Ah mais, je la connais cette gamine ! (Walrus)
Elle s'appelle Carmen et jette des fleurs à ses victimes...
Elle s'appelle Carmen et jette des fleurs à ses victimes...
Ma vie avait mal commencé. Très mal. Mais j'ai eu de la chance, beaucoup de chance.
Alors, j'ai oublié les cris et les colères qui lacéraient mon visage.
Les rires et les sourires sont devenus mes compagnons. L'école était un lieu de rencontres et d'ouverture et de satisfactions.
Le collège, le lycée, la fac...Tout s'enchaînait naturellement. J'ai fait la connaissance de Julie. Une fille merveilleuse. J'en étais certain. Le bonheur était acquis.
Mais il a suffi d'une seule soirée, d'une rencontre, d'un verre de trop. Ma vie fut brisée. Net.
Julie a refusé de comprendre ou d'excuser. Au petit matin, elle est partie. Je ne me doutais de rien.
Dès le lendemain, j'ai commencé à avoir la tête à l'envers. Après le travail, je rentrais à la maison puis ressortait aussitôt. Je ne supportais pas le silence et l'absence qui m'accusaient implacablement. Les virées dévoraient mes heures de sommeil. Mon travail s'en ressentit. Une première erreur. Excusée. Une seconde. Je fus licencié. Une pente dangereuse se profilait….
Je dus puiser dans mes économies. Ce fut un premier signal. J'échangeai mes virées avinées contre de longues balades dans la ville. J'observais ce long ruban d'humains aux différentes heures du jour et de la nuit. Mon œil se prit au jeu, il captait les regards, décryptait les poses et postures, décodait les gestes anodins….Lorsque je rentrais chez moi, j'inventais mon spectacle, je ciselais des dialogues incandescents, des répartie fulgurantes. Je l'avoue, cela a été salutaire pour mettre à jour ma part d'ombre.
Chez le boulanger du coin, mon regard fut attiré par une affiche. Je notai le lieu et l'heure. Et j'attendis avec impatience….Je fus enchanté, émerveillé.
Une rencontre avec les artistes était prévue après la représentation. Je m'y attardai et cela m'ouvrit de nouveaux horizons.
Je fis quelques achats et préparatifs, quelques séances devant la porte vitrée. Après trois semaines, j'estimai que j'étais prêt.
Le soir venu, je me rendis près du mur de pierres blanches. Je déposai mon sac, montai sur un bac de fleurs et pris la pose : jambes écartées, bras repliés en un geste suspendu…
La foule passait, m'ignorait ou m'admirait.
Soudain, mon regard fut attiré par une tache de couleur. Le rouge d'un coquelicot sur une robe blanche. Julie était là, au milieu des passants. Toujours aussi rayonnante. Nos yeux ne se quittaient plus….
Je la vis se pencher gracieusement, puis se relever. Les passants s'écartèrent.
Pas plus haute que trois pommes, elle se campa devant moi. Une mèche brune s'échappait d'un bob planté sur sa tête. Ses yeux me scrutaient, cherchant je ne sais quelle faille.
Elle tendit son bras et m'offrit un coquelicot.
Mon coeur devint fou.
Je descendis de mon piédestal de fortune et m'avançais vers elles….J'en étais certain, la vie allait à nouveau nous sourire, pour l'éternité.
Version 1. … et la vie reprit son cours...
Version 2. … Une moto déboula….
Vous n’allez pas me croire mais… moi aussi j’ai fait la Manche !
Je n’étais pas déguisé comme le gars sur la photo et je ne suis pas resté immobile aussi longtemps que lui mais j’ai quand même écumé toute la côte Ouest cet été !
Le premier jour ça ne m’a rapporté que des coups de soleil sur les orteils ! Ca m’apprendra à jouer les va-nu-pieds !
Avec ce que j’avais amené comme économies personnelles je suis allé à pied de Saint-Jean-de-la-Rivière à Barneville pour m’acheter de quoi me faire, le soir, au camping, des spaghettis aux tomates. Logique, non ?
Le lendemain je me suis dit « Ca va peut-être mieux marcher à Port-Bail. Et justement c’était le jour du marché. Ca faisait un sacré bout de temps que je n’étais pas allé à Port-Bail et ça faisait un bail que je ne m’étais pas rendu au Bhoutan.
Comme le tour de France était passé par ici en juillet, mécaniquement, j’y suis allé à vélo. J’ai fait mon numéro sur le marché mais je n’ai pas réussi à capter… l’attention ni à me joindre, ni roulé en boule, ni assis, ni les deux bouts. Normal : je n’ai pas de téléphone portable et mes fonds – de culotte – sont bas – cela va – de soie.
Alors, comme il y avait un libraire d’occasion je lui ai acheté de la documentation sur la manche. Il vendait justement un bouquin très bien sur le sujet : « Le voyageur des siècles » de Noël-Noël. On y explique comment se vêtir pour passer inaperçu quand on est un homme du XXe siècle et qu’on revient en 1788 pour sauver de la guillotine une dame dont la beauté vous fait perdre la tête. Il m’a suffi de faire l’inverse de ce qui était écrit pour que les gens s’aperçoivent qu’un Gugusse du XVIIIe siècle était arrêté comme une statue au coin de la rue, y faisait son intéressant et mendiait une pièce ou deux, un bon geste en échange d’un bon geste.
Mais bon, sur un marché les gens ne s’arrêtent pas de ne pas s’arrêter sauf chez les commerçants de biens comestibles. Ils vont d’un stand à l’autre pour acheter, chez le poissonnier, sur l’étal, des poissons désarêtés ou, chez l’huîtrier, sur le volet, des huîtres aussi fermées qu’un porte-monnaie. Ils n’avaient pas l’air prétentieux du tout mais c’est comme ça : je vous la baille peut-être belle mais on m’a snobé à Port-Bail. Sans doute que le melon était en promotion ?
J’y suis resté une semaine dans le Cotentin, à vivre en tirant des sous de ma propre cagnotte.
Au Cap de Carteret j’ai failli trouver une explication à mon infortune. Ca ressemble tellement à l’Ecosse, la Normandie, que les gens d’ici sont peut-être devenus aussi radins-rapiats que Mac Assett ou que Rougon-Macquart-Pagon-Coutainville !
Plus haut, à Cherbourg, impossible de faire mon numéro : il y pleuvait tant qu’on ne voyait plus que des parapluies. Alors je suis allé demander de l’aide aux professionnels de l’immobilité au Musée Emmanuel Liais. Ces empa… illés de première se sont bien gardés de me livrer le moindre conseil ! Pis, c’est moi qui ai lâché deux euros pour les voir à l’œuvre dans leur vitrine. Très bien l’immobilité mais faudrait voir à bouger un peu de temps en temps quand même ! Ne serait-ce qu’un faux cil !
On ne gagne décidément rien à quêter ni à enquêter dans ce département. A part Cherbourg, toutes les réputations y sont surfaites ou mensongères. Flamanville, par exemple, on n’y trouve pas un seul Belge ! Vous me direz, à Wallondville non plus mais c’est normal, Wallondville n’existe pas.
Flamanville ce n’est pas non plus la Camargue. La vie n’y est pas rose et le paysage est plutôt morose. On n’y voit aucun EPR : Energumène Particulièrement Rentable.
J’ai quand même poussé jusqu’à Omonville-la-Petite pour interroger le pro de la chasse au bas de laine, M. Jacques Prévert. Manque de bol, il était mort de chez Mort !
Du coup, après cette semaine où j’ai fait la Manche, je suis rentré chez moi et j’ai vu que mon salaire avait été versé sur mon compte. Alors j’ai décidé d’arrêter la mendicité de luxe. L’année prochaine j’irai chiner en Chine. Ou bosser du dos en Beauce.
Voici l'inspiration pour mon texte :
Et voici le texte lui-même...
Le jour se lève à peine
Je suis déjà debout
Et déjà je promène un’ rose devant ma moue
Le café derrière
Les piétons devant
Et le maquillage dont je me sers
M'aident à prendre lentement
Prendre ma place sur le bac à fleurs
À prendre ma place sur le bac à fleurs
J'aimerais que quelqu'un me jette des sous
Mais celle que je viens de choisir
N’a trois fois rien
J’aimerais la voir s'enfuir
Mais je reste prisonnier de mes promesses
À mon public dans la rue
Qui me font figer dans la rue, statue,
Et qui m'obligent
À prendre ma place sur le bac à fleurs
À prendre ma place sur le bac à fleurs
Et quand j’ai mal aux pieds
Quand j'ai envie de faire pipi
J’attends qu’un pigeon vienne
Laisser une crotte sur l’ahuri
Je suis une statue et aussi un pauvre homme
Je ne possède qu’un sac à dos
Je me parfume au regard sur leur pomme
Et j'ai peur de filer un lumbago
Je regarde s'éloigner les rebelles
Et je me sens à l'étroit dans ma peau
Mais j'ai juré sur la loi du show-biz
Que ça vaut un lumbago
Il faut que je prenne ma place sur le bac à fleurs
Faut que je prenne ma place sur le bac à fleurs
Et quand je ne veux parler à personne
Quand j'ai le blues
Je m’habille comme un stupide cowboy
Et je cherche du flouze
Parce que quoi que je dise
Quoique je fasse
Il faut que passent de petites filles
Je suis une statue et aussi un pauvre homme
Je ne possède même pas mes désirs
Je me parfume aux oxydes de carbone
Et j'ai peur de savoir comment je vais finir
Il y a tellement de choses graves
Qui se passent dans mes rues
Que déjà les enfants savent
Qu'il faudra qu'ils s'habituent
À prendre ma place sur le bac à fleurs
À prendre ma place sur le bac à fleurs
Ma place sur le bac à fleurs
NB: Je tiens à remercier plusieurs amis FB
qui sont venus à mon aide pour le vocabulaire - à savoir,
Béatrice, Brigitte, Carole, Fanny, Pascal, Yves et Faute de Pas Mieux -
pour le mot « bac à fleurs »
J’avais abordé cet homme statue, un soir alors qu’il venait de ramasser sa sébile et s’en allait tranquillement vers son logis :
- Bonsoir ! Me permettez-vous quelques questions ?
