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12 mai 2018

Les cymbales à coulisse (Pascal)

 

Adam Delay était troisième mirliton, au grand orchestre des Eaux et Forêts, entre Maurice, le détenteur des cymbales à coulisse, et mademoiselle Lucie, l’émérite joueuse du triangle à percussion. Ha, cette Lucie, il n’avait d’yeux que pour elle mais que pouvait envisager un simple mirliton dans cette chorale instrumentale ? Un solo ? Une composition pour bigophone ? Il vibrait pour elle ! Il avait beau suffoquer tout ce qu’il pouvait, notre mirliton, elle l’ignorait avec tous ses « ding ding » ! Quand elle le regardait, ce n’était que pour lui signifier qu’il avait soufflé de travers…  

 

Vint se joindre, au grand orchestre, Huguette, une joueuse de Daxophone ; elle avait sa façon d’enflammer ses notes et de captiver l’ambiance avec ses mélodies extraordinaires ! Il n’en fallait pas plus à notre Adam pour tomber sous le charme d’Huguette et de son idiophone ! Lucie, n’étant plus l’objet de toutes ses attentions, devint jalouse… Mais, les avances d’un mirliton, elle n’en avait cure, la belle Huguette ! Seules comptaient ses compositions ! Elle n’avait que du dédain pour le troisième mirliton ! Quand elle le montrait du nez, ce n’était que pour le rabaisser…

Monsieur Dupupitre, le chef d’orchestre de la formation, s’enquit d’une harpiste, miss Emilie ; avec sa lyre en bandoulière, elle arrivait tout droit des US. Il fallait voir comme ses mains caressaient les cordes ! Ce n’était que vibrations, enchantements, mélopées envoûtantes ! Imaginez notre Adam ! La tête dans les étoiles, il était dans tous ses états ! (cinquante) Il était le plus fervent « mirlitant » du jeu de mains de Miss Emilie ! Mais que pouvait-il espérer ? Ses trémolos énamourés n’étaient que des mauvaises notes sur le registre de la belle américaine. Huguette, la daxophoniste, n’étant plus l’égérie de son intérêt devint jalouse à son tour…

Le temps d’une tournée, on embaucha Nathalie, une joueuse de piano ; virtuose, elle travaillait au café Pouchkine quand on fit appel à elle. Sur son clavier, à tous les temps et sans nulle xénophobie, Nathalie conjuguait les noires et les blanches à la perfection, avec une maestria digne d’une soliste remarquable. Immanquablement, notre troisième mirliton tomba sous le charme. Mais comment une joueuse de piano pouvait-elle remarquer un simple souffleur de flûtiau ? Il multiplia ses avances, jouant même les intros avant le piano ! Mais qui était cet Adam qui plombait la scission ?!... C’est Miss Emilie, qui n’apprécia guère de n’être plus sous les feux de l’Amour du troisième mirliton ; la harpiste éconduite devint jalouse à son tour…

Arriva Adèle, une altiste venue des Alpes, qui avait profité d’une halte sur son répertoire pour intégrer l’orchestre de monsieur Dupupitre. Son jeu ? C’était une symphonie d’accordances sublimes ! Elle jonglait avec les dièses, les bémols, les majeures et les diminuées ! Les soupirs ? Ils étaient tous du fait de notre Adam ! Il haletait, notre mirliton ! Ses coups d’archet étaient autant de flèches plantées dans son cœur ! Chaque geste de l’instrumentiste, ses bouclettes lancées dans le vent moqueur de la partition, sa gestuelle en un manège éthéré, ses œillades manigancées, c’était son hypnotisation générale !
Allez souffler dans un galoubet après de telles chaleurs !... Mais qui était cet agaçant mirliton, avec ses notes d’oisillon, pour venir l’importuner ?! Il y avait tant d’écart entre ces deux instruments que ce serait comme accorder une biche avec un moustique !... 
C’est Nathalie, la piano-girl, qui encaissa mal l’évincement spirituel ; n’étant plus l’indispensable d’Adam, elle devint jalouse à son tour…

Il y eut Martine et son hautbois, Josiane et ses tambours, Françoise et sa guitare et notre insatiable Adam tomba sous le charme des (h)anches des instruments de toutes ces dames. Chacune à leur tour, elles devinrent jalouses des musiciennes les précédant sur l’autel de l’Amour de notre pauvre cœur d’artichaut…  

Un jour de répétition, alors que la reprise battait son plein, on entendit une petite musiquette s’élever dans la salle de concert. Un grand frisson parcourut l’assistance ; il était le fil tendu de la grande Vibration… C’était si léger, si aérien, si séraphique ! Ecoutez cette musicalité extraordinaire, appréciez cette tessiture digne d’entrevoir le paradis et sa cohorte d’anges ! Tout le monde regardait le ciel comme si Dieu avait entrouvert le plafond de l’auditorium. Une « mirlitonne !... »
Facétieux, monsieur Dupupitre avait recruté Eve dans la plus grande discrétion. A la rime, Adam reprit le couplet ! Ils soufflaient à l’unisson ! Ecoutez ! C’est si rare, deux gazouillis de mirliton au même diapason !... Fa, mi, sol ! On dirait deux papillons posés sur la gamme !... Do, ré, la ! Adam et Eve au nirvana ! Ils croquent la pomme !...

En quelques notes, Eve se posa sur la branche fleurie d’Adam Delay en pleine pâmoison. Leur façon d’interpréter leur petit extrait de partition laissa bouche bée tout l’auditoire ! Surtout les disgraciées ! Pour montrer tout leur courroux et leur délaissement, les Lucie, Huguette, Emilie, Adèle, Nathalie, Martine, Josiane, Françoise et consort, jouèrent monstrueusement faux ! Il n’en fallut pas plus à monsieur Dupupitre, qui fait tourner son orchestre à la baguette, pour virer tout ce personnel tellement disgracieux !...

C’est ainsi qu’au grand orchestre des Eaux et Forêts, nous n’entendons plus que trois musiciens : Eve, la fabuleuse mirlitonne, notre Adam, mirliton heureux  et, naturellement, Maurice, le détenteur des cymbales à coulisse…

 

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Commentaires
B
C'est beau doux et si harmonieux que j'entends au loin cette musique c'est magistral <br /> <br /> Merci et.Bravo Pascal
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V
et Dieu dans tout ça il est passé où !!!
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W
En lisant les commentaires, je vois que ton récit a la cote (d'Adam) !
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J
Cette ode musicale à l'oncle Walrus, notre démiurge à tous, - la musique adoucit les morses ! - vaut tous les récits de genèse parus et à paraître !
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J
Tu viens d'inviter un nouveau genre : l'orchestre érotique qui aura sa place en toute bibliothèque rose !
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L
A bas la hiérarchie des instruments...<br /> <br /> et vive les mirlitonneurs...qui vivent d'amour et de musique fraîche !
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V
Ton orchestre baroque est à croquer !
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K
Paradisiaque la fin après l'enfer du début ! L'ambiance des orchestres est bien rendue. Bien que guitariste, j'ai un faible pour Nathalie tout droit venue du café Pouchkine...
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M
Heureux Adam...Il peut enfin déguster le coeur de l'artichaut ! J'adore lire des histoires qui se finissent aussi bien !
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