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Le défi du samedi
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10 septembre 2016

Les roses de l’automne (Pascal)


Mon Amour, l’été s’enfuit. Les jours fastes raccourcissent comme s’ils allaient ailleurs préparer leurs festivités de belle clarté. C’est désespérant de rester là, planté sur le bête quai de l’Automne, sans le pouvoir d’embarquer sur les ailes brûlantes d’un autre été prometteur. C’est tellement frustrant d’encaisser cette lente dégradation d’arrière-saison ; accompagnant, misérable, solitaire, il me semble dépérir en même temps que les jours.
L’automne infernal m’entraîne dans sa mélancolie pastorale ; la sève tiède de mes veines n’irrigue plus mes ambitions, jadis souveraines…  

Le soleil n’a plus sa splendeur d’antan ; il se lève tard et se couche de plus en plus tôt. Hypocrite, il peut bien réchauffer la journée, dresser les ombres, ou faire briller les voitures, pendant des serpentins de retour de vacances, il n’a plus le pouvoir de subjuguer à l’optimisme les perspectives de l’avenir.
On a pendu au clou les épuisettes, les chapeaux de paille ont retrouvé leurs étagères, les boules de pétanque rêvent de carreaux jusqu’à l’année prochaine ; les villégiatures sont dans l’album photos, leurs souvenirs se sacralisent, les bronzages s’éclaircissent,  mais il reste encore un peu de plage dans les souliers…  

L’été bat en retraite et l’Automne ambitieux affiche ses prétentions de courtisan de l’année. Ses fanfreluches déployées, ses guirlandes aux truculents pastels, ses parfums surannés, ses pots-pourris bariolés, ses patchworks défraîchis, enrubannés dans la brume fuligineuse, mystifient les paysages et ceux qui les admirent. Ses armadas de nuages croisent maintenant dans l’azur ; les vents se les disputent. Un temps, ils s’accrochent aux clochers des villages, un autre, ils s’écharpent en procession jusque dans la vallée du Rhône, un autre encore, ils relâchent au-dessus du Vercors…  

Mon Amour, les fleurs lassées se fanent au bout de mes impressions moroses ; il ne me reste que le souvenir flou de leurs feux d’artifices multicolores. Ici, l’implacable guerre de l’Eté a brûlé notre campagne ; si les jets « s’arc-en-ciel », l’arrosage se perd en crachotements incolores dans les maïs desséchés. Là, j’ai vu des hirondelles alignées sur les fils électriques, j’ai vu des troupes de moineaux n’ayant plus rien à chanter, j’ai vu des tourterelles séparées, j’ai vu des merles sans une ritournelle à siffler…  

Dans les rues de notre Romans, courent déjà des feuilles de platane mâchurées ; les trottoirs se rouillent, les caniveaux se roussissent, les boulevards s’ocrent de frémissements poussiéreux. Les confettis jaunis des feuilles d’acacia se préparent au sacre de l’automne. L’Isère, libérée du joug de Pizançon, coule en jade comme si elle voulait se noyer à la mer dans ses plus beaux atours ; les arches du Pont Vieux se reflètent en mille tressaillements pierreux et Saint Barnard y projette ses meilleurs effets moyenâgeux ; dans les remous ombreux, on peut apercevoir des chimères déguisées en châtelaines offrant leurs mouchoirs immaculés à des preux jouteurs de foire. Là-haut, le Pré de Cinq Sous s’embrume lentement entre verdure décatie et frondaisons cuivrées.
Nos collines alentour se renardent avec leurs fourrures safranées ; des labours récents, on ressent les frissons de la terre. Tu sais, les feuilles des cerisiers se racornissent ; elles s’enroulent sur elles-mêmes comme si une chenille automnale y préparait son cocon d’hiver. Avec l’aiguail de l’aube, ici et là, on devine les œuvres tissées des épeires ; l’envers du décor se découvre, le revers de la médaille se réverbère en vieux bronze et l’année se délite ; elle glisse entre ses jours au sablier du Temps…  

J’aimerais tellement retenir cette lente déliquescence, crier : « Stop ! Cessez le feu ! Arrêtez le massacre !... » Mais non, comme une armée sans ennemi, l’Inexorable est en marche. A coups de présent, nous sommes tous bousculés dans un futur qui nous rend vieux ; il faut bien que les enfants grandissent, que les grands-parents s’admettent et que les dates d’anniversaire s’enflamment de leurs bougies les plus enthousiastes…  

Pourtant, le refrain du Temps a quelque chose de mensonger ; rien n’est pareil, tout est poudre aux yeux ; le film d’animation a ses pantins inconscients en goguette mais les crayons de couleur ont mauvaise mine. Voyageur halluciné, je suis dans la toupie et le défilé des paysages saisonniers s’emballe ; il me semble m’accrocher aux décors pour ne pas en tomber. Chaque saison gouvernante fait son deuil de la précédente en clamant haut et fort ses armoiries bigarrées ; à chaque équinoxe, j’assiste impuissant aux funérailles obsédantes de ses couleurs finissantes…  

Hier, des rhumatismes m’ont réveillé ; chaque début d’été, je les oublie mais chaque automne sonnant, ils se rappellent à moi. Ils deviennent de plus en plus pressants comme si l’été devenait de plus en plus court et que l’hiver durait de plus en plus longtemps. Les enfants ont repris le chemin de l’école ; accrochés à la main de leur maman, il fallait les voir parader avec leurs cartables tout neufs ! La cour de récré a repris ses chansons de cordes à sauter et ses péremptoires coups de sifflet organisent les heures juvéniles. Dans les bars, on parle des champignons, de la chasse, de la Foire, comme si on voulait se cantonner à l’immédiat pour ne pas sombrer dans la mélancolie…

Ce qui était éblouissant se regarde maintenant dans les yeux ; ce qui était enivrant n’est qu’ordinaire ; ce qui était fantastique, impétueux, sauvage, n’est plus qu’impressions de vingtenaire. Aux étalages de la Nature, ce qui était bleu sans partage est devenu saphir ; ce qui était rouge empourpré se distingue rubis ; ce qui était vert fluorescent se découvre émeraude. Mon Amour, les nuages s’épaississent encore ; leurs boursouflures ont des volumes de statues adipeuses et le soleil les colorise en clair et en obscur au cinéma muet de mes impressions désenchantées. La nuit, la Grande Ourse butine le miel du firmament ; Arcturus déserte doucement son emplacement estival et Spica la remplace au zénith avec ses brillances inaltérables. Mon Amour, au jardin, les dernières tomates n’en finissent plus de mûrir et les premiers bourgeons des roses de l’automne se parent de la rosée du petit matin froid…  

Hé bien, voilà une bonne chose de faite ; passons maintenant à la déclaration d’impôts…

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Commentaires
P
Merci pour vos commentaires sympas.
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T
Merci Pascal pour ce grand moment de pure nostalgie ! On ne peut que rester bouche bée devant une œuvre aussi belle et parfaite..
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B
Tout a été dit ! mon amour tout est dit !
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J
Cette lecture était captivante si bien écrite, et puis boum ! tu nous fait chuter dans la cruauté de la réalité c’est vraiment dur pour nous ! d’autant plus que nous l’avions pas vue venir celle-ci partageant avec plaisir tes vacances <br /> <br /> <br /> <br /> Bien sur chaque chose en son temps , mais la première partie on en redemande , même si le percepteur désire ardemment la deuxième
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M
Je suis muet devant une telle habileté à décrire le passage des saisons et du temps. <br /> <br /> Et que dire de: "mais il reste encore un peu de plage dans les souliers… "
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B
super vraiment magnifique même ; tu as gagné je suis triste que l'été nous quitte mais heureuse que tu sois parmi nous pour nous faire partager tout ton merveilleux talent d'écrivain <br /> <br /> Bravo et grand Merci Pascal
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W
Ouais, la déclaration d'impôts, ça au moins c'est enthousiasmant !
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B
Texte magnifique, bien écrit, plein de superbes trouvailles comme "la sève tiède dans mes veines", bravo!<br /> <br /> <br /> <br /> Alain André.
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J
Même la blague de la fin ne fera pas oublier tes beaux mots d'adieux à l'été !!
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