- Bonsoir, et bien, oui, que voulez vous savoir ?
-Comment tenez-vous immobile aussi longtemps ? Avez-vous un exosquelette sous votre costume ?
-Mais non ! Quelle idée ? Il faut de la concentration mentale, ne penser à rien, et travailler sa respiration, c’est très important, la respiration ; et puis je bouge de temps en temps, je change de position chaque demi-heure, et je cligne des yeux rapidement quand quelqu’un met une pièce dans ma sébile ! Et puis, j’ai de l’expérience, je fais cela depuis vingt ans.
-Vingt ans !!! Je ne vous avais jamais vu ici !
- j’ai beaucoup voyagé : Londres, Rome, Madrid, Barcelone puis ici ; j’aime bien les gens d’ici, ils sont cool, et généreux.
-Vous faites toujours cette statue de pierre ?
-Non, je campe différents personnages, selon les saisons, mes tableaux expriment chacun une histoire différente, un poème, par exemple en ce moment, mon personnage exprime la beauté éphémère, c’est une allégorie du poème de Ronsard : « Mignonne allons voir si la rose… » ! Quatre tableaux par tranche de deux heures, dans le premier je cueille la rose, le deuxième me montre la flairant, le troisième, je l’offre aux passantes, et Le soir, la rose que je tiens est fanée : Je rentre chez moi !
-En effet, on peut y penser, à vous voir avec cette rose, mais, le corps même du texte ne m’était pas apparu clairement ! D’autant que le poème ne parle pas du tout du parfum ni de l’offrande d’une rose mais d’aller voir si elle n’a pas perdu, cette vêprée, les plis de sa robe pourprée !
-En fait, chacun y voit ce qu’il veut, c’est toute la beauté de cette discipline théâtrale : Laisser le spectateur mettre des mots sur la performance de l’artiste. Parce qu’exprimer ce que chacun veut y trouver sans rien faire du tout, c’est une véritable performance !
En d’autres temps, je me serais gaussé de cette fatuité, mais désormais, ayant acquis une étonnante faculté d’indulgence envers mes concitoyens, je ne fis que pouffer !
Je pouffai donc, et lui assénais cette sentencieuse question :
-Tout de même, on peut penser que vous ne vous fatiguez pas beaucoup ?
-N’en croyez rien ! C’est très fatigant de ne pas bouger, c’est épuisant de ne rien faire, très dur : ne rien penser, ne pas parler demande une force de caractère hors du commun !
Je regardai l’homme attentivement : Ainsi grimé, il est vrai qu’il me semblait très… beau…enfin, tout dépend de votre conception de la beauté, n’est-ce pas ? Il me sembla soudain exceptionnel de porter à ce niveau l’art du farniente ( En italien far=faire, niente=rien ), une expression artistique au final assez sublime : cette beauté immobile serait peut—être, me dis-je, une forme d’art en soi ? On a bien eu la toile non peinte, la sculpture non sculptée, nous avons la pièce de théâtre non jouée !
Et puis, il me dit :
-Voir s’allumer les yeux d’une petite fille quand elle me regarde…Ca n’a pas de prix !
Il se prépare pour le boulot
Tabouret, sacoche, casse-croûte
Il sort et passe incognito
Il marche et traverse une route
Il arrive se maquille et voilà
Dans sa main une rose il prend la pose
Une petite fille passe par là
S’arrête leurs regards se croisent
Il ne bouge pas reste de marbre
Il joue l’homme statue
Pour faire rire ou surprendre
C’est ainsi qu’il anime les rues
La petite fille doucement ose un pas
Elle sursaute lorsqu’il lui offre une fleur
Elle attrape la rose et s’en va
Elle se retourne lui sourit de bon cœur
De petits moments de doux bonheur
De surprises de rires et d’applaudissements
Moments de partage et de bonne humeur
Un bel artiste avec son spectacle vivant
Pour rien au monde il ne donnerait sa place
Il donne, n’est pas riche mais reçoit tant
Un saltimbanque qui jamais ne se lasse
Il n’a qu’à regarder les regards des passants.