Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 270
Derniers commentaires
Archives
11 février 2017

La pause (Pascal)


A l’heure de la pause canonique, j’ai vu ces gracieux remontés, te faisant une cour éhontée, dans l’espace tabagique. Sans contrefaçon, pour allumer ta cigarette, du bout de leurs briquets Dupont, ils te déclaraient tous leur flamme, ces gigolos d’opérette. J’ai vu souffler leurs exhalaisons en forme de révérences hypocrites ; j’ai vu courir les fumerolles aiguisées de leurs clopes, cherchant la cible de ton cœur ; j’ai vu tourbillonner cette aura bleutée et tu semblais danser dans la moiteur de la fumée…
Vile sorcière de mes plus doux sortilèges, j’ai vu leurs tisons rougissants de tabac t’encercler ; j’ai vu les habiles fantômes de leur fumée t’envelopper ; j’ai vu ton bûcher s’enflammer et tes rires pour l’attiser…  
Comme à l’accoutumée, à la sortie de la classe, toute cette pléthore de Cupidon artificiels, toute cette meute de chiens de chasse, t’affublaient de superlatifs sensationnels. Apprivoisée, sans arme, tu jouais les Diane emprisonnées, les tourterelles, picorant ta clope sur ta balancelle enfumée. J’ai entendu ces aristocrates te réciter quelques madrigaux ; j’ai entendu ces noblaillons vantant pêche, chasse et belles autos ; j’ai entendu leurs tours de magie, leurs coups de sang, leurs niaises hémorragies, pour sortir du rang. Tous piégés dans le nuage laiteux, l’unisson semblait vôtre, dans l’air brumeux…

J’ai vu ton théâtre, le lever du rideau et tes figurants blanchâtres ; sur la scène, tu étais la reine du spectacle. Debout, sur le piédestal du paillasson de l’entrée, inaccessible, tu piétinais en domptant la fumée dans ta bouche ; tes tours de langue, comme autant de tours de séduction, lancés à la figure de ces matamores, étaient le prélude à d’autres assauts campagnards. Maquillée de superbe, généreuse, tu applaudissais avec tes sourcils ; amusée, tu acquiesçais avec des moues ; déçue, tu réfutais avec des grimaces ou, désabusée, en regardant le ciel…  

A l’allant de leurs superproductions, tu étais héroïne de film, courageuse ou naufrageuse, volontaire ou exemplaire, casanière ou carnassière. Plus leurs tirades étaient enthousiastes, plus ils escaladaient tes barricades, plus ils s’enhardissaient, ces cinéastes ! Ils jouaient les banquiers pour te délivrer leur meilleur cachet ! Au comptoir du délire, ils peaufinaient tes rires ! Et toi, farouche, apprivoisée, garce et charmée, tu y prenais goût. Dans le filtre de ta cigarette, tu jetais tes sorts…  
Au milieu de tous ces serviles, princesse caprice, enrobée d’artifices tellement volatils, tu arrondissais encore la bouche et ta fumée s’enroulait dans leurs mensonges.
Implacable maîtresse, indulgente traîtresse, d’un revers de lassitude ou d’un coup de talon, tu taisais ces fieffés fanfarons. Un instant, leurs fragrances opalines se fanaient dans la faune nicotine…  
Alors, à la nouvelle goulée, ces mauvais ténors au barreau de leurs mégots revisitaient leurs plaidoyers de gentillâtres ; un instant, fumigène, le silence avait des parfums de Marlboro qu’on oublie de griller. Ces princes de l’arrogance, ces hypocrites insolents, ces chasseurs de frime, ils revenaient en farces et en faconde. Comme une nébuleuse  invite, envoûtante et soumise, ta fumée contondante dansait avec la leur…  

Au diable tous ces fumistes, tous ces misogynes pervers ! Que savent-ils de l’Amour, tous ces orateurs précoces ? Ne peut-on enfumer un cœur qu’avec des mensonges de mégoteur ? Que connaissent-ils de l’Amour, tous ces pseudo troubadours ? Pilleuse de mes sentiments ! Déraison superbe ! Parc d’attractions de mon âme ! Nymphe macrophage de mon cœur ! « Cartomanchienne » de mon avenir tellement compromis ! Moi, je voulais tuer toutes ces bouches en cœur, ces matamores de récréation, ces confectionneurs de cancer, ces charmeurs de vipères !...  

Baratineurs, ils retournaient à leurs complaisants messages d’entremetteurs ; encore, ils t’enlaçaient avec des quolibets colifichets ; encore, ils œuvraient en chœur devant tes soupirs nullement effarouchés ! Ces « guignolos », ils fourbissaient leurs adjectifs en couleur, leurs comparaisons brillantes, leurs métaphores à la Rimbaud ! Et plus leurs fariboles étaient fantastiques, fausse affranchie mais vraie vulgaire, tu y trouvais un plaisir quasiment orgasmique !...  

Pour faire diversion, calmer l’intempérance, tu rattrapais une mèche de tes cheveux, tu regardais les pointes et tu la rangeais derrière l’oreille. Pendant leurs salades musiciennes, comme un bémol parfois tu reniflais ; comme un dièse, parfois ton œil pleurait à cause d’un nuage de fumée ; comme un soupir, parfois tu allais cueillir une pépite de tabac posée sur ta langue. Sous le joug de leurs blagues graveleuses, tu avalais la fumée en regardant l’heure et tu comptais tes dernières secondes de liberté. Actrice, tu souriais en décalé comme si tes pensées ne voulaient pas traduire en images leurs salaces plaisanteries. Et quand tu riais, toute la cendre de leurs clopes tombait en même temps… à tes pieds…   

Ultime supplice, fidèle actrice, jusqu’à la lie, jusqu’au dernier maléfice, tu embrassais la fin de ta cigarette ; en apnée avec sa fumée, tu regardais crépiter ses derniers rougeoiements et, au mesquin cendrier, tu écrasais ton mégot comme on se débarrasse de l’amoureux transi… caché derrière son rideau…  


Publicité
Commentaires
B
on ne regrette jamais de passer par ici cher Pascal <br /> <br /> tu écris si bien que c'est un plaisir de te lire chaque semaine <br /> <br /> Merci et Bravo Pascal
Répondre
T
Quand l'amertume et la colère peignent un tableau de maître...<br /> <br /> <br /> <br /> Suis venue le relire <br /> <br /> pour mon plus grand plaisir. ;-)
Répondre
J
La vie est une jungle. On peut dire plein de choses de Jane mais si toi Tarzan, toi beaucoup de vocabulaire et de style pour jouer la carte de ta séduction ! ;-)
Répondre
J
Jeune ou vieux, laid ou beau, teint vermeil ou teint blême, Anglais, Français, païen ou chrétien, - chacun aime au moins dans sa vie une fois. - Théophile Gautier<br /> <br /> <br /> <br /> Et devant un beau texte comme le tien où tu maîtrises les rythmes du poète, on peut aimer plusieurs fois.<br /> <br /> <br /> <br /> Très réussi, ton texte, Pascal !
Répondre
E
Palsambleu ! Quelle envolée vocabularistique ! :)
Répondre
J
Elle ne se mouchet pas du coude avec des amateurs de briquet Dupont..<br /> <br /> <br /> <br /> Dieu qu'il s'en passe dans un espace tabagique! <br /> <br /> <br /> <br /> et quelle belle image de l'apnée avec la fumée!
Répondre
W
Elle ne mégote pas la gamine !
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité