Participation de Clio101
Auguste de la Marcinière se tenait droit sur son siège, les yeux obstinément baissés sur les cartes posées devant lui. Engoncé dans un costume trop étroit, il n'osait faire un mouvement, craignant d'entendre le tissu craquer.
Il n’en faudrait pas plus pour donner à cette soirée, déjà suffisamment pénible pour lui, un cachet des plus catastrophiques.
Il était arrivé chez son oncle dimanche dernier avant de commencer des études en droit. Son parent, qui ne l’avait pas vu depuis plusieurs années, n’avait pas caché les difficultés qu’aurait un jeune homme sans appui, même issu de la bonne bourgeoisie de Nevers, à se faire un nom à Paris. Cédant à la bonté naturelle de son cœur, l’homme avait néanmoins joué des pieds et des mains pour que son neveu soit invité à la partie de whist que la marquise de C. organisait tous les vendredis. S’il lui plaisait, son avenir était assuré. La protection de la marquise lui ouvrirait toutes les portes. Son désir d’aider au mieux son neveu l’avait poussé à lui prêter le costume de son plus jeune fils. Son vêtement, du moins l’espérait-il, l’empêcherait d’être désigné d’emblée comme originaire de province.
Il l’avait ensuite accompagné jusqu’à la demeure de la marquise en l’abreuvant de conseils sur les règles de bienséance.
Ensuite tout avait été de mal en pis.
De naturel timide et peu sociable, impressionné par les dorures, les tableaux de maîtres et les costumes des invités, Auguste avait commencé par trébucher en entrant dans le salon de réception. Il avait salué la marquise trop bas et n’avait cessé de bafouiller alors qu’il répondait à ses questions, dissuadant tous les autres invités de lui manifester un quelconque intérêt.
A présent, assis à la table de jeu avec la marquise, sa fille Edith et sa cousine Julie, il contemplait sans les voir les cartes disposées devant lui. Malgré les explications détaillées de la marquise il n’avait rien compris aux règles du whist et n’osait poser une question, de peur d’être davantage pris pour un pauvre petit ignorant. Il se refusait à croiser le regard de ses voisines de jeu, craignant d’y voir leurs airs apitoyés.
« Quelle misère, songeait la marquise. A-t-on idée d’envoyer à Paris un jeune homme sans le sou et sans appui ? Personne ne le recevra jamais dans son état, aucun étudiant ne voudra le fréquenter. »
« Je n’ai jamais vu un garçon aussi gauche et aussi emprunté, se disait Julie en le regardant en coin. Son costume n’est pas neuf, il est trop étroit et mal coupé. Il sent le provincial à plein nez. Il sera la risée des salons. Les filles pleureront de rire quand je leur raconterai cette soirée. »
« Ce jeune homme est courageux, songeait Edith. Partir seul, loin de ses parents et amis pour gagner la capitale et s’y faire connaître, peu de mes connaissances en seraient capables. Et en plus il est gentil. Qui d’entre nous ne serait pas intimidé en arrivant chez un inconnu, forcé de répondre à un arsenal de questions très personnelles, en sachant qu’elles détermineront si on sera autorisé ou non à revenir ? Qu’importe ce que les autres disent, demain je l’inviterai à prendre le thé avec mon ami Rodolphe et ma chère amie Sophie. Ils sont bien moins guindés que ma mère et ma cousine, il se sentira plus à l’aise et nous pourrons vraiment faire connaissance. »