Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 371
Derniers commentaires
Archives
22 mai 2021

Pacha (Pascal)


Le vent violent de ces derniers jours avait regrettablement déplacé une tuile, et comme les emmerdes n’arrivent jamais seules, dans la foulée, la pluie s’était mise aussi de la partie. Pour couronner le tout, j’avais une gouttière dans les chiottes ; moi qui venais de repeindre les plafonds… Profitant d’une accalmie, j’avais déplié la grande échelle en alu, je l’avais posée contre le mur, et la gravissant maladroitement, les jeux d’acrobatie n’étant plus vraiment à l’ordre de mes occupations de retraité, à côté de l’antenne de télé, j’avais pourtant trouvé facilement la fuite…  

Sur la toiture d’en face, Pacha m’observait. Il a beau être castré, le miron, jouer du miaou dans les jambes de sa patronne, quand il chasse, c’est un vrai fauve. Traversant le jardin, comme si c’était la savane, il pose ses pattes de façon si méticuleuse qu’on dirait qu’il marche sur du verre. Quand il saute sur une bestiole, il l’attaque avec ses vingt poignards brandis en avant ; quand il se bat avec les matous du coin, sur tous les tons, c’est une vraie sérénade de soufflements ardents, de feulements désagréables et de miaulements stridents. Et quand c’est la saison des amours, il reste dans sa tanière ; les affres des choses de la fantaisie, des moustaches en guidon de vélo et des colliers roses, le laissent de marbre.
Les chats et moi, nous ne sommes pas collègues. Un jour, ils se laissent caresser, le lendemain, ils sont inapprochables. Boules de poils ronronnantes ou dangereux couteaux suisses, derrière leurs yeux entrouverts, on ne sait jamais ce qu’ils pensent, ces greffiers. Ils sèment des poils partout, ceux du voisinage viennent pisser contre les murets délimitant leur territoire, et ils laissent leurs déjections sans même les enterrer. Pacha ? Rien que pour me faire maronner, il vient gratter et caguer dans mes haricots verts !... Il exhume mes pommes de terre !... Je le chasse à coups de jets d’eau et de pierres !...

Oui, Pacha m’observait ; ça devait le contrarier de voir ma présence envahissante en haut de cette échelle ; je faisais fuir tous les piafs qui, normalement, frôlent les chenaux et les cheminées. Depuis le temps, je le vois œuvrer, l’animal ; il se tapit contre les tuiles ; ramassé sur lui-même, le cou en avant, l’œil rond, la queue fouettant doucement l’air, il tremble, il remue le train arrière, il guette le moment favorable où il va bondir. Et quand un oiseau passe à sa portée, il se détend comme un élastique de soutien-gorge consentant entre les doigts d’un amant expert. Moineaux, martinets, tourterelles, merles, pies, corneilles, il n’est pas regardant ; tout ce qui porte des plumes a la faveur de ses griffes.
Le combat est toujours bref ; après son attaque, il ne reste que quelques plumes de duvet qui s’envolent et s’égarent. Il ne bouffe même pas ses proies ; c’est juste pour le sport, le dégourdissement de ses pattes, l’entretien ordinaire de son instinct de prédateur. Las, il la délaisse en lui donnant encore quelques coups de dents pour finir le travail ; puis, il se lave en se léchant méticuleusement tout en conservant un œil sur tout ce qui vole aux alentours…

C’est en redescendant de l’échelle que tout se gâta ; alors que j’étais à quelques deux mètres du sol, je m’emmêlai le pied avec un des fils tendus de l’étendage. Je l’avais oublié pendant ma désescalade, celui-là. J’étais pris entre le barreau de l’échelle et ce maudit fil ! Je pensais qu’il allait céder sous mon poids ! Mais non ! Même pas ! C’est moi qui l’ai installé, c’est du solide, en bon acier !... Sans sommations, je partis en arrière, le pied prisonnier dans cet effroyable piège ! J’étais pris au collet ! C’est l’échelle qui n’apprécia pas du tout ce remue-ménage ; elle en profita pour basculer sur le côté et elle alla se poser contre le mur de la voisine.
Ma figure heurta brutalement le sol ; je me souviens du bruit de ce choc, et je ne pus m’empêcher de m’interroger pour comprendre si le bruit creux que j’avais entendu venait de ma tête ou bien de l’allée bétonnée ; après, la lumière s’éteignit…
Dans mon coma, comme des mauvais exemples à rebours, quelques souvenances au goût d’escalade et de dégringolade se baladèrent dans mes quelques neurones encore connectés. Jeu extrêmement défendu, jeune étourdi, pour mesurer mon courage, je grimpais à la grande échelle de mon père, les jambes tremblantes, jusqu’à aller toucher les tuiles. Jeune premier, et Montaigu du quartier, combien d’échelles avais-je gravies dans le noir, sous la pluie et sous les interdictions, pour rejoindre mes Ca-poulettes ? Et plus tard, les bras remplis de bouteilles d’eau fraîche, quand je dévalai les barreaux glissants de la descente verticale de la chaufferie du bord, avec une aisance de jeune singe…  

