisez nos employés qui se demandent à chaque entretien quel reproche vous allez leur faire. Alors ils se mettent la pression, accumulent du stress, font des erreurs, encaissent vos critiques et travaillent de plus en plus mal. Si vous continuez ainsi vous allez perdre vos employés et la boîte. Vous allez donc me faire le plaisir de ficher le camp d’ici, préparer vos valises et vous retirer sur votre île le temps de reprendre vos esprits.

—   Mais…

—   Il n’y a pas de mais. L’agenda est à jour, les plannings sont faits pour deux mois, aucun nouveau client n’est à prévoir. Les notes de votre entretien de ce matin sont sur votre bureau, je les retaperai et trouverai l’employée parfaite. Ce n’est qu’un essai, la signature du contrat pourra attendre votre retour. Prenez des vacances et ne revenez que quand vous aurez un esprit plus bienveillant.

Au regard de Joanna je vis qu’il n’y avait aucun lieu d’insister. Je râlais pour la forme mais intérieurement je jubilais. Je retrouverai mon île et j’y trouverai la paix et une nouvelle étincelle pour mon travail.

Arrivée la veille par le train je pris le premier train du lendemain à Port Blanc.

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 Crédits photographiques : ThMilherou, Pixabay, 14 juillet 2005 (dernière mise à jour : 6 avril 2021)

Le soir même j’étais installée dans mon salon, plongée dans un policier. Le feu crépitait dans la cheminée et répandait une douce chaleur ; les flammes entamaient une danse hypnotisante et je goûtais la saveur délicieuse de vacances à durée indéterminée.

Alors que j’étais absorbée par le déroulement de l’enquête je crus entendre un très léger sifflement. J’y prêtais peu d’attention mais les aigus s’amplifièrent peu à peu, comme une bombe qui serait prête à tomber. Le cœur battant et les mains tremblantes, je me précipitais à la fenêtre.

Un trait de lumière aveuglante tomba du ciel avant d’infléchir sa course et de se diriger vers le sud de l’île.

Le phénomène disparut aussi brusquement qu’il était apparu. Nul doute que demain, tous les îlois le commenteront au marché.

Dès demain, songeais-je, j’irai voir dans le sud de l’île si ce rayon a eu des conséquences. 

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Commentaires
J
La chute nous laisse pantois !<br /> <br /> Mais j’ai entendu dire que c’était un rayon de soleil qui s’était égaré ….
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Y
Mystérieux à souhait ! Evidemment on veut savoir ce qu'était ce fameux rayon. ;-)
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T
Je note que tu entretiens bien ta ligne, Edith Auriale :)
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M
Des personnages bien campés ! j'ai accroché ! Bravo !
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L
Et moi, j'attendais impatiemment la suite ... <br /> <br /> Et Alors ... Et Alors...Zorro est arrivé ?
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J
Ce sont les extra-terrestres qui viennent faire le ménage dont cette planète a besoin ? ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Excellent, ce début de polar breton !
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W
Port Blanc, j'y suis allé souvent mais j'ai pas vu cette apostrophe lumineuse, faudra que j'y retourne !
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K
Suspense d'une ambiance entre Rohmer et Fred Vargas... Le rayon vert ? À suivre... 💡
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J
Merci pour l'excellent voyage intellectuel et verbal.
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