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Le défi du samedi
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13 août 2016

La porte grillagée (Pascal)


La porte grillagée ? Tu peux la considérer comme la gardienne du Sombre, du Noir, des Ténèbres, de tout ce que tu tais.  Regarde : même l’Ombre fugace s’y réfugie ; elle s’y confine, elle s’y courbe, elle s’y racrapote, sans laisser la moindre trace au dehors. C’est une crypte, c’est ton caveau…

Imagine l’endroit froid, impalpable, nauséabond, invertébré, glissant, entre l’hiver et un faux printemps, une sorte de no man’s land lugubre où se frôlent sans cesse les fantômes de ce que tu refoules au plus profond de toi.

Ce noir, c’est ton reflet le plus sombre, c’est tout ce que tu sais de toi et que tu veux absolument dissimuler au monde. Là, tu y as entreposé tes inhibitions, tes fantasmes les plus malhonnêtes, ton côté nébuleux, tes cauchemars les plus ternes, les plus vils, les plus sales, cette peur irraisonnée qui vient du fond des Ages, ton malaise au quotidien, celui que tu caches sous ton savant masque d’hypocrisie, tout ce dont tu n’es pas fier et que tu veux oublier, tous ces conflits sans issue, toutes ces paix sans drapeau blanc, tous ces malheurs qui s’affichent en rémanence dans ton quotidien médiocre.

Ils sont là, tes revenants, en grappe, en groupe, entassés ; ils se battent à coups de larmoiements, de plaintes, de cris déchirants. Ecoute le bruit infernal de leurs chaînes traînant sur les pierres usées. Sens-tu remonter de ces profondeurs l’odeur du Soufre, la transpiration des Souffrances, les effluves de l’Accablement, la fétidité du vêtement moisi de l’Ignoble ?
Tu pourrais les dresser, tu pourrais leur donner un nom, les habiller en costume de Rancune, en manteau d’Amertume, en parure de Désolation. Tu pourrais les aligner à la parade annuelle des Supplices, les comparer, admettre le plus ténébreux comme le roi des Soupirs Malheureux. Pêle-mêle, tes bassesses, tes mensonges, tes échecs, tes pannes, ta cruauté, tes passions exacerbées, tes péchés mortels, sont là. Qui détient la palme du Mal ? Qui mets-tu sur le piédestal du Tourment ? Ce noir, c’est de la déconfiture au sucre glauque de tes larmes endeuillées. Tu ne peux l’ignorer ; il est comme cette ombre bronzée d’incertitude tout enchifrenée de n’être pas au soleil des réalités. Toutes les portes grillagées que tu visiteras te renverront inexorablement à ton impuissance astrale d’aimer les autres…  

Si cette porte est fermée ? Rien n’est sûr. L’échange avec le Dehors est constant ; le jour, la nuit, le clair, l’obscur, le blanc, le noir, se croisent infiniment. Tu ne peux modifier cet état de transfert ; après les craintes de la Nuit, la charpie des Décombres, le feu du jour éteint perpétuellement les pires Maux…

La fenêtre sur le Ciel ? Ses rideaux bleus sont ouverts. Remarque comme elle est plus petite. Penses-tu que l’on peut mettre la quintessence de tout ce qu’on aime dans une si petite lucarne ? Penses-tu que l’on peut placer tous ses espoirs à la luminosité de cette ambiance tellement azurée ? Regarde ; aujourd’hui, il est cérulescent et magnifique.

