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27 janvier 2018

Les trois femmes de ta vie (Pascal)

  

Ho, tu n’en as pas eu trente-six. Je ne parle pas des bouche-trous, des conquêtes d’un soir pêchées dans le vivier d’une piste de danse, des BCBG directement sorties des sites de rencontre. Te souviens-tu de cette belle grenobloise, couleur d’ébène, avec ses grands rires forcés à briser aussi tes vitres ?... Et, je ne sais comment tu avais fait, cette véritable Claudette que tu avais ramenée de Lyon ?... Elle avait de beaux restes ; pendant votre idylle, je te chantais « Alexandrie » juste pour te faire râler !...
Et la « camionneuse » aux cheveux courts et aux bras si musclés ! Elle ne voulait plus décoller de ta maison !...  Elles étaient toutes des braves filles, en fin de compte ; dupes ou pas dupes, avec toi, elles pensaient  avoir retrouvé un semblant de prince charmant ; rêveuses, elles cherchaient encore une roue de secours à leur carrosse en perdition…    

Ta femme ? Celle avec qui tu as eu tes enfants ? Même pas ; ça, c’était facile. A vingt ans, tu aurais pu les faire avec n’importe laquelle. Elles te couraient toutes après ; avec ta belle gueule de jeune premier, ton imagination débordante et tes airs de chevalier servant, elles voulaient toutes pondre leur œuf dans ta litière. Tu l’as trompée, elle aussi, mais c’était un sport, un emploi du temps occulte pour tuer la routine, une façon de ne pas mourir en avance…    

Tu n’en as pas eu trente-six ; celles qui ont vraiment compté pour toi se tiennent sur les doigts d’une demi-main. L’andalouse pulpeuse, celle qui a vécu dix ans avec toi après ton divorce ? Non, elle ne compte pas. C’est celle qui t’a appris à trop boire. Restos, boîtes de nuits, amis, voyages, délires, sorties, re-restos, pour tenir sa cadence de fêtarde, tu as abusé de tous les expédients. T’as cru rajeunir en mettant à ton bras cette poulette plus rafraîchissante. Tu t’es mis à picoler sérieusement. Un jour, les flics t’ont arrêté ; tu avais quatre grammes quatre-vingts d’alcool dans le sang ; tu étais tout fier de raconter ton  exploit d’ivrognerie ! Le Xérès, comme tous les breuvages qui passaient à ta portée, tu le buvais en apéritif, en digestif, en sirop, en solitaire, en cachette. Sans modération, tu es parti en cure de désintoxication ; d’un coup d’éventail, la belle espagnole a fait ses valises sans t’attendre et s’est envolée vers d’autres matadors…   

Non, tu n’en as pas eu trente-six. En première, sur ta si courte liste, il y a eu ta maman. Elle a toujours réparé tes dégâts, les petits et les grands. Quand tu étais gamin, à ton chevet, elle était là pour chasser tes cauchemars, essuyer tes pleurs et panser tes genoux écorchés ; plus grand, elle soignait tes retours ensanglantés de boîtes de nuit, elle arrondissait tes fins de mois difficiles, elle t’évitait les colères destructrices de ton père et, quand tu repartais dans ton studio, combien de fois a t-elle rempli le coffre de ta bagnole avec de la bouffe. Et plus tard encore, quand tu prenais des cuites sidérales, passablement inquiète, elle te surveillait derrière la grande baie vitrée… 

Il y a eu ta chef de Service ; arrivée à point nommé dans ton existence, elle a vite compris tout ton potentiel et tout l’ego qui bouillait sous ta carapace de grand seigneur. Elle t’a remis sur les rails, elle a exhorté tes qualités, a redoré ton blason, t’a confié des lourds dossiers, des missions de confiance et, toi, toujours aussi généreux, tu t’en sortais comme un chef. Tu la vouvoyais mais tu l’appelais par son prénom devant tout le monde. Avec elle, tu avais repris confiance ; tu étais devenu un bourreau de travail, cherchant toujours une caresse de remerciement dans le sens du poil pour justifier tes prestations. Toujours en costard, tu étais de toutes les réunions, de tous les stages, de toutes les conférences, déclamant tes speechs devant les grands pontes de ta boîte. Elle savait te flatter, exacerber tes compétences, louer tes services et, toi, tu faisais le beau comme un toutou qui réclame le susucre d’une hypothétique augmentation. Tu avais son appui professionnel ; bien campé sur tes deux jambes, tu brillais comme un Don Quichotte en armure devant ses moulins à vent… Et tu fumais, tu fumais comme une cheminée d’usine en plein labeur de semaine ; clope sur clope, paquet par paquet, jamais tu ne faisais grève, jamais tu ne prenais un jour de repos, jamais tu ne t’arrêtais. Tu débordais d’heures supplémentaires, tu avais plein de jours de congés et tu ne savais plus quoi en faire… 

