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Le défi du samedi
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22 avril 2017

Morphine (Pascal)

 

Viens, viens, petite gouttelette !...  Accrochée au néant, tu parades à la lumière ! Tu ressembles à une perle de rosée ! Côté ombre, tu es translucide ! Côté soleil, tu es multicolore ! Je peux même voir toute la chambre dans ton reflet ! Mais à qui est cette tête de malade ? Alors, c’est le défilé des monstres, ici ?!...

Viens briller ! Viens éclairer ce néant excrémenteux ! Viens perturber l’agencement de mes aberrantes certitudes ! Délivre-moi du mal et des impressions hypocrites, pardonne-moi de t’offenser avec tant de gourmandise ! Allez, ne te fais pas prier ! Va vite rejoindre tes comparses dans le tube de la perfusion ! Allez ! Viens participer à l’avènement de mes lubies lancinantes ! A moi les espaces chimériques, les rêves cartésiens et les évasions oppressantes !...  

Princesse liquide, tu t’insinues, tu enfles, tu tremblotes, tu hésites ! Sur ton cahier de brouillon, c’est le grand saut vers une nouvelle page de mon histoire de pas de chance.
Allez, viens t’imprégner dans les méandres de mon corps ! Va distribuer tes messages utopiques dans mes veines malades ! Dépêche-toi ! Va courir mes restes de vie, d’abysses en escalades, de refrains imbéciles en mensongères salades, d’azur improbable en fourberies les plus viles ! Viens peindre l’agonie en champ de bataille, transforme mon sang en patinoire, mon cœur en pendule emballée, mon corps en pantin désarticulé ! Avec ton souffle chaud, avive les lambeaux de mon âme !
Distribue-moi des augures alléchants, des sentiments saisissants, des affiquets argentés ! Tue mes remords adipeux, ces contrefaçons de la réalité infidèle, ces mille atermoiements comédiens, ces piètres marivaudages sans Amour !
Viens transpirer dans mon cinéma ! Invente-moi des nouveaux talents et des expressives rodomontades de géant ! Viens badigeonner mes restes d’espérance aux tons enjoués d’une chambre d’enfant ! Viens bousculer mon coma ! Fais de mes tripes un canevas sans contrition et de mes sentiments, un vague désir de conservation ! Tue ma haine, astique mes sens, brûle mes soupirs, glace mes doigts, éteins mon mal, attise mon ignorance de sot, promets-moi monts et soleils, entretiens le fantasme du seul désir de vivre !
Eclaire mes yeux de tes ténèbres les plus ensorcelantes ; supprime l’Ennui amorphe, les sentiments sans envergure, les lendemains silencieux, les yeux trop bleus, les cheveux trop blonds, les sourires trop dentus… Fabrique-moi un paradis artificiel et hospitalier, sans personne dedans que mes vrais amis, sans couleur que le kaléidoscope  de mes élucubrations fantasques, sans parfum qu’un bord de rivière sauvage, sans caresse que celle du vent frisson après l’orage…

Dehors, au plus près de la fenêtre entrouverte, un mûrier platane étend largement ses moignons ; dans les noeuds de l’arbre, gargouilles fatalistes, il s’y perche une pléthore de primates prétentieux ! Tout en haut, c’est un gras gorille qui garde les autres garnements ; on dirait qu’il sait tout de cet arbre généalogique. Obsédé, il surveille le parc, le parking et les participants pressés, courant à la clinquante clinique ; les branches qui poussent tout autour sont ses dents, sa tignasse, sa crinière, ses armes de canopée. Un peu plus bas, c’est un couple de bonobos débonnaires qui bamboche à la même branche bleutée. Ils semblent soudés l’un à l’autre et rien ne pourrait les séparer, ni le vent, ni la pluie, ni mes grimaces entendues, dans le reflet de la fenêtre. Tout près, un chimpanzé chamarré me surveille en penchant la tête ; c’est un curieux, celui-là. Avec son œil rond et glauque, il suit mes faits et gestes ! Il est terrifiant. Tantôt singe, tantôt hydre, tantôt zombi, tantôt inquisiteur, les ombres du jour passant le maquillent au gré de mes accablantes fantaisies de morphinomane…

Les ventripotentes gouttes de pluie s’attachent aux branches ; si les premiers bourgeons de l’année se tendent vers le ciel, elles se pendent en regardant désespérément l’herbe du parc. Il y a des noires, des blanches, des crochues ! Sur les fils d’une gamme fantôme, on dirait des notes de musique alignées pour agrémenter une symphonie aussi pastorale que silencieuse. Elles font la course avec celles de ma perfusion ! Qui va gagner ? Toi ou toi ? En regardant obstinément le mur, en face de mon lit, je ne sais plus qui tombe le plus vite…  

Pas de télé, pas de livre, pas de musique, pas de visite, j’ai décidé de ne laisser nulle interférence oisive entre le mal qui me ronge et mes pensées fugitives. C’est un corps à corps, à corps perdu, entre le corps médical, la morphine et moi. Le drap de mon lit se gonfle sous la bourrasque de mes soupirs incessants. Et si je larguais les amarres, et si j’allais naviguer dans les vagues de mes tempêtes intérieures, et si je partais à la chasse au trésor ? Je ramènerais des arcs-en-ciel mirobolants, des étoiles aux filaments cristallins, des nuages de vent du Nord comme des oriflammes de beau temps !

Goutte à goutte, seconde après seconde, le liquide s’étire et se noie dans mon avant-bras ; j’ai soif, j’ai froid, j’ai faim et envie de vomir. Le jour et la nuit se déclinent en tristes couleurs opaques ; le bouillon de onze heures se touille avec des biscottes anémiées et l’infusion du goûter a des relents de racines de pissenlit. Les distances sont devenues des visions subjectives arc-boutées entre leurs ombres de départ et celles de l’arrivée.
Les chariots courant dans le couloir sont des trains à grande vitesse ; les express cahotent sur des aiguillages énervants et les moins rapides sont des omnibus s’arrêtant à chaque compartiment des chambres. A la dérive d’un destin planant, le temps se synchronise avec leurs toc toc incertains contre la porte d’entrée ; l’infirmière vient composter mon billet de fièvre, vérifier les tourments de mon cœur et renouveler ma poche… de morphine…

 

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Commentaires
B
Quel texte magnifiquement bien écrit mais des moments à ne souhaiter à personne
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J
En espérant des jours meilleurs...<br /> <br /> ...comme ceux d'avant-hier où l'on avait tout cela sans recourir à d'autre adjuvant que... la jeunesse ou la santé ?
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W
Il ne s'est pas vanté en disant qu'il connaissait !
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J
Envoûtant, cette tirade !
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V
Une rodomontade opiacée à la manière de Pascal...
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