Il s’était mis à pleuvoir, mais c’était une pluie râpeuse, appliquée, tiède, qui revenait par vagues successives contre ma figure. En fait, c’est Pacha qui me léchait ; opportuniste, profitant de la tranche de l’échelle offerte comme un pont, il avait traversé tranquillement de jardin à jardin.
C’est la première fois que je le voyais de si près. Le poil faussement ébouriffé, il ressemblait à une gargouille rondouillarde, mais à une gentille gargouille rondouillarde.
Il ronronnait comme s’il avait quelque chose à me raconter ; parfois, il miaulait si fort qu’il allait rameuter tout le quartier ! J’étais sa prise ; il le faisait savoir à tout le monde. À un moment, j’ai craint qu’il me file un coup de dent, un peu comme l’extrême-onction, histoire de ne plus me voir souffrir. Mais non, il insistait avec son léchage assidu comme si j’étais sale…  

Pendu au fil par le pied, je ne pouvais plus bouger ; j’avais des crampes d’un côté et je ne sentais plus mon corps de l’autre. J’étais comme le laboureur de la Fontaine, mais je ne pouvais pas parler à mes enfants puisqu’ils n’étaient pas là…
« Miaou !... Miaou !...Miaooooooouuuuuuu !... », insistait Pacha le chat. À la nuit, la voisine, la mère Michèle, inquiète d’entendre miauler son figaro de cette façon, risqua un œil par un des interstices du grillage mitoyen ; naturellement, au faisceau de sa lampe torche elle me découvrit en fâcheuse posture. Elle appela les pompiers qui me désincarcérèrent avec mille précautions et avec des pinces coupantes. Je restai trois jours en observation à l’hôpital, puis je regagnai mon chez-moi…  

Inutile de vous dire que mister Pacha avait désormais son entrée gratuite dans mon jardin ; je lui préparais même des gamelles avec de la pâtée spéciale chat difficile, du mou frais de chez le boucher, une litière changée tous les jours, un fauteuil VIP avec une couverture épaisse en laine pour sa sieste de l’après-midi. Mais non, lui, il était sur son toit ; il épiait les piafs et il bigornait tous les étourdis passant à portée de ses griffes.
J’avais repris ma position habituelle, celle sur mes deux pieds, et je ne l’intéressais plus…


Publicité
Commentaires
B
Sauvé par le chat quelle belle histoire et qui se termine bien . Comme toujours j'ai adoré te lire Merci et bravo Pascal
Répondre
J
Texte superbe, Pascal ! Bravo ! Cinq pattes !!!<br /> <br /> <br /> <br /> 🐈🐈🐈🐈🐈
Répondre
T
J'avoue que, moi aussi, je suis plutôt PasCHAt, surtout en intérieur...<br /> <br /> Mais là, force m'est de le reconnaître : chapeau, le chat-pote !
Répondre
J
Une chute chaloupée<br /> <br /> Bien terminée grâce à un un chat charitable
Répondre
V
Quelle mésaventure! Avec une fin heureuse: comme j'aime. <br /> <br /> Merci Chat Pacha! Sourire
Répondre
L
quelle aventure
Répondre
J
Ton art de conter nous met, à nous aussi, la tête à l'envers !
Répondre
W
Au moins tu sais qu'il ne t'a pas secouru par appât du mou !
Répondre
L
Cette histoire semble tellement vraie ? L'est-t-elle ?
Répondre
C
Un beau texte sur un matou sauveteur
Répondre
K
C'est Roméo-haut sauvé par Pacha-ah, n'est-ce-pas-Pascal ? 🐈
Répondre
A
on aurait un pied en moins vite fait, pendu par la cheville à un fil d'acier ;-)
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité