Sachs (Thérèse)
Nous avions perdu depuis peu notre belle "Gypsie", une croisée Labrador-Groenendael et j'avais trop de chagrin pour penser adopter un nouveau chien. Cependant le destin en décida autrement.
Ma belle-sœur, atteinte d'une leucémie, venait de nous quitter à l'âge de 28 ans en laissant son fils et son ami, complètement désemparés. Celui-ci appela un jour mon mari pour lui dire en ces termes : « Tu veux un chien ? Je me débarrasse du mien. Je n'ai pas le temps de m'en occuper. Si tu n'en veux pas, je lui fous un coup de fusil. »
La question était réglée : nous ne pouvions pas laisser commettre un pareil acte. Enfermé dans un étroit chenil, le chien vivait dans ses déjections, à tourner en rond continuellement. Nous avons d'ailleurs dû le laver à plusieurs reprises pour le rendre plus présentable.
C'était un grand Labrador noir qui avait pour nom Sachs. Je me suis dit « Quelle drôle de nom ! », mais nous n'allions pas le changer, il avait déjà un an passé.
A l'époque nous entretenions notre jardin dans des plates-bandes de légumes bien ordonnées et quand je me mettais à en désherber les routes il me suivait, tout heureux. Je lui avais appris à rester dans l'allée pour qu'il ne vienne pas piétiner dans les semis. Pourtant, quand il me voyait, le dos courbé, arracher les mauvaises herbes, il ne pouvait s'empêcher de venir à mes côtés pour gratter la terre. J'avais l'impression qu'il me disait « Tu vois, je t'aide ! »
L'été, c'était vraiment trop drôle. Quand je cueillais les cerises, il fallait que je fasse attention car il me rejoignait pour attraper les grappes sur les branches basses. Ensuite, consciencieusement, il se délectait avec, allant même jusqu'à croquer les noyaux.
Pour les groseilles, les prunes et ensuite les pommes, il recommençait son manège à chaque fois. Tant que je ne me préoccupais pas de leur cueillette, il ne s'y intéressait pas outre mesure. Il suffisait que j'en commence la récolte pour qu'il vienne… m'aider. Oui les groseilles et aussi les framboises, je m'en souviens encore aujourd'hui. Il fallait le voir grappiller ces minuscules fruits en les prenant délicatement du bout des dents… Je me dis maintenant que j'aurais dû prendre des photos à l'époque tellement c'était drôle.
Ce chien était extraordinaire. Il mangeait tout et n'importe quoi. Quand l'heure venait d'arracher les légumes, il fallait que je le surveille du coin de l’œil pour qu'il ne disperse pas notre récolte à travers tout le potager. Quand il me voyait faire, la bêche à la main, il venait près de moi, attendait patiemment et hop, se dépêchait de commettre son larcin. Combien de fois l'ai-je surpris à me voler une carotte ou un poireau fraîchement sortis de terre ! Combien de fois l'ai-je réprimandé pour une touffe d’échalotes dérobée ! Mais aussi combien de fois j'ai pu rire de le contempler en train de déchiqueter un oignon ou le dit poireau et finalement de le manger ! Quand il s'agissait des pommes de terre, il lui arrivait de venir tirer sur la tige alors que je soulevais le pied avec la fourche-bêche. Ou bien il dégrattait comme un fou à la recherche de pommes de terre oubliées dans le sol.
Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai appris un fait bien étrange sur la vie de ce chien. Sa première maîtresse s'étant suicidée, il avait été donné à ma belle-sœur. Elle-même, à son tour, étant décédée, ce fut donc mon mari qui le récupéra. Trois ans plus tard, il mourait lui aussi des suites d'une longue maladie. Trois maîtres, trois décès…
Ce chien, je l'ai aimé jusqu'à ce jour funeste où j'ai dû faire en sorte d'abréger ses souffrances. Il allait avoir quatorze ans.