Et puis, il y a eu Jacqueline, la fameuse Jacqueline. Elle est entrée dans ta vie comme un soleil d’horizon qui n’arrête plus d’enflammer ses paysages ; même si tu t’en es toujours défendu, tu étais littéralement ébloui par ce démon de la cinquantaine qui avait pris la forme de cette extraordinaire chimère aux yeux verts et aux cheveux rouges…  
Celle-là, tu l’aimais, Dieu que tu l’aimais ; c’est comme si tu avais misé sur elle la somme de tous tes espoirs futuristes. Tout ce que tu n’avais pas dit aux autres, tu l’avais réservé rien que pour elle. Tu lui avais ouvert toutes les portes de ta maison, tu l’avais sacralisée auprès de tous tes amis, tu accueillais ses enfants, tu acquittais ses dettes, tu réparais sa bagnole, tu portais ses courses, tu léchais ses bottes, et que sais-je encore…
Malheureusement, parce que c’est toujours comme ça, ce n’était pas réciproque. Quand tu lui parlais d’Amour, elle te parlait de vacances lointaines, de bons restaurants, de grands magasins ; quand tu lui parlais de ses yeux, elle te parlait de bijoux assortis, de belles chaussures, d’anniversaires, de cadeaux de Noël. Elle avait pris des goûts de luxe depuis que tu l’avais prise dans tes bras. En éternelle armure de chevalier, ton écu, c’était ta carte bleue et ton épée, c’était le stylo pour signer les chèques…  
Elle voulait toujours te faire décrocher la lune et, toi, tu n’étais jamais à court d’échelles ! Tu tirais des plans de comète ! Tu avais des vœux que tu envoyais aux étoiles filantes ! Haute couture, bijoux, parures, artifices, rien n’était jamais assez beau pour enjoliver ses caprices ! Pour elle, tu as emprunté à des potes, tu as fait des crédits aux banques, tu t’es endetté jusqu’à ne plus aller ramasser ton courrier. C’est vrai qu’elle était belle et la beauté, ça se paie. C’était seulement une garce intéressée et tu jetais à ses pieds tout ton or et toute ta fièvre…  
Forcément, entre les trois, pour tenir, t’as fait le joint avec les excès tous azimuts et si tu as souvent levé le coude, ce n’était pas en signe d’allégeance, c’était seulement pour tenir l’infernal rythme de cette vie tellement tumultueuse…   

Ta maman est décédée, ta chef de service a changé de région et la garce rousse, avec qui tu croyais que le ciel serait toujours bleu, s’est barrée avec un amant plus fortuné. Mais comme tu ne voulais pas rester seul, tu as attrapé un cancer, cette saloperie qui s’accroche mieux aux désespérés qu’aux autres.
Tu as à peine soixante-deux ans ; tu es alité, tu regardes obstinément le plafond comme s’il allait enfin s’entrouvrir sur ton paradis parce que ce maudit purgatoire dure depuis trop longtemps. Dans ton silence médicamenteux, te connaissant depuis l’enfance, je sais que tu penses en boucle à elles trois ; debout sur le podium de tes meilleurs souvenirs, elles sont ton tiercé gagnant. Tu dois leur parler, les malaxer de ta tendresse toujours aussi gauche, les embrasser, les ressortir avec leurs plus belles images, tirer au sort pour savoir laquelle des trois occupera ta prochaine nuit blanche. Souvent, il vient ta fille pour te réconforter et prendre soin de son papa ; elle pleure au bord du lit quand tu t’assoupis mais, elle… elle ne compte pas…

 

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Commentaires
J
Papillonner, butiner, être aimé pourvu qu'il y ait l'ivresse !<br /> <br /> Jak-
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B
Il ne faut jamais cesser d'aimer même si parfois ça fait mal <br /> <br /> Magnifique texte très émouvant <br /> <br /> Bravo et Merci Pascal
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V
peut on vivre sans aimer?<br /> <br /> ton texte illustre cette question .
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S
Cette fois le xérès n'est pas gai...
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W
Tout ça ne va pas me remonter le moral, et le Xérès n'aide pas, j'ai déjà essayé ;-)
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J
On entre dans ce texte - ces textes - comme dans un hôpital.<br /> <br /> <br /> <br /> Le silence est de mise et l'on marche sur la pointe des pieds. Ce n'est pas de l'indifférence, c'est du respect.
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N
dure histoire ! à force de vivre dans le futur avec l'envie de gagner, de vivre dans le passé avec la peur de perdre, l'homme s'épuise à ne pas faire ce qu'il a à faire au présent. C'est tellement triste.
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K
Fort et parfait ! Bravo et merci !
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M
Texte émouvant...On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre...Les femmes sophistiquée et très belles ne se contentent pas d'un filet de clémentines et d'une bouteille d'eau de Cologne (en générale) ...! :))
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J
C'est tristounet !
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