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Le défi du samedi
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10 décembre 2016

Papou est dans sa bulle (EnlumériA)

 

     J’avais laissé tomber l’écriture. Comme ça, brutalement. Je m’attendais à ce que ça fasse du bruit, mais rien. Même pas le son étouffé d’une charentaise qu’on laisse choir sur la descente de lit certains soirs de lassitude. J’allais écrire de solitude. C’est un peu pareil vous savez ; on s’enferme dans un quant-à-soi d’un goût discutable, une sorte d’amertume saumâtre, épaisse, sans lendemain.

     Vos proches s’interrogent, s’inquiètent, s’interpellent. Qu’est-ce qu’il a Papou ? Papou, c’est comme ça que mes petits-enfants m’appellent. Depuis, ça a fait boule de neige, mais sans la Tour Eiffel, ni le Sacré-Cœur. Alors tout le monde m’appellent Papou. Il y eut deux ou trois haussements d’épaules désabusées, quelques moues blasées. Un silence émoussé.

     « Tu sais, Papou, il est dans sa bulle. Il est comme ça Papou, il a toujours été comme ça enfermé dans son monde bipolaire désenchanté. »

     Je ne jouais même plus de guitare. Ça a suscité d’autres haussements d’épaules et d’autres moues sans conviction. Des chuchotements feutrés.

     « Qu’est-ce qu’il a Papou ? Il n’est pas comme d’habitude. D’habitude, sa bulle est perméable, poreuse juste ce qu’il faut. Il laisse passer des choses de part et d’autre de la paroi de cristal qui l’enveloppe. Mais maintenant, le cristal s’est transformé en plomb. C’en est un drôle d’alchimiste ce Papou. Le seul et unique hermétiste à transformer le cristal en plomb. »

     Pour résumer, ça jasait pas mal, ça renâclait dans l’arrière-cuisine. À un tel point que les fours et les plaques de cuisson se sont retrouvées en surchauffe et que la bulle de plomb a fondu. Alors tout ce vacarme est parvenu aux oreilles de Papou. Un peu comme une casse d’imprimeur qu’on jetterait dans un escalier métallique.

     Et Papou s’est réveillé. Il a jeté un œil hors de sa bulle redevenue translucide et éthérée comme une bulle de savon. Et selon les lois des enchaînements des causes et des effets, Papou a rouvert sa messagerie et il est tombé sur un message de Katy, son amie de Nancy.

     C’est là que le miracle a eu lieu. Katy lui rappelait gentiment mais fermement que son blog était en panne comme un vieux tracteur perclus de cambouis ; elle racontait aussi sa frustration déception de ne plus lire les incroyables fariboles qui s’écoulaient de son esprit disjoncté de maniaco-dépressif. « Mais qu’est-ce que tu fiches ? Tu dois écrire. Tu es fait pour ça ! »

     Tiens ! Si elle avait été fantôme, elle serait venue hanter mes nuits, martyriser mes orteils et me planter des plumes d’oie sous les ongles. À l’instar de l’archange Gabriel ordonnant à Mahomet : « Lit ! » Katy injonctait : « Écrit ! ».

     Eh bien, vous me croirez si vous voulez — d’ailleurs vous n’avez aucun choix en cette matière — Papou s’est dit qu’elle avait peut-être raison Katy de Nancy. Il a ressorti sa plus belle plume et s’est empressé de détruire méthodiquement sa bulle en picorant de petits bouts de mots et de phrases çà et là sur la membrane tremblotante et savonneuse. Un picot, un mot, trois picots, une phrase. Le temps de relancer la machine à développer les mythomanies sélectives du vieux barbu. Recommencer à écrire quand on a laissé retomber le soufflet, c’est un peu comme redémarrer un vieux moteur diésel d’avant-guerre. Ça fume, ça grogne, ça bégaye. On a l’impression que le robinet est définitivement grippé, que la rouille liquide qui s’en écoule ne s’éclaircira jamais. Et puis la rouille se métamorphose en pur cristal. Et petit à petit, en catimini, la magie revient. Papou éteint la télé et allume sa lampe de bureau. Il règle son siège, place ses doigts de musicien au dessus du clavier et tambourine, tambourine encore. En fond sonore, Agnès Obel lui susurre des encouragements du bout de son piano. Les mots arrivent d’abord timidement, presque à reculons, puis un troupeau se forme, s’avance plus franchement et on se dit qu’on ne va pas tarder à lâcher les éléphants-phares.

     La bulle est brisée. Fin de la saison un. La saison deux entre en piste.

     Tiens ! Si je réaccordais mes guitares ?

 

Évreux, 08 décembre 2016.

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Commentaires
M
« Mais qu’est-ce que tu fiches ? Tu dois écrire. Tu es fait pour ça ! » <br /> <br /> Bien vrai!
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T
Il a très bien fait, Papou, de sortir de sa bulle. Sinon on aurait passé à côté d'une merveilleuse histoire. Bravo à Katy pour avoir su le convaincre. Cette histoire ressemble étrangement à la mienne puisque c'est à Pascal que je dois d'être parmi vous. Moi qui ne trouvais plus rien à écrire, il a en effet insisté tant et bien que j'ai fini par me lancer
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P
Lecture très sympathique; la muse a aiguisé ta plume pour notre plus grand plaisir.
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J
Ah Sainte Katy qu’elle briseuse de bulle ! <br /> <br /> :):):)
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K
de rien ma Bongopinot et au plaisir de te revoir sur Nancy bisousssssssss
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B
très bonne idée accorde donc tes guitares pour nous jouer un petit air une prochaine fois <br /> <br /> Un magnifique texte EnlumeriA <br /> <br /> Merci pour ce moment de douceur et d'émotion <br /> <br /> Merci à toi et à Katy de Nancy
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W
Quelle audace, cette Katy ! Est-ce qu'on lui demande où elle es partie en mars, nous ? ;-)
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V
Papou reprend du service! On n'a pas fini d'entendre Agnès Obel en fond sonore...
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K
je trouve que tu as bien fait ! car non seulement c'est TRES bien écrit , mais ça me fait un GRAND plaisir Papou...maintenant que notre STANISLAS est dans sa bulle c'est toi qui sort de la tienne !! yes !♪♪♫♫ bisouss
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