Qui a croqué le marmot ? (Vegas sur sarthe)
Comme je ne trouvais ni bobinette ni chevillette, je me décidai à frapper le heurtoir qu'on avait mis fâcheusement à hauteur d'homme, sans doute pour dissuader les gamins facétieux tireurs de sonnettes.
C'était un effrayant heurtoir à gueule de lion et cornes de bouc mais courageusement je me hissai sur la pointe des pieds pour heurter un grand coup puis je collai mon oreille à l'huis.
Derrière la porte ça heurtait comme en écho, ça heurtait même beaucoup ; je dirais même que ça bûcheronnait sec.
Comme je heurtais une seconde fois, le tapage s'arrêta et j'entendis une voix éraillée :« Faut toujours qu'on nous fasse chier au meilleur moment ! »
J'allais repartir d'où je venais - c'est à dire de chez mère-grand - quand la porte s'ouvrit sur une grosse femme un peu dénudée, très échevelée et au yeux exorbités : »C'est toi qui croque le marmot ? » me lança t-elle.
« Euh … Je ne croque rien du tout » bredouillai-je sur la défensive.
Elle éclata de rire en se tapant sur les cuisses.
« Tu entends ça, Raymond ? » lança t-elle à l'adresse d'un homme qui avait surgi derrière elle dans cette carrée mal éclairée.
J'ignorais tout de cet ogre croqueur de marmots dont elle parlait et j'apprendrais plus tard que le marmot est un heurtoir et que croquer signifie frapper.
« Qu'est-ce qui t'amène, marmouset ? » s'impatienta la furie callipyge.
Je marmonnai sans trop réfléchir : »J'ai ici un pot de beurre pour ... ».
La furie faillit s'étouffer de rire : »Tu entends ça Raymond ? Le môme nous apporte du beurre. Est-ce qu'on a besoin de beurre à cette heure ? »
« Non point » hurla le Raymond en frappant par mimétisme ses cuisses de ses grosses mains.
J'avais dit ça machinalement mais comme les deux se retournaient j'insistai : »C'est par rapport au loup ... »
Ils firent face et la furie au bord de la syncope me lâcha dans un énorme rire: »Y'a longtemps que j'ai plus peur du loup, gamin, pas vrai Raymond ? »
« Pour sûr » acquiesça Raymond qui avait cessé de rire et il ajouta : »Viens t'en par là… j'aimerais bien finir mon affaire »
La furie toujours secouée d'un rire nerveux le suivit en disant : »Entre ou sors, gamin mais ferme la porte … y'a ici un courant d'air à choper une angine de poitrine ! »
Je faillis faire remarquer qu'on n'attrape pas d'angine de poitrine avec un courant d'air mais je n'étais pas médecin et la furie pas en état de m'écouter puisqu'elle s'affala sur l'homme avachi sur une banquette.
« C'est quoi ton blaze ? » demanda t-elle.
Je répondis en détournant la tête : »Perrot … euh … Charles Perrot »
L'homme s'était mis à l'amignoter avec ses grosses mains et grommela : »Dis lui de se tirer … on n'a pas besoin de chaperon »
La furie s'esclaffa : »Charles Perrault ? C'est ça ! Et moi j'suis la belle au bois dormant !»
Je ne voyais pas ce qu'il y avait de singulier à s'appeler Charles Perrot.
Et pourquoi avait-il parlé de chaperon ?
Visiblement agacé l'homme se dégagea vivement de la furie pour se saisir d'une étrange paire de bottes qu'il me semblait avoir vues quelque part.
Si mon intuition était bonne il ne me restait plus qu'à déguerpir au plus vite, ce que je fis sans prendre le temps de refermer la porte.
Sur la route une citrouille vrombissante semblait m'attendre. J'y montai machinalement tandis que le bruit des bottes s'amplifiait.
« C'est où qu'on va ? » me demanda le chauffeur à tête de musaraigne et qui répondait au nom de Uber.
« Chez mère-grand » répondis-je sans hésiter.
« Celle qui a de grands bras, de grandes esgourdes et de grandes ratiches? » répondit celui qui semblait connaître le conte.
Les bottes résonnaient furieusement sur le trottoir.
Heureusement la citrouille prit le large ; à son volant la musaraigne se mit à ricaner « : »Alors, vous l'avez trouvée comment l'ogresse ? »
Visiblement, il connaissait l'adresse.