Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 052 270
Derniers commentaires
Archives
25 janvier 2020

Montmartre (Pascal)


Quand j’étais tout gamin, à la sortie de la douche, une grande serviette à la main, m’man m’attrapait et me posait debout sur la table de la cuisine, en disant : « Hop là !... Monte là-dessus, et tu verras Montmartre !... ». Souvent, elle continuait sa chanson, sans doute pour se donner de l’élan à mon ouvrage…  
Moi ?... Je ne comprenais rien aux paroles ! Pendant qu’elle me frictionnait, tel un petit poisson frétillant, par-dessus son épaule, je cherchais ce Montmartre qu’elle répétait dans ses couplets. Elle disait que je pourrais voir jusqu’à Chartres !... Alors, pour me grandir, je me mettais sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir ce Chartres si vanté !... « Monte là-dessus, monte là-dessus !... ». Elle connaissait des couplets parallèles à la chanson, avec quelques mots osés, et quand je ne devais pas comprendre, elle fredonnait à la place des paroles ; ça la faisait sourire, m’man, et j’étais content quand elle souriait. Je voulais lui faire plaisir, lui dire que je voyais ce Montmartre pour la satisfaire encore plus !... « Regarde bien !... », me disait-elle, « Tu verras des peintres, des clowns, des poètes, des musiciens !... ».
Je mis du temps avant de comprendre et de traduire Montmartre, dans l’environnement  comme m’man le voyait, quand elle chantait ses refrains. Elle était pure parisienne, fille  légitime de la Tour Eiffel et du Trocadéro. Cette chanson enthousiaste, dans notre petite ville de province, cela devait lui apporter un grand courant d’air de sa capitale.
Elle avait le mal de chez elle, m’man ; il lui manquait La Seine et le Pont Mirabeau, Notre-Dame de Paris et les Misérables, le Sacré-Cœur et les poulbots. M’man, quand elle regardait par la petite porte de notre cuisine, même masqué par le rideau chasse-mouche à bandes multicolores, elle devait le voir, son Montmartre…

Il y a des années, à l’heure du goûter, je sortis ma fille de la pataugeoire de la piscine ; voyant une chaise à ma portée, je lui dis de grimper dessus et de ne pas faire le guignol pour éviter de tomber ; ce serait plus facile pour l’essuyer. À mon « Hop là !... », je ne pus m’empêcher de rajouter « Monte là-dessus, tu verras Montmartre !... ». Amusé, je me suis retourné pour être sûr que ce n’était pas ma mère, du haut de son bout de paradis, qui m’avait soufflé ces quelques mots de jadis, à l’oreille.
Je n’en connaissais pas beaucoup plus en paroles et l’air m’avait échappé depuis longtemps. Cela me fit drôle de prononcer ce bout de refrain, comme si le temps et l’espace s’étaient tout à coup rapetissés d’une distance proche des souvenirs émus.
Bien entendu, ma pitchounette, en se tortillant dans la grande serviette, cherchait ce Montmartre !... « Il paraît qu’en regardant bien, on peut même voir Chartres… », rajoutai-je, le plus sérieusement du monde. En équilibre, les mains posées sur mes épaules, de son point de vue panoramique, elle scrutait les environs comme une vigie qui cherche à faire plaisir à son capitaine de papa !...  
Je sais, depuis, que « Monte là-dessus, tu verras Montmartre… », c’est un peu comme « Compte là-dessus et bois de l’eau fraîche… », c’est une épigramme, une sentence pour exprimer un refus. Du plus haut qu’on se trouve, on ne peut jamais voir Montmartre. Mais pour moi, c’était comme un refrain familial, un écho naturel du passé envoyé dans le présent…  

À Vitrolles, il y a quelque temps, alors que je leur rendais visite, ma fille, en sortant mon petit-fils de la baignoire, dit tout à fait négligemment : « Hop là !… Monte là-dessus et tu verras Montmartre !... », en le posant sur un meuble bas, de la salle de bain.
Quelle ne fut pas ma stupéfaction ! Par je ne sais quel mimétisme de souvenance des mots, peut-être, de la façon dont ils avaient été prononcés et dans leur contexte, le message se transmettait de génération en génération !...
Mamy devait frotter le dos de son arrière-petit-fils à cette heure de commémoration ! Sur la pointe des pieds, il regardait par la lucarne de la petite pièce, comme si Chartres et sa banlieue était dans les environs ! Le temps se raccourcissait encore en entrouvrant les portes d’un passé enchanteur ! D’un clin d’œil de connivence de l’au-delà, ma mère avait passé son message de vraie parisienne à sa descendance…   

Un jour, j’irai à Paris ; du côté de la Butte, je monterai sur une chaise de saltimbanque de rue et « Hop là !... ». Enfin, quand je serai là-dessus, je verrai Montmartre ; je verrai des peintres, des clowns, des musiciens, des poètes et, sur la pointe des pieds, peut-être même... Chartres…

Publicité
Commentaires
B
Comme c'est beau et émouvant Merci cher Pascal pour ce délicieux partage
Répondre
J
Beau souvenir, <br /> <br /> Émouvant eu égard à ta mère, que sa petite-fille ait pris la relève pour cette expression amusante
Répondre
K
Mes parents le disaient aussi... Et pour ne pas répéter Montmartre, ils disaient "mon c..." pour la rime... Ça fait longtemps que je ne pensais plus à cette expression !<br /> <br /> Ton histoire est belle et pleine d'amour...comme toujours !
Répondre
J
Je viens de la retrouver et de l'imprimer. Le couplet censuré devait être celui-là :<br /> <br /> 5<br /> <br /> Quand votre légitime<br /> <br /> Désire un diamant<br /> <br /> Au moment l'plus intime<br /> <br /> Ell' vous flatte et comment<br /> <br /> <br /> <br /> Ell' gémit : "C'est terrible<br /> <br /> C'que tu m'donnes du bonheur<br /> <br /> Arthur ! C'est pas possible<br /> <br /> Vous devez être plusieurs !"<br /> <br /> <br /> <br /> Ayez de l'indulgence<br /> <br /> Offrez-lui le bijou<br /> <br /> Mais si ell' recommence<br /> <br /> Dit's-lui : "Ta bouche mon Loulou !"
Répondre
W
Délicieux ! Et, vu mon grand âge, je me souviens même de la mélodie...
Répondre
L
Un paysage... plein d'émotion<br /> <br /> comme elle me submerge chaque instant... en ce moment
Répondre
J
Superbe ! Je l'ai eu chantée, cette chanson-là ! Faut que je la remette dans mon classeur de vieilles !
Répondre
M
Certaines petites phrases se transmettent de génération en génération ...ton texte fait passer un concentré d'émotions, le temps en reste suspendu...au fil de tes beaux souvenirs.
Répondre
A
superbe histoire, si touchante qu'on espère qu'elle est vraie
Répondre
L
C'est fou ce qu'on peut enregistrer de son enfance et qui ressort dans les générations qui suivent !
Répondre
V
Qui n'a pas entendu ce refrain ? Je vois que les traditions ne sont pas prêtes de se perdre
Répondre
J
Je pense que pour voir Chartres, il vaut mieux prendre le train...mais si cela peut te consoler tu peux bien voir Montmartre depuis Eaubonne.<br /> <br /> <br /> <br /> Nan, je plaisante, (un peu, quand même). Ton texte est super charmant...et il me rappelle que je n'ai jamais eu d'enfance en français (ayant commencé mes études de ta belle langue quand j'étais déjà ado).
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité