Troubadour (TOKYO)
Nous marchons dans les fougères sans savoir où dorment les troubadours.
Nous ne lisons plus de lettres d’amour, car eux seuls savaient tenir le feutre sur le papier.
Ils nous font les reproches que nous nous faisons.
Nous ne lisons plus de poèmes, les femmes adoraient les poèmes qu’ils leur adressaient.
Ils avançaient dans les rues sous d’amples chemises et toutes les ombres frissonnaient sur leur passage.
Ils gardaient les chansons qui parlent d’amour secret, ils arrachaient des grappes de glycines pour toucher nos âmes meurtries.
Nos vies sont étroites sans eux.
Nos vies sont comprimées sans leurs chansons.
Où dorment nos troubadours quand tout s’en va ?
Quand l’encre et le papier et la douceur du feutre sont devenus clavier et leurs échanges SMS.
J’en ai aperçu un l’autre fois à super U. Il dansait devant l’épicerie Rimbaud rayon charcuterie.
Et me voilà devant lui. Les miracles ne se reproduisent pas deux fois me suis-je dis.
Il vendait du boudin noir, mon troubadour, je me sentais un peu gêner à l’idée de rencontrer l’archétype du troubadour moderne celui qui avait traversé les siècles sans sourciller.
M’arrêtant un instant devant son visage à la blancheur pascale je me suis dit que s’il existait encore un troubadour c’était ici dans ce super U.
Et puis me suis dit pourquoi faire des lettres d’amour quand on sait faire du boudin noir d’accord je vous l’accorde il n’y a pas non plus un champ de fougère à ses pieds.
C’est alors que la caissière me dit ‘ ; dans l’éternité le temps n’existe pas. Ma première réaction a été de répondre /
Comment osez-vous vous approchez de moi comme ça sans bruit alors que je suis devant le dernier troubadour de notre époque.
He ma petite dame ce n’est pas un être venu d’ailleurs le vendeur de boudin
Je n’ai pas la moindre idée de ce dont vous parlez-lui rétorquais -je
ET si vous pouvez lire dans mes pensées alors vous devriez savoir ce que je fais ici
C’est alors que mon troubadour charcutier s’est penché vers moi en riant. il avait un regard libidineux en me proposant son boudin noir .
Pivotant sur un pied je me suis éloignée de lui à toute vitesse. Si jamais il me suit, je crie comme un putois.
Ce dégénéré, ce troubadour de mes deux la coquetterie t’a barré le chemin jusqu’à l’optométriste ça fait deux ans que je dois porter des lunettes
. Mais je vois le sourire de mon charcutier dans le brouillard/ Ma petite dame vous avez oublié votre boudin.
Je suis sereine comme une présentatrice à la télé en train d’annoncer une crise mondiale
Puis il se penche sur moi et murmure je ne crois pas que vous glisser dans mon pantalon soit une bonne idée ..
Je ne vous dirai pas ou a fini le boudin de mon troubadour. Mais pendant le chemin qui me menait au café je me suis demandé ce qui était arrivé aux troubadours qui dormaient dans les fougères.
Ce qui est sur c’est qu’ils ne sont pas à super U la prochaine fois je tente le rayon crèmerie à AUCHAN.;