Ma reine (Pascal)
Ha, ma reine… Tu peux te ceindre avec tes restes de charme, le poids de ta couronne est le poids de toute mon hypocrisie ; la brillance de ces diamants est l’éclat de mes silences ; la couleur de ces pierres est la pâleur de mes sournoiseries.
Ha, ma reine… Si j’additionnais toutes les secondes, toutes les minutes, toutes les heures, tous les jours, tous les ans, tout ce temps de reconquête, pour avoir les seules faveurs de ton entrecuisse autorisée…
Au garde-à-vous du samedi soir prometteur, dans notre maison bleue, combien de fois, dans la journée propice, ai-je lavé la bagnole, tenu avec brio les manettes du barbecue, échangé des propos affables avec tes invités, débarrassé la table, amusé les gosses, sorti le chien, fait la vaisselle, les courses, le ménage, etc, avant de subir ton mal de tête, comme une nouvelle Bérézina ? Combien de fois ai-je bu pour taire ma dépendance, pour m’obliger à ne voir, dans ton approximative silhouette, qu’une sirène aux gestes alanguis, en noyant d’alcool ce présent sans falbala ? Combien de fois ai-je été affabulateur, dompteur d’ours, protecteur, charmeur, piètre romantique cherchant ses rimes niaises avec : « tu baises ? », miroir captieux pour mentir que tu es toujours la plus belle, et tous ces costumes de cirque dont je m’affublais pour être au plus près de ton présent et de mes augures ? Combien de fois ai-je mis de l’eau dans mon vin, ai-je tu mes réflexions, me suis-je éloigné de ce que j’étais vraiment pour satisfaire encore et encore mes bas instincts de reproducteur ?...
Ma reine, seul comptait l’écartement de tes cuisses. Je t’aimais grandeur nature ; je voulais seulement te culbuter, c’était ma passion. Je voulais que tu transpires, que tu râles du Bonheur, celui dont j’étais le seul détenteur ; toi, tu voulais des enfants, c’était notre deal. Moi, je voulais des frissons sur ta peau, ceux qui engendraient des griffures sur la mienne comme des belles décorations d’amant généreux ; toi, tu demandais grâce parce que ci, parce que ça, parce que les voisins, parce que demain, parce qu’il faut être sage, etc. Jamais je n’étais essoufflé, j’aurais reculé la nuit et ses frimas pour qu’on dure éternellement ; je murmurais : « encore », tu disais : « on dort »…
Commandé par je ne sais quel démon de séduction, si tu savais tous les plans de comète que j’ai montés, toutes les ruses que j’ai utilisées, tous les mensonges que j’ai déployés pour arriver à mes fins. Comme un chien léchant sa maîtresse, tes maux d’orgasme étaient ma seule récompense. Avec toi, j’ai dû affronter les affres de l’Amour et ses armées de tourments ; j’ai dû patienter devant les grimaces revenantes de tes simagrées ; j’ai dû dormir et redormir devant ta porte ; j’ai dû rêver de femmes bien plus évanescentes que toi ; j’ai dû te tromper mille fois sans jamais franchir le pas…
Et toutes ces bouteilles de champagne entamées, sans une seule caresse pour n’avoir jamais envie de les reboucher, et tous ces restaurants au guide Michelin pour tenter de nous retrouver main dans la main, et tous ces bouquets de fleurs, comme des ornements de séduction bariolés, aux parfums envoûtants et toutes ces vacances, au bord de mer, que le seul plaisir voyeur de te voir changer de maillot de bain…
Ha, ma reine…. Fallait-il que je sois tellement sourd pour n’écouter que tes discours ? Ta voix avait-elle tant de pouvoir pour que je remette à d’autres calendes le plaisir de nos gymnastiques de plumard ? Tes calculs savants étaient mes erreurs de géomètre, tes « non » revenants étaient mes contretemps, tes pas de côté, tes dérobades, étaient ta danse de l’esquive ; tes couleurs du temps devenaient mes réalités d’impressionniste sans talent. Combien de fois, enfermé dans ta camisole, ai-je espéré reprendre Arcole ?...
Ha, ma reine… Fallait-il que je sois tellement aveugle pour ne voir en toi que la génération suivante ? Mes seules empreintes sur cette terre sont ces enfants que nous avons eus ; je ne sais pas si je dois être fier de ces gamins qui pianotent sur leurs portables, qui fument des joints et qui discutent de leur prochain tatouage. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume de la descendance. Il me semble que j’ai été berné par dame Nature, qu’elle m’a baladé par le bout du… nez, alors que je croyais être devenu le grand patriarche des années futures…
Ha, ma reine… Hier, ébloui, subjugué, irradié, dompté, aujourd’hui, je ne vois dans tes yeux que le poids des ans, l’insomnie habituelle, le hasard des plats réchauffés et les feuilletons insipides de la télé. Quand je parle de nous, je parle à l’imparfait ; c’est le seul temps qui sied le mieux à notre banale vie privée. La plume d’oie s’est envolée, l’encrier s’est tari ; les arbres ont grandi, j’ai rapetissé ; le soleil est éblouissant, je ferme les yeux. Dans mon slip, il n’y a plus de feux d’artifice ; dans ta culotte, il n’y a plus le ciel bleu ardoise pour les magnifier. Si un jour, tu as envie, va faire un tour dans le Grenier des Anges parce qu’à cette heure de défaite, ma tête est plus irriguée que mon sexe. Je suis prisonnier dans ce temps morbide, handicapé du cœur, indigent des gestes de tendresse, seulement troublé entre l’ennui oppressant et le désespoir de tout ce que j’ai manqué…
Avec tout ce temps cavalier, avec toute cette peine de hussard, à l’assaut trop souvent vain de tes barricades, j’aurais pu faire le tour du monde, grimper sur la plus haute montagne et descendre dans les plus profonds abysses. J’aurais pu rencontrer la rigueur des hivers polaires, goûter les plats les plus exotiques, visiter des palais de glace, courir sur la ligne de l’équateur, dormir sous des aurores boréales, compter les orangers d’Irlande, traverser l’Atlantique, découvrir l’hémisphère sud, aux seuls alizés de mes soupirs heureux et tout recommencer, sans jamais le devoir à personne…
Pascal.
Bonne Année à toute l’équipe du Défi et à tous les défiants.