Saïgon et le « Saïgonvroom » (Lecrilibriste)
Rémi était un enfant étrange... Très étrange même … Il était né un 31 janvier, un Verseau pur jus tombé pile dans le signe et sur la planète des imprévus .... Ce qui promettait de belles réjouissances...
Tout ça ne disait pas grand chose à Rémi, mais avait une incidence incroyable et totalement imprévisible sur son comportement.
D'une part, c'était un pur gaucher, ce qui n'a rien à voir avec le Verseau (mais allez savoir ? ) et d'autre part, il lui fallait bricoler et transformer tout ce qu'il touchait avec une habileté incontestable.
Parfois, c'était pure catastrophe et parfois pur génie. Et Rémi qui était un fan d'Edison, chaque fois disait à son Père qui le questionnait « tout nouvel essai Papa, est un pas vers la victoire ! » Et son Père riait dans sa barbe en se disant « on en fera quelque chose de ce petit ».
En pur et dur gaucher, Rémi avait commencé à écrire sur ses cahiers de droite à gauche, ce qui lui avait valu quelques coups de règle sur les doigts de la part du Maïtre qui s'en était plaint à ses parents. Sa mère s'en désolaiat, mais son Père (qui avait découvert le fil à couper le beurre mais qui ne savait même pas qu'on pouvait faire breveter une pareille invention) comprenait bien son fiston.... « Les chiens ne font pas des chats ! » N'est-ce pas ?
Ecrire de la main droite ! Fallait le faire ! Pour sa Mère, le Maître et les copains, c'était facile, mais pour Rémi, c'était une autre histoire ! Contraint et forcé, il s'y employait tant bien que mal, le plus souvent, en faisant de belles taches sur son chahier du jour, si bien que le Maître écrivait réglulièrement dans la marge « Sagoin ». ce qui, bien sûr, faisait ricaner toute la classe.
Rémi n'aimait pas du tout ce mot, ça le mettait en rage. Il trouvait qu'il faisait sale, qu'il le réduisait à rien, ou un peu mieux, à un ouistiti, ce qu'il préfèrait d'ailleurs, car il adorait grimper aux arbres et se suspendre de la main gauche à la belle branche du cerisier.
Un jour où, puni par le maître pour « sagoinisme invétéré » Rémi devait écrire 100 fois pendant la récré : « je suis un sagoin et je change », il arriva une chose étrange. …
Il avait déjà écrit les 100 « je » les uns au-dessous des autres, puis les 100 « suis » les uns au-dessous des autres, puis les 100 « un » les uns au-dessous des autres, il en était au 90ème sagoin, les uns au-dessous des autres quand sa main droite se raidit d'une crampe subite qui lui fit faire une tache inopinée juste à côté du point sur le i. Etait-ce l'ange des imprévus ? Nul ne le saura jamais !
Mais c'en était vraiment trop pour Rémi ! Ses larmes coulèrent sur la tache et un Ï tout neuf le regarda soudain avec deux yeux pochés, étonnés, souriants et attendris, le laissant tout ébahi.
Or, Rémi qui changeait tout, avait déjà essayé de changer ce sale mot de sagoin ... En « sagoni » mais ça faisait italien, en « gonians » ça faisait vraiment trop lyonnais, en « agonisan » et là, ça faisait un peu mortuaire...
Les deux yeux du ï lui apparurent soudain comme une révélation, il écrivit « Saïgon » et finit sa punition en transformant les 10 autres mots qui manquaient en « Saïgon »... Voilà un mot qui sonnait bien, qui faisait exotique, qui le faisait voyager, qui le faisait même planer par delà les bureaux de la classe, bien au-dessus des océans !!!
Le Maître ne s'en aperçut même pas (ou plutôt, il fit semblant, car il venait de suivre un stage sur les gauchers qui l'avait quelque peu fait réfléchir).
C'est ainsi que je le jour de la distribution des prix où était invité le consul du Vietnam, ami du Maïtre …. , Saïgon, que le Maïtre (tout contrit par ce qu'il avait appris à son stage), s'était mis à appeler ainsi, gagna le premier prix de la course de caisses à savon avec son « SaïgonVroom » prototype qu'il avait fabriqué après de nombreux essais (toujours repris sans découragements à cause d'Edison). Le prototype avait dévalé la pente à toute vitesse à cause des voiles qu'il y avait mises et du vent qui soufflait heureusement dans le bon sens ce jour-là.
Il fut vivement félicité par le Maïtre et par le Consul, applaudi par la foule, fièrement embrasssé par son Père et sa Mère et invité à se rendre à Saïgon avec son équipe .
C'était le lot offert au premier prix par le consul du Vietnam qui, touché par ce nom et fine mouche, avait pressenti en Saïgon un génie en puissance qu'il fallait, à tout prix, attirer dans son pays.