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Le défi du samedi
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28 mai 2016

Le cœur en quarantaine (Pascal)

 
Urgences. « Docteur, docteur ?!... Laissez-moi vous expliquer l’origine de cette heureuse douleur et tous ces symptômes extraordinaires dont je fus subitement accablé !... Ils résonnent encore jusqu’au fond de mes veines…

C’était pendant une réunion de travail ; un gugusse flasque racontait des diapos fades qui défilaient sur un écran froid ; ses explications de contremaître étaient moroses comme s’il ne croyait plus depuis longtemps à tout son laïus de manager. Les stores de la salle étaient abaissés pour permettre une pénombre appropriée à ses tristes images de statistiques. C’était insipide et chiant comme cette petite douleur de poitrine qui me picotait depuis quelques jours…

Tout à coup, il s’est passé un phénomène inouï, inexplicable, incroyable, impensable ! Un véritable coup de poignard ! L’instant d’un soupir d’ennui, un peu plus fort, d’un auditeur, le rideau éteignant la salle s’est furtivement écarté de la fenêtre et je l’ai vue ! Elle était là, à quelques îlots de chaises de la mienne ; une étrange clarté la baignait d’une aura de Sainte et son visage irradiait une Beauté insoutenable ! Je l’ai vue ! Docteur, je l’ai vue comme je vous vois !... C’était un ange inespéré posé là, sur les cheveux blancs de ma vie ! Elle était la quintessence ultime de tout ce que j’ai toujours rêvé !... Moi qui croyais mon cœur à l’abri de tout, qui l’avais mis en quarantaine, qui l’avais pourtant calfeutré dans des habitudes sécurisantes et endormi dans des conclusions sans hardiesse et sans avenir ; moi qui croyais que je n’en avais plus assez, à force de le donner sans jamais le reprendre ; on l’avait tant fendu, tant blessé, tant trompé, tant chaviré, tant ouvert, tant dévasté, tant saigné, tant tordu…

Docteur, docteur !... Il s’est mis à bringuebaler d’une façon totalement anarchique ! J’avais l’impression que mon cœur était plus grand que moi ! Il pouvait battre pour tous les humains de la Terre ! Pire ! Il m’a semblé que tout le monde dans la salle entendait cette furieuse chamade ! Dans la pénombre, je ne savais plus où me mettre et je ne savais plus où j’étais ! Boulot, salle de réunion, diapos, je n’en avais plus rien à foutre !...

Comprenez-vous, docteur ? Tous mes sens étaient à l’unisson mais je ne savais plus rien de l’été, de l’hiver, du jour, de l’heure ! Cupidon, ce petit cabotin de square, ce petit merdeux mal élevé, avait-il vidé son carquois de flèches amoureuses, pile, sur la cible de mon pauvre cœur fatigué ?!... Mais non ! Le Diable et Dieu, réunis aussi en conclave, se jouaient de moi ! Mon cœur brûlait à une flamme gigantesque ! J’avais chaud avec des frissons incontrôlables ! Je ne respirais plus, je soupirais ! Je salivais goulûment comme si je me préparais à la soif d’une traversée de désert ! Non ! Mieux ! Comme si j’aiguisais déjà tous mes meilleurs baisers à la conférence privée d’une future rencontre ! Je serrais les dents en fermant les yeux pour tenter de digérer tout cet afflux d’émotions !...  

Docteur, c’était un véritable flash de junky ! Un acide de première classe ! Une tourmente de Paradis ! Un calme d’Enfers ! La sensation du grand huit avant sa descente ! Les trois cent trente kilomètres heure dans la ligne droite du *Mistral ! La hache du bourreau en plein allant de décapitation ! J’étais pulvérisé, haché menu, concassé, ratatiné, dans un gigantesque maelstrom de sentiments multicolores ! Je baignais dans le blanc, je planais dans l’azur, je dansais sur la plage, je courais dans la verdure ! J’étais un chevalier sans armure ! J’étais Roméo à l’assaut d’une échelle ! J’étais Clyde entrant dans une banque ! J’étais Tristan combattant un géant d’Irlande !...  

