Le fantôme du paysage (Laura)
Il des lieux qui ne sont pas des paysages car on ne les regarde pas
Il est des paysages qui redeviennent seulement des lieux car on ne les regarde plus
Il est des lieux entre vie et mort, des lieux hantés où règne le fantôme du paysage
Ce sont des villes où l'on est né, où l'on a marché pour la première fois
Ce sont des rues où on est allé à l'école, où l'on a pédalé, marché, aimé
Ce sont des rues où on a pleuré, souri, sauté dans les flaques, couru
Ce sont des rues où on a posé pour un peintre, embrassé, bu, fait l'amour
Ce sont des rues où on a enterré sa grand-mère, parlé avec son meilleur ami
C'est une ville où on a lu, été heureux, crié, souffert, été soi-même et parfois un autre
C'est une maison où on a lu ses premiers livres puis sous les draps avec une lampe
C'est un lieu où on a dansé avec sa grand-mère avant de sortir en boîte
C'est une ville dont on a connu l'histoire, le nom des rues, la place des statues
Ce sont des rues qu'on a parcouru en tout sens avant de partir ailleurs
C'est une ville où on est revenu le vendredi, parce qu'on y chérissait des personnes
C'est une ville qu'on défend parce qu'elle est belle et riche de passé et de possibles
C'est une ville où on a vécu et où on ne vit plus, où on ne voudrait plus vivre
Mais c'est une maison où on a écrit pour donner des nouvelles, faire un signe
C'est une maison qui a reçu des cartes de tous les coins de France où on a pensé à elle
C'est une maison qu'on aimait pour ses racines de coeur, les personnes qu'on y aime
C'est comme l'arbre dont on coupe une branche et qui pleure sa sève blanche
C'est comme si j'étais cette branche sans tronc dans un paysage sans âme.
C'est une maison, une ville où plane des souvenirs qu'on jette aux oubliettes
D'un grenier poussiéreux, c'est une maison qui bafoue son passé en le glorifiant
C'est un paysage où ne reste plus qu'un fantôme d'amours qu'on nie sans vergogne.