Ecrire à Rimbaud ? 11, Maléfices (Joe Krapov)
Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière
08000 Charleville-Mézières
Mon cher Arthur
“Sweet Lorraine
Let the party carry on… »
Uriah Heep (Ken Hensley ; Mick Box ; Lee Kerslake)
A force de m’interroger sur le maléfice ardennais, sur cette suite de catastrophes que fut ton existence, j’en viens à me demander si je ne suis pas, moi-même, le maléfice ultime !
N’ai-je donc rien de plus intéressant à accomplir dans la vie que cette exploration non essentielle des bibliothèques et d’Internet au sujet de ton œuvre et de ta vie afin d’en souligner, s’il en est encore besoin, la malchance infinie ?
N’ai-je pas à rechercher des images plus colorées, plus joviales que celles du Harrar en noir et blanc ou de Charleville-Mézières après le passage de la météorite Rimbaud ou des bombes de 14-18 et 39-45? J’en connais pourtant ! Et des tonnes !
Est-il bien utile d’offrir en partage ma dernière trouvaille ? Sans doute que oui, histoire de relativiser le fait que «Non seulement j’ai écrit des bêtises mais j’en ai chanté aussi». J’avoue, j’aime bien balancer des horreurs dans les oreilles des gens, c’est pour cela que je chante ! Mais avec le «Rimbaud» de John Zorn, vous allez être gâté(e)s ! C’est du pire to pire !
Il ne sortira donc jamais, de la tête des hommes, que le génie du mal et le goût pour l’inaudible ? Serions nous tous ensorcelés ou quoi ?
Attention, passage litigieux :
Et pourtant, c’est bien la société elle-même et, paradoxalement, l’école qui nous encouragent à cela. On y prône la curiosité, le goût pour la lecture, pour les arts, pour la science, pour la découverte, bref tout ce qui a causé ton malheur… et mon bonheur !
Sans la fréquentation des livres, Arthur Rimbaud, tu serais sans doute devenu un paysan ardennais plus ou moins prospère. C’est à cela que te réduit d’ailleurs M. Thierry Beinstingel dans son roman «Arthur Rimbaud, vie prolongée». Arthur Rimbaud, contremaître à béquilles dans une carrière de marbre belge, marié puis veuf avec enfants, qui traverse l’affaire Dreyfus et 14-18 sans prononcer un mot plus haut que l’autre… Désolé de spolier celles et ceux d’entre vous qui souhaitent lire ce livre mais, à part le fait que c’est très bien écrit, ce scénario n’a rien de bien intéressant !
L'autocritique du jour : La malédiction des auteurs de romans c’est le lecteur qui se prend pour un critique littéraire !
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne reproche rien à ce Charlemagne qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école. Je ne fais pas partie de ceux qui veulent l’interdire avec la musique, le jeu d’échecs et la liberté de parole pour voiler tout cela du grand manteau noir d’une religion. Allez-y, les jeunes gars, les jeunes filles, à l’école ! Allez y, vous n’en reviendrez pas, comme le chantait Brigitte Fontaine jadis. Oui, c’était assez inaudible aussi !
En effet, sans les livres d’images, sans les bandes dessinées, sans la liberté de publier et de diffuser la culture, fût-elle d’abord souterraine (underground) puis récupérée (mainstream) et officielle (old dinosaurs, Pink Floyd, Rolling Stones, Bob « Nobel z’années » Dylan), sans les couvertures des romans de science-fiction et les pochettes de disques vinyles, comment aurais-je pu rencontrer les démons et sorciers dessinés par Roger Dean pour les albums d’Uriah Heep et d’autres groupes de rock des années 70 ?
Bien sûr, c’était en dehors de l’école, mais il n’y a pas que l’école dans la vie, ou mieux, toute la vie est une école et le professeur-cancre Joe Krapov y donne des cours de récréation ! Bien sûr c’est le hasard qui préside à la sorcellerie, à la magie et qui fait qu’un sortilège devient maléfice ou enchantement. Rien ne l’abolit et surtout pas un coup de dés.
- T’as du faire nénette, deux, deux et un, Jean-Arthur, et moi casser la baraque avec trois six !
J’ai eu la chance de découvrir chez lui et d’emprunter à l’ami J.-B. B. le premier 33 tours de Uriah Heep, «Very ‘eavy, very ‘umble». Que faisait-il, égaré dans sa collection de disques de musiciens de la West Coast des Etats-Unis (Jefferson Airplane, Grateful Dead, Hot Tuna, CSNY) ? Mystère !
Toujours est-il que «The Magician’s birthday» est bien le premier disque de rock acheté par les pauvres deniers de mon argent de poche de l’époque. Je suis toujours aussi scotché par le morceau final de dix minutes sur la face deux avec son solo de guitare électrique et de pédale wha wha. Le plus enchanteur des sortilèges musicaux n’en reste pas moins Demons and Wizards, l’album qui précédait celui-ci, avec la suite magique de Ken Hensley, «Paradise / The spell».
Et donc, de maléfice en aiguille, pour le seul plaisir de posséder des illustrations de Roger Dean, j’ai été victime de fièvre acheteuse et je possède encore les disques du groupe Greenslade, de Yes et même de Badger.
Bon, assez disserté sur mes envoûtements personnels. Je m’aperçois que, tout à mes recherches et à mes écoutes de musiques folles, j’ai oublié de voir passer le 20 octobre et de te souhaiter un bon anniversaire ainsi qu’à ce cher oncle Walrus qui est né dans ces eaux-là aussi, un peu plus tard quand même qu’en 1854 !
C’est pourquoi je termine cette lettre en vous Balançant à tous les deux un «Happy birthday, magician !».
P.S. Et comme je ne suis pas chiche, je vous offre mes derniers trésors du Trégor. Vous pourrez ainsi constater que Messieurs Nikon et Canon ont prononcé à mon endroit aussi un terrible maléfice : «Chaque fois que tu prendras des photos, Joe Krapov, tu tourneras la molette des effets créatifs afin de te retrouver dans un autre monde qui te rendra fou ! Ha ! Ha ! Ha !" (Rire maléfique de Nippon ni mauvais qui te jappe au nez).
P.S. Oui, je t’ai entendu, Jean-Arthur !
- Passer de Sweet Lorraine à Loreena McKennitt, c’est une belle façon de boucler la boucle. Et ce serait bien que tu la boucles un peu plus souvent, Joe Krapov !»
- Ha ! Ha ! Ha ! Compte là-dessus et bois de l’absinthe !