Comprenez-vous ?!... C’était un tumulte indescriptible, une déraison passionnelle bien au-delà de toute la bienséance ordinaire ! Je voyais le monde en relief, j’en subodorais l’Absolu, j’en respirais toutes les essences, je repoussais mes dimensions sensorielles aux confins de mon imagination la plus débridée ! Je la croyais à moi…
Tout à coup, j’ai compris l’Immensité de l’Amour, bien plus géant que tout l’Univers, bien plus intense que toutes ses étoiles, bien plus infini que toute l’Eternité ! C’était une gifle extraordinaire tant cette vérité flagrante me sautait à la figure ! J’en avais les larmes aux yeux, à force de distiller tout ce Bonheur débordant ! Chaque battement de mon cœur criait : je l’aime, je l’aime… Je l’aime, je l’aime… Je l’aime, je l’aime…

Je tanguais, docteur ! Tout à l’heure, bêtement assis à attendre la fin de cette réunion, maintenant, je ne tenais plus sur ma misérable chaise de condamné ! J’étais prisonnier dans cette pénombre hostile comme si des menottes enserraient mes poignets et mes chevilles ! Je voulais me libérer de ce carcan de protocole, de ces discussions de fariboles, courir vers cette sublime apparition, la prendre dans mes bras pour avoir la certitude de sa réalité, l’admirer dans les yeux jusqu’à disparaître, noyé au fond de ses pupilles, caresser ses cheveux comme on caresse avec la paume de la main des épis de blé mûr, l’embrasser pour m’enivrer de ses lèvres, et mille autres prétentions d’énamouré en pâmoison !...

Mais oui, j’avais la fièvre, docteur ! Je transpirais de tous mes pores ! Je me consumais d’Amour ! Mon cœur se serrait encore comme s’il voulait essorer mes plus belles pensées ! Je ne savais plus si je devais mourir après avoir découvert tant de Beauté dans ce seul être, ce Graal qu’on ne porte jamais jusqu’à ses lèvres, ou m’acharner à rester en vie pour retrouver un peu de ces infimes sensations dans d’autres quêtes adversaires…  
Pourtant, comme un pantin sans ficelle de gouvernement allié, je défaillais ; il me semblait revenir d’une journée de plage mais j’étais complètement grillé à l’intérieur. Mes gestes devinrent désordonnés, mes prières revinrent sans écho, mes pulsions s’épuisaient ; lentement, je glissais de ma chaise et je gisais maintenant sur le sol, dans une forme d’inconscience organisée… Mon cœur explosé gisait au bord de ma figure et plein de confettis rouges tombaient du ciel comme des oiseaux de mauvais augure. Sur les diapos, Juliette respirait avidement les roses de son balcon, Yseult s’admirait dans une fontaine inexplicable et Bonny nettoyait les tables de la terrasse, au Hargraves Café…  Docteur ! Docteur ?!... »

 

*Au circuit du Castellet. Var.

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Commentaires
M
Quelle histoire!!!
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V
quand un coup de foudre nous terrasse plions bagage il est annonciateur d'orages dévastateurs
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P
Merci Mapnancy.
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M
"C’était un ange inespéré posé là, sur les cheveux blancs de ma vie ! Elle était la quintessence ultime de tout ce que j’ai toujours rêvé " Absolument magnifique !!!!!!
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R
ah heureusement que j'ai lu les commentaires .. j'ai cru que c'était un infarctus .. je manque de romantisme je crois ;-)<br /> <br /> belle journée
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A
Ah oui, belle histoire d'amour...A sens unique?
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J
Coup de foudre chez Powerpoint ?<br /> <br /> C'est dia-positivement bien raconté !
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B
Waouh c'est j'espère du vécu pour être si magistralement conté là . Je n'ai pas de mots assez fort pour te dire mon admiration devant un tel chef-d’œuvre<br /> <br /> Un immense Bravo et Merci pour toute cette beauté Pascal
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W
Il va me filer un infarctus ce mec !
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C
Waouh... quelle histoire! Quel défilement ahurissant....de l'ennui à l'extase pour finir en épave....Un récit au style parfait, au rythme nullement défaillant!<br /> <br /> C'est ça , s'éclater...
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E
Bravo. C'est merveilleusement décrit. Pourvu que ça soit vrai et surtout réciproque. Important la réciprocité dans un coup de foudre, sinon, c'est le monde qui s'écroule.
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J
Malheureux celui ou celle qui n’a pas connu ces affres si bien décrites ici.
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V
Les réunions de travail réservent parfois des surprises
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A
le pauvre homme! faudra lui dire que les médecins ont tout au plus 15 minutes à consacrer à leurs patients ;-)
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J
Description magistrale, est-ce un peu de vécu ?!? Frissons.
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