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Le défi du samedi
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4 novembre 2017

Zébulon (Pascal)

 

Loin des grands axes et au hasard d’une de nos sorties dominicales en moto, du côté de Saint-Tropez, Nanou et moi étions passés devant un centre équestre et nous avions décidé d’une promenade impromptue à cheval. C’est quand les choses ne sont pas prévues à l’avance qu’elles sont les plus exaltantes ; elles deviennent alors des souvenirs inaltérables. Chaque image a son charme, chaque détail son parfum, chaque ombre est le négatif précieux dans l’album des photos sensationnelles.

Incorrigible couturier, l’automne dans les arbres avait sa façon d’embellir les décors. D’une branche à l’autre, c’était des confettis d’or, des guirlandes topaze, des bouquets sertis aux intenses tonalités jade et rubis ; des bousculades de vent emportaient les feuilles dans des ouragans multicolores ; les entrées des sous-bois pastel, illuminées de grenat et d’ocre, avaient des reflets éblouissants, chamarrés, pétillants ; des effluves entêtants d’eucalyptus et d’encens saupoudraient l’ambiance en nous soûlant de campagne…  

Passionnée, devant les écuries, tu rayonnais comme si tu avais retrouvé ton élément ! Tu as toujours aimé les chevaux, l’atmosphère qui plane dans les manèges, les enclos, les hennissements, les odeurs fortes de paille et de foin ; tu sais leur parler à l’oreille, les gâter avec des friandises, les caresser longuement, flatter leur croupe, et toutes ces choses rapprochantes qui font cette connivence magique entre l’animal et l’humain.
Puisque tu connaissais parfaitement le « maniement » des chevaux, on te prêta une monture en rapport avec tes qualités de cavalière. On me refila un gentil canasson, nommé Zébulon, parfaitement amorphe et digne de mes compétences de néophyte. Passer d’une Kawasaki Z1000, avec ses quatre-vingt-trois chevaux, à un seul, monté sur ses quatre pattes, n’était pas pour moi une sinécure ; grimper dessus, fut toute une aventure… 
Bon an, mal an, pas franchement rassuré, je suivis l’équipée, le temps de cette balade bucolique. Au pas, tout allait bien ; au trot, j’avais mal aux fesses d’être tamponné sur la selle. Ce qui était un plaisir pour toi devenait un supplice pour ma colonne vertébrale.
Malgré le début de fraîcheur automnale, pas très à l’aise, je transpirais sous mon blouson de cuir…

Incommodé par ma lenteur, notre jeune guide-accompagnateur m’avait cassé une petite branche pour que je puisse de temps en temps fouetter la croupe de mon canasson. 
A cause de toi, peut-être, il faisait le beau, ce jockey de carnaval ! Ici ou là, il cabrait sa monture ! Fringante, la bête donnait des antérieurs comme si elle boxait l’invisible !
Moi aussi, sur ma bécane, je savais faire des roues arrière !...
Son cheval était flamboyant ; on aurait dit qu’ils étaient faits l’un pour l’autre ; à la moindre sollicitation, à la moindre pression sur les rênes, l’animal répondait à la requête de son picador avec une grande application. Pire, ils étaient beaux… 
Ton cheval piaffait d’impatience ; pour un peu, vous seriez partis tous les deux en caracolant dans la garrigue, en m’abandonnant lâchement avec ma Rossinante !...

Zébulon s’endormait et ça m’arrangeait ! Le fouetter ? Jamais ! Je ne voulais surtout pas le réveiller ! Je lui souhaitais même des rêves sans ruade avec d’immenses prés de marguerites, une écurie remplie de fourrage frais des alpages, des juments pas trop regardantes et des saillies d’anthologie ! Les branches me giflaient la figure, j’avais mal au dos et de la sueur d’inquiétude collait dans mes mains…

Zorro,  l’écuyer-randonneur, sûr de son effet, nous avait emmenés à travers les chemins tortueux, jusque sur les hauteurs de la colline. Du haut de nos montures, au loin, on pouvait apercevoir le Golfe de Saint-Tropez, ses falbalas bleutés et la brume dentelée que le soleil s’évertuait à peindre en isatis. Comme des cerfs-volants libres dans l’azur, des bateaux dessinaient des arabesques sur l’onde céruléenne ; leurs voiles brûlaient en lavande, en parme, en lilas indigo…

Aussi, je n’aimais pas la houle que la démarche de mon cheval créait en avançant ; cela me donnait le mal de mer, au milieu de la poussière du chemin. Parfois, un de ses sabots glissait sur une pierre et j’avais toujours l’impression que j’allais me casser la gueule au milieu du sentier ! Brusquement, il donnait des coups d’encolure pour chasser les mouches avec sa crinière ! Par jeu ou par dépit, souvent, il pinçait les fesses du cheval le précédant avec des coups de dents adroits ! J’avais la hantise d’un taon belliqueux, d’une épine acérée ou de quelque objet hétéroclite qui déclenche sa peur...
Tout à coup, à la vue d’une petite clairière et sans que je n’esquisse le moindre petit geste, ma monture se mit à galoper ! Tétanisé, droit comme un i, je me sentis glisser inexorablement de la selle ! Au secours !... Mon cheval s’est emballé ! Il va me désarçonner !  J’allais droit à la gamelle !  J’aurais dû garder mon casque de moto ! Le cheval : la plus belle conquête de l’homme ? Tu parles ! Moi, j’adore le cheval ! Surtout dans l’assiette, en steak tartare !...
Enfin, heureuse de galoper, tu chevauchais bride abattue comme si tu voulais gagner une course de tiercé ! Le cavalier-cosaque-outsider t’avait emboîté le… sabot, trop content de se débarrasser de ma charge !...

Nanou !... Nanou !... Où est le bouton marche-arrêt sur ce p… de bourrin ?!... Il est monté sur ressort, ce Zébulon ! Allez, déconne pas, cheval ! Repasse en mode léthargie ! Promis, je ne mangerai plus jamais un de tes semblables !...
Au bout de la clairière, l’animal était redevenu calme et il avait repris sa somnolence de vieille carne, seulement agitée par ses coups de queue sporadiques.
Je ne sais pas comment je n’étais pas tombé ; j’avais les mains crispées sur les rênes, chaud dans les bottes et des grands soupirs de forçat…
Souriante, tu m’attendais à l’entrée du chemin du retour ; aussi, je me redressai sur ma selle comme un cavalier émérite quand il a réussi son difficile parcours de sauts d’obstacles… 

 

A cheval2

 

 

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Commentaires
B
Tes écrits sont toujours aussi riches et merveilleux j'ai beaucoup aimé cette balade Merci et Bravo Pascal
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P
Une chevauchée des mots qui a fière allure.
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J
Tournicoti, tournicoton ! Rester en selle n'est pas coton !<br /> <br /> <br /> <br /> Quel récit fabuleux, encore !
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W
J'ai bien aimé l'acrostiche "paragraphique". <br /> <br /> Moi aussi je préfère le cheval dans l'assiette qu'assurer mon assiette à cheval, j'ai même une très bonne adresse à Vilvorde.<br /> <br /> Mais pas un mot à mes petites-filles, elles sont au manège ce samedi...
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V
Un petit Kawa pour te remettre de tes émotions ?
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T
C'est un souvenir d'anthologie et la photo sublime encore l'histoire. J'adore les pointes d'humour qui fleurissent dans ton récit. :)
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