Liberté (Val)
Elle roulait vers l’Ouest au volant d’une vieille Cadillac qu’elle avait achetée une bouchée de pain à sa sortie de l’aéroport. Elle voulait voir l’Ocean. Pacifique. Une fois dans sa vie. L’Ocean, c’est toujours la liberté. Voilà ce qu’elle était venue chercher aux États Unis: la liberté.
Ça sentait le bitume fondu. Il faisait chaud. Bien plus chaud qu’en France. La route était toujours toute droite. Ça ne ressemblait pas aux routes françaises. Et puis, elle n’avait quasiment croisé aucune voiture depuis des heures. Son GPS lui indiquait qu’elle verrait l’océan le lendemain matin. Alors, elle fonçait. La liberté se trouvait au bout du chemin.
Ce voyage, ça l’avait prise comme ça. Une dispute avec un collègue au travail, puis un mari qui ne semblait plus s’intéresser à elle. Rien n’allait bien, alors. Et cette impression d’étouffer... de ne pas tout à fait vivre, accablée de devoirs, suffoquée de responsabilités. Elle avait acheté un billet d’avion. Pour les États Unis. Son anglais était mauvais. Elle le savait. N’importe ! Elle verrait la côte ouest. Et seule. Et libre!
Elle conduisait ainsi depuis des heures lorsqu’il apparut. Un type avec un sac à dos, qui faisait du stop sur le bord de la route.
Elle hésitât une seconde. Puis pila au dernier moment. Pourquoi pas un peu de compagnie? Que risquait-elle, après tout? Un viol? Un meurtre? Bof, qu’avait-elle à perdre? Sa vie était-elle si intéressante qu’il faille la préserver? La réponse était claire!
Le gars ouvrit la portière, lui sourit, bredouilla un « Thank You » qui sonnait peu anglophone, et s’installa à ses côtés . Il semblait venir d’un pays de l’Est. S’ils parvenaient à communiquer dans un anglais approximatif, elle lui poserait la question. Un peu plus tard, songea-t-elle.
Elle s’apprêtait à lui demander où il se rendait, lorsque la voiture vrilla subitement. Ça fit un boucan de tous les diables. De peur, elle freina sec. Et la cadillac stoppa net, au beau milieu de nulle part. Ils descendirent, en firent le tour avec désolation: elle avait déjanté.
Le type se mit à rire nerveusement. Son rire était communicatif. Elle rit aussi.
Ils cherchèrent un moyen, comme un miracle, en ouvrant le coffre de la vieille voiture. En vain.
Il n’y avait rien à faire, à part attendre qu’un improbable véhicule passe. Et ils feraient du stop à deux.
Le type alla s’asseoir sur le bas côté, avec un léger sourire de résignation. Elle l’imita. Elle ne serait pas sur la côte Ouest le lendemain matin. Elle en aurait presque pleuré, sans le regard doux et malicieux de l’étranger, que la situation semblait laisser de marbre.
Ils commencèrent à discuter, dans un anglais basique, mêlant des mots de français et de... tchèque? Ils conversaient à peine. Ça n’avait aucune importance. Il existe d’autres langages plus explicites sans doute que la parole. Ils semblaient se comprendre autrement. Le langage des corps.
La nuit tombait. Ils mangèrent les sandwiches qu’elle avait préparés en prévision.
Au fil de cette étrange conversation, elle se retenait d’explorer le cou de son compagnon d’infortune. Il avait un cou comme on aime s’y blottir. Et des mains... elle se surprenait à vouloir qu’elles lui parcourent tout le corps.
Elle fut d’autant plus troublée quand elle le vit, le regard fixé sur son buste, et se souvint, en rougissant, que son corsage blanc était assez transparent.
La nuit les enveloppa tout à fait. Et ils s’enveloppèrent tout à fait dans l’unique sac de couchage dont elle disposait. Les nuits étaient froides, ici. Leurs corps s’unirent comme pour se réchauffer, presque par survie, presque par besoin, presque par instinct, presque pas fait exprès.
Au matin, elle se réveilla prisonnière de deux bras étrangers. Prise en otage par le sommeil de l’inconnu. Et pourtant, il lui semblait qu’elle n’avait jamais été aussi libre.
La liberté, la vraie, finalement, ce n’était pas l’océan.