Trotte, hein ? - tiniak
Elle passe - et chaque matin, sauf le dimanche, la rue Bysskübe où je mansarde, nuit debout, avec des soupirs affectés... à un besoin d'écrire carabiné.
Elle passe, et selon la saison, les pognes dans un lourd manchon, ou quelque cubique carton - à chapeau ? là, sous le bras droit, ou le giron si peu voilé par un très vitreux chemisier.
Elle passe... Elle a belle allure; non seulement ce port altier qu'on lui connaît dans le quartier, mais aussi par son train vivace, que l'on pourrait croire enjoué, quand je sais bien qu'il fuit d'obscures menaces, pour sûr !
Elle est pas passée, ce matin, pourtant que l'on soit à lundi; j'en reste coi et sur ma faim... Poème en cours, donc pas fini ! Par contre, l'autre qui la suivait, assez souvent, semble l'attendre au carrefour. Peut-être s'est-il pris un four ? Peut-être n'a-t-il nul chagrin, mais des remords ? Attendez ! Je l'y vois encore, le front hésitant, la main courbe et le pas calqué sur le sien - oh, à distance... Peut-être pas si respectable, quand j'y pense.
Elle ne passa plus, c'est sûr : la saison a changé de murs. Et puis, au kioske à journeaux, flambant neuf, bardé d'oripeaux (qui font honneur au journalisme), s'affiche en Une un titre sombre, décliné par autant de nombres : un tueur signe ses forfaits - tueur de femmes, c'est plié ! narguant le Préfet, c'est certain, en le traitant de "vil trottin", dans chaque mouchoir, posé bien en vue sur telle victime du soir.
Elle a passé le fleuve ultime; j'en mettrais ma main à couper, si je n'avais ce verbatim à rendre pour me sustenter. Le poème ? Il est achevé, merci bien. Mais j'en veux faire une autre chose; pourquoi pas des lignes de prose, en origamis distillées ?
Elle sera ce papillon dans un champ d'herbes retournées, tandis que moi, là, je m'en sade. Et me trottine, au gré des toits qui m'en racontent, des rapines.
Des ans ont passés, là-dessus... Votre siècle m'a oublié. J'en respire pourtant le cru, rue Bysskübe, en mon pré carré.