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Le défi du samedi
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9 avril 2016

Le feu follet (Pascal)


C’est pendant la troisième mi-temps qu’il se déclare en apothéose. Il est alors un feu follet insaisissable. Quand on l’attend du côté des vestiaires, il est au bord du stade ; quand on croit l’avoir vu à la buvette, il discute dans les tribunes avec quelques supporters. Tantôt exubérant, tantôt réservé, il semble mû de part ses seuls instincts d’Amitié. A leur passage, il confesse les joueurs ; disponible à chaque instant, il y partage le bon, ignore l’hypocrisie, recrache le mauvais, en laissant ses empreintes de générosité au monde qui l’entoure ; attachant, il est père pour les uns, ami pour les autres et frère pour le reste.

A sa seule cause d’humanité flagrante, de chacun, il gère le bon et le mauvais, le bien et le mal, la vérité et le mensonge. C’est son affaire, son devoir, son bienfait à l’humanité ; on dirait qu’il s’en occupe, qu’il le distille avec sa foi, qu’il le transforme et qu’il le redistribue sans compter en qualités. Interface entre le staff et les joueurs, il est un baume stimulant, un gourou astringent, un Ami de chaque instant, un directeur de conscience, un soigneur spirituel. Il a ses réponses adaptées pour chacun, il ne blâme jamais et n’a pas de conclusions couperet ; il souffre avec l’un, il rit avec l’autre, il soulage les bobos, il tempère les ego, il détend les atmosphères. Il va de l’un à l’autre en toute liberté, en toute sérénité ; rien ne le commande que son seul allant de philanthropie.

Sans discernement, il profère ses encouragements comme le ferait un prédicateur avec sa bonne parole. D’une façon biblique, il aime son prochain, sans même s’en apercevoir.
Tour à tour entremetteur, confident, compère, confesseur, il rassure, il parlemente, il acquiesce, il admet, il console, il approuve, il défend. Dans son arsenal de Générosité, il a sa caresse dans le dos, sa bise fraternelle, sa chaude poignée de main, sa tape convenue sur l’épaule, son regard amical, celui qui laisse passer tous ses messages, l’embrassade émue, le silence connivent. Oui, Il regarde chacun de ses interlocuteurs dans les yeux et son regard voit bien plus loin que leurs brillements de pupilles.
Confesseur, il cerne les âmes, il en extrait le meilleur ; il est le confident des prières, l’apôtre des messes basses, l’éminence grise des vestiaires. C’est l’impromptu volontaire, le désigné au hasard, mais il est toujours là au bon moment. Enfin, il absout tout avec une bière, un rire, un bon mot, un motus, une clope.

Pitre, il est une entorse saine à l’académisme ; libre comme le vent, il se fout bien de l’empirisme, du protocole et des conventions ; il perçoit à l’instinct, il répond à l’envi, il ose sans façon. Il passe partout ; c’est le sésame des âmes, un courant d’air bienvenu, une solution de désenclavement, un briseur de tensions. Altruiste, opportun, charitable, il est un trait d’union optimiste entre les uns et les autres ; il est un démineur de conflit, un joker contre l’adversité, une entité remarquable. Il fédère, il apaise, il atermoie, il ranime les volontés et les organise dans le même sens ; ses seuls intérêts humanistes débordent pour les  autres. Rebelle et obéissant, clandestin et reconnu, apôtre et assaillant, il va de l’un à l’autre avec la même audace sereine ; il n’appartient à personne mais il se dévoue pour tous.

Comme une pommade d’enchantement, il a un mot d’apaisement pour le blessé, un encouragement pour le vaincu, un conseil pour le promu, un compliment pour le lauréat. Indépendant, réfractaire à toute règle, opposé à toute loi, il a ses tournures de phrase, ses répliques, ses colères utiles. Sous la bannière des damiers, il unifie, il éteint les feux de jalousie, ignore les comportements personnels, prend sous son aile les plus « fragiles » et simplifie la vie de tous.
Sans préjugés, il n’appartient à aucune caste, à aucune famille, à aucune religion, qu’à celle du Rugby ; il discute avec le président de club ou le petit ramasseur de ballon avec la même indulgence, la même verve, la même exaltation.

Pétri de charisme, il n’a de devoirs à rendre à personne, que ceux de l’Amitié et de l’Altruisme qu’il prodigue généreusement à son entourage. Il est là où on ne l’attend pas et absent là où on l’attend. Naturellement, devant lui, les portes s’ouvrent, les visages se détendent, les sourires reviennent ; la vie est forcément plus douce. Il a toujours la réflexion sésame, le mot approprié, la répartie adroite, à l’interlocuteur du moment.
Jamais il ne s’épuise, jamais il ne se lasse, jamais il ne s’éteint. Il est un moulin fédérateur à tous les vents des hypothétiques discordes, à toutes les tourmentes de l’ombrage, et quand ses pales s’emballent, c’est pour moudre l’hostilité en poudre de bienveillance, la méchanceté en humanité, l’opprobre en considération et la tricherie en franchise.

Parfois, il s’ennuie ; comme un lion en cage, il tourne en rond, il tergiverse, il dérange. C’est quand les êtres, qu’il côtoie, ne peuvent digresser à leur bêtise inflexible ; il semble s’user contre ces montagnes rugueuses mais par un de ses stratagèmes, une de ses facéties, une de ses cabrioles d’allocutaire, il amadoue le rocher pour retrouver une terre amicale plus pétrissable. Dans le noir du stade éteint, il est un feu follet brillant et les âmes confiantes viennent se coller contre lui pour retrouver un peu de chaleur humaine. Il est un être extraordinaire, tout en pudeur, tout en contraste, rempli de Charité, et je suis content que la Vie ait pu me le faire rencontrer.  

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Commentaires
B
Quel bonheur de lire chacun de tes mots ; dans ce monde plutôt difficile ces mots apaisent réconfortent voir que de pareils êtres excitent me fait croire en l'humanité<br /> <br /> Bravo et Merci Pascal pour ce texte qui fait énormément de bien
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E
Si, à l'instar de Flaubert, tu lisais ton texte à haute voix dans ton gueuloir, il ne manquerait pas un quidam qui, passant par là, s'exclamerait : " Certes ! Quel moulin à paroles ! " :)
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W
Un brasseur de mots pour un brasseur de vent !
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P
Superbe ! vraiment. Ce "bon" personnage-là est très éloigné de celui du "feu follet" de Drieu la Rochelle et sa rencontre sûrement plus apaisante !... Grand bravo !
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M
Il est un moulin fédérateur à tous les vents des hypothétiques discordes... <br /> <br /> <br /> <br /> Non, mais il fallait la trouver cette expression. Bravo pour cet éloge !!!
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A
Et oui, une bien belle prose poétique. C'est difficile de faire mieux face aux auteurs de cette qualité: Je n'essaie même plus!<br /> <br /> Bravo!
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M
Alors ça c'est vraiment un remarquable portrait d'un " être extraordinaire, tout en pudeur, tout en contraste, rempli de Charité" ! Une très belle amitié " Comme une pommade d’enchantement !"
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C
Et tout à été dit....diantre! Quelle envolée!
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J
Ah, tu as connu Donald Trump ?!? <br /> <br /> <br /> <br /> Oui, non, je plaisante, non, oui, c'est une réponse stupide, mais j'ai la tête un peu partie dans les nimbus ce soir, alors...<br /> <br /> <br /> <br /> J'avoue que j'ai beaucoup aimé les rythmes de ton texte, comme :<br /> <br /> <br /> <br /> « il rassure, il parlemente, il acquiesce, il admet, il console, il approuve, il défend. »
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