Ombres et lumière (Lecrilibriste)
C'était la nuit de Noël. Louisette avait voulu aller à tout prix à la messe de minuit avec sa Mère et sa Grand-Mère , malgré leurs essais de dissuasions car ce soir là, elles avaient droit aux « trois messes basses » comme dans le conte d'Alphonse Daudet que la Maman de Louisette lui avait lu .
C'était une histoire de diable qui faisait un peu peur et Louisette n'aimait pas le diable. Elle avait bien déjà cru remarquer ses oreilles en haut de la grande armoire de la cuisine, dans le bouquet de la mariée qui ornait le fronton sculpté et elle en détournait les yeux croyant qu'il la regardait. Et sur le livre de « La Miche de Pain », elle avait tellement gratté l'image du diable à côté de l'ange gardien qu'elle avait fait un trou dans la page... Mais là, aux trois messes basses, protégée par sa Mère et sa Grand-Mère, elle voulait en avoir le cœur net et voir ce qui allait se passer avec cette histoire de diable qui tentait Dom Balaguère parce qu'il était trop gourmand.
Elle avait lutté contre le sommeil pour guetter avec beaucoup d'inquiétude et une grande curiosité l'enfant de choeur qui était Garrigou, sans aucun doute, ainsi que le curé qui officiait pour voir s'il n'allait pas trop vite pour dire la messe. Du coup, elle avait été sage pendant les trois messes trop occupée à remarquer toute marque de précipitation de la part du curé ou de tentative de corruption de la part de Garrigou . Sûr que le diable était encore dans l'air ce soir là ! Louisette en frissonnait, dans un mélange de désir et d'effroi, imaginant qu'il allait apparaître d'un moment à l'autre.
Pourtant rien ne se passa comme elle l'avait prévu...
Mais quand elles furent toutes trois dans la rue Florent, où Louisette, selon sa chère habitude sautait sur les bordures du trottoir sans mettre le pied sur les séparations de la bordure- c'était un rituel dont il ne fallait pas déroger - si elle voulait par exemple - avoir une tasse de chocolat en rentrant - ou que son frère lui prête ses billes – ou qu'on ne l'envoie pas ramasser les doryphores dans une bouteille d'eau – ou que son escargot allait gagner la course - Bref ! Toutes ces petites choses qui devaient marcher, à condition qu' elle ne pose pas les pieds sur les rainures des bordures du trottoir.
C'était la nuit de Noël, donc, ce soir là, sa demande expresse aux bordures du trottoir était - si je ne marche pas sur les séparations, le Père Noël aura déjà posé les cadeaux -
Mais en passant sous un réverbère, alors qu'il n'y avait pas d'ombre, son ombre apparut soudain devant elle, puis alors qu' elle avançait, se mit à rétrécir, rétrécir , rétrécir et plouf, elle disparut. Elle se retourna, l'ombre était derrière. Elle continua à marcher, cette fois sans faire attention aux bordures et incroyable, l'ombre réapparut devant, se mit à rétrécir, rétrécir, rétrécir et plouf, repassa derrière. Alors là, c'était Sûr ! le diable lui faisait une farce , il était là.
Délaissant la bordure, elle vint se réfugier entre Mère et Grand-Mère et leur prit la main, mais elle vit le phénomène se répéter avec cette fois, trois ombres qui apparaissaient, diminuaient et plouf, passaient derrière et revenaient. Et Maman lui dit, « Regarde Louisette comme c'est drôle, nos ombres qui dansent et qui passent tout d'un coup derrière quand on passe devant la lumière d'un réverbère ! »
C'était donc ça ? C'était seulement la lumière du réverbère qui faisait ça ? quand on passait dessous ?… Et pas le diable ?
Rassérénée, Louisette lâcha les mains et repartit sauter sur les bordures du trottoir en regardant fascinée son ombre danser devant puis disparaître et revenir soudain chaque fois qu'elle passait sous un réverbère dans cette belle nuit de Noël.