Gallus Maria ou le coq de Maria (Yvanne)
En cherchant sur wiki la signification du mot galimatias imposé – oui oui imposé mais il y a eu pire - par Chef Walrus j'ai appris que son origine, contestée il est vrai, pouvait provenir du mot gallus qui signifie coq et Matthias, tout simplement le nom de son possesseur. S'ensuit une sombre histoire de plaidoirie mais ce n'est pas ce qui nous intéresse.
Cette découverte m'a immédiatement fait penser au Caruso, le coq de ma vieille voisine Maria. Pourquoi Caruso ? On serait en droit de penser que le fort bel organe – je peux en témoigner – du gallinacé - justifiait un tel blase. On se trompe. La brave Maria, qui comme moi ne s'y entendait guère en musique, musiciens et chanteurs, prétendait qu'elle avait nommé ainsi son coq parce que Caruso lui avait fait danser le touiste dans sa jeunesse. A qui pensait-elle ? Mystère. Peut être à Alamo. Franck Alamo. Pour elle, du pareil au même.
Ce coq était la fierté de Maria. Il y avait de quoi. Caruso en imposait au poulailler de la brave femme. Fier comme Artaban, bien campé sur ses pattes, gaillard, le poitrail arrogant, paré de plumes multicolores allant du noir-bleuté au doré en passant par un rouille puissant, la crête et les barbillons d'un rouge éclatant. Enfin un coq en or au plumage de soie que beaucoup jalousaient disait la Maria. Elle ramassait en abondance les plus beaux œufs de la commune, les mieux calibrés, au jaune pigmenté orangé foncé. Elle n'en avait jamais assez pour satisfaire ses clientes au marché de Brive la Gaillarde.
Maria assurait que ces bienfaits lui venaient de son cher coq. Elle lui attribuait tous les mérites. Il s'occupait si bien de ses poules. Qui elles, n'avaient qu'à bien se tenir. Et pondre.
Elle le couvait d'un œil attendri et le surveillait. Et pour cause. Elle avait surpris un jour Milou, le vieux garçon du village qui passait le plus clair de son temps à la pêche à la truite, en train d'arracher consciencieusement les plumes du cou du Caruso. Pour en faire des mouches naturellement. Maria avait failli avoir une attaque. Elle avait bichonné le volatile commotionné en lui donnant du vin sucré pour le requinquer. Le Caruso était devenu accro et réclamait tous les jours sa dose à grands renforts de coup de bec dans les mollets de sa patronne. Ce qui la faisait rire.
Brusquement les poules de Maria cessèrent de pondre. Toutes. Plus le moindre petit œuf dans les pondoirs. Ma voisine était aux cent coups. Elle enrageait après ses garces de poules qui avaient le cul cousu. Il est vrai que les pauvrettes avaient triste mine. Elles dépérissaient pendant que le Caruso, lui, continuait de se pavaner. Étrange. Une mauvaise passe. Mais qui durait hélas.
Maria se mit à avoir des doutes. Elle observa mieux son volatile et constata qu'il ne manifestait plus aucun intérêt pour son harem. Ça alors ! L'abus de vin sucré ? L'âge ? « Dis-donc, l'ami lui lança la Maria c'est-y que tu aurais la prostate ? «
Ma voisine réfléchit. Tout de même elle n'allait pas nourrir cet oiseau à ne rien faire. Le tuer pour un coq au vin ? Ah non ! Elle ne pouvait pas tuer son Caruso. Elle résolut de le vendre et le samedi suivant elle le mit dans un grand panier et l'exhiba sous la halle Geoges Brassens, haut lieu de la gastronomie corrézienne.
Tout à côté d'elle s'installa une fermière des environs avec, dans un carton deux magnifiques poulettes de l'année, bien fraîches et bien dodues et un jeune freluquet de coq au cou maigre et pelé. Une horreur. Caruso remua dans son cabas, prit son élan et bondit dans le carton sous les yeux des deux femmes éberluées. Et devinez ce qui se produisit ? Caruso, pris d'un désir fou pour les cocottes les honora à tour de rôle de belle façon.
« Ben mon cochon s'exclama la Maria ! C'est ça qu'il te fallait ? De la chair tendre ? Et quoi encore ? Mes poules ne sont plus assez bien pour toi ?Tiens, je vais te faire passer tes envies moi. Le Milou va être content : il aura ce qu'il faut sous la main avec toi. Et il me donnera des belles truites. Pour te remplacer je vais acheter l'autre maigrelet. Je sais comment le retaper. A coup de bon vin chaud et sucré. »
Là-dessus Maria remballa le Caruso, vexé et penaud, n'osant pas regarder l'avorton qui lui faisait face dans le cabas. Ce dernier se rengorgea en fixant d'un œil goguenard son rival et se redressant, lança un « cacaraca » si minable qu'il fit s'esclaffer toutes les paysannes et leurs clientes alentour.