L'astrolabe (Adrienne)
Le mot chiffonne l'Adrienne depuis la première fois qu'elle l'a rencontré. Elle avait dix-sept ans et c'était dans une lecture imposée, La Reine morte, de Montherlant.
Son prof de français préféré - enfin quelqu'un qui était à la hauteur, après cinq années à s'ennuyer ferme et à ânonner du FLE avec une ignoble méthode audio-visuelle - son prof préféré, donc, à l'époque ne disposait pas des moyens actuels permettant de montrer tout de suite avec les copains g**gl* et wikisaitout n'importe quel objet, fleur, animal, pays ou personnage qui serait inconnu de ses élèves. A l'époque l'Adrienne a dû se contenter d'une définition genre "instrument pour la navigation" qui ne l'a pas du tout aidée ni à se représenter la chose ni à en comprendre le fonctionnement.
Aux pages 29-30 de son édition Folio de l'époque, l'Adrienne relit ce souvenir que raconte le roi, Ferrante, à son fils Pedro:
Pedro, je vais vous rappeler un petit épisode de votre enfance. Vous aviez onze ou douze ans. Je vous avais fait cadeau, pour la nouvelle année, d'un merveilleux petit astrolabe. Il n'y avait que quelques heures que ce jouet était entre vos mains, quand vous apparaissez, le visage défait, comme prêt aux larmes. "Qu'y a-t-il?" D'abord, vous ne voulez rien dire; je vous presse; enfin vous avouez: vous avez cassé l'astrolabe. Je vous dis tout ce que mérite une telle sottise, car l'objet était un vrai chef-d'oeuvre. Durant un long moment, vous me laissez faire tempête. Et soudain votre visage s'éclaire, vous me regardez avec des yeux pleins de malice, et vous me dites: "Ce n'est pas vrai. L'astrolabe est en parfait état." Je ne comprends pas: "Mais alors pourquoi?" Et vous, avec un innocent sourire: "Sire, j'aime bien quand vous êtes en colère..."
Et c'est une lecture qui continue de la mettre mal à l'aise...