Chaque matin, c’est l’avènement du monde et, chanceux, tu es présent au spectacle ; tu sais, on peut tout espérer à l’embrasement nouveau d’un jour fabuleux. Installe-toi dans son créneau et oublie tes blessures. D’abord, tu verras sûrement des avions flécher le ciel avec leurs traits cotonneux, tu regarderas passer des troupes de moineaux piailleurs et furieux, tu assisteras au déploiement des nuages vagabonds, tantôt fuyants, tantôt paresseux. Ce qui est important, ce n’est pas la couleur que tu vois mais c’est celle que tu voudrais y mettre pour fortifier ton paysage à l’allant de tes attentes les plus précieuses. Remarque comme tes yeux sont éblouis par cette immensité insondable.
N’est-ce pas réjouissant d’être seulement présent au Festin de la Vie ? Au bal de la Nature, te voilà le meilleur prétendant à sa Valse sans nulle torture !

Ensuite, dans la Lumière ardente, tu décèles le Courage, la Foi, la Générosité, la Sagesse. Toutes ces valeurs te grandissent et c’est pour cela que tu regardes vers le ciel. C’est rassurant, ces papillotements incessants dans tes pupilles ; ils sertissent ta vision de diamants éclatants ; tu as chaud, tu bronzes de l’intérieur, tes desseins se colorisent, tu brûles d’une Flamme incandescente ; elle prend sa source au plus près de ton âme.
Te voilà enthousiaste ! Il te vient des idées de quête comme des sacerdoces qui auraient pris du retard à cause de ces trains qui emportent dans des impasses, dans des vies parallèles, dans des idées reçues, sans nul exploit que celui de la morosité ! Toute ta vie, si inutile, il te pousse maintenant des ailes ! Tes illusions sont en chair et en os ! Tes rêves se palpent ! Les battements de ton cœur ont des chamades que tu ne peux pas  contrôler ! On dirait que toutes les horloges du monde battent à l’unisson pour te crier qu’il faut aimer la Vie ! Pourtant, c’est déjà le crépuscule et c’est comme ça tous les jours ; implacablement, dans le ciel, la nuit vorace prend la place. Horreur ! La porte grillagée s’est ouverte ! Affamés, les monstres sont dehors ! Ils vont encore se nourrir de toutes tes Faiblesses !...

Mais non, mais non !... Regarde à travers le petit fenestron ! Admire ces blanches  semailles, ces brillances dans le ciel ! La Détresse, c’est Antarès ! Le Délire, c’est Altaïr ! Le Cauchemar, c’est Achernar ! La Colère est Polaire ! Regarde celle-là filer ! Du bout de son aiguille « rabibocheuse », elle reprise le Bien et le Mal aux mêmes scintillations caressantes ! Ouvre grand les yeux, écoute la Voie Lactée, remplis tes poumons d’Humilité ! Sens-tu enfin la Vibration de l’Univers ? C’est le défilé du Grand Chariot, du Dragon, de l’Aigle, du Petit Lion ! Là ! Jupiter ! Cassiopée ! Véga !...

Au bout de la nuit, le jour renaît ; les couleurs s’aiguisent tandis que les frimas cafardeux se remisent derrière la porte grillagée…

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Commentaires
J
Comment s’évader de cet enfer, cette prison où l’on se cache souvent de soi même<br /> <br /> Mais heureusement on ouvre a nouveau les yeux au lever du jour nouveau
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P
Merci pour vos commentaires sympas.
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B
c'est tout simplement splendide Pascal je n'ai pas assez de mots pour te dire que j'admire ton texte si beau<br /> <br /> Chapeau l'artiste<br /> <br /> Merci et Bravo Pascal
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V
ce texte foisonne de tant de richesses poetiques que je reviendrai le lire
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J
Très poétique, Pascal !
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M
C'est vrai que nos textes ont une parenté. Bravo pour ces descriptions bien étoffées.
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J
S'il se passe vraiment tout cela et que cela me concerne réellement, je vais vraiment chercher à localiser cette cabane de douanier à Ploumanac'h. Je me suis promené des dizaines de fois sur ce chemin sans jamais la voir. Cela, joint à ton texte, m'amène à douter fortement de mes perceptions ! ;-)
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W
Les nuits bretonnes sont inspirantes mais dangereuses, même sans forcer sur le chouchen de chez Warenghem.
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