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2 avril 2016

LA GRANDE CHAPELLERIE DE TOURNEPELISSE (EnlumériA)

 

Chaque premier dimanche de mai, Tournepelisse organisait sa foire aux chapeaux. Un prétexte pour que les célibataires des environs se rencontrent. Les règles étaient simples. Si un homme rencontrait une femme dont la coiffe complétait son couvre-chef, il devait promettre de l’épouser pour une durée de cinq ans renouvelables.

Or, il y avait en ce temps-là, à Tournepelisse, un mirliflore que la modestie n’étouffait guère.

Il se vantait d’être l’idéal masculin de toutes les belles filles des environs. À l’entendre, aucun cœur féminin ne lui résistait et il expliquait à qui voulait l’entendre que son célibat n’était dû qu’à son extrême exigence. « La plus belle des plus belles m’est réservée de toute éternité, monsieur. Un jour, ma patience sera récompensée. »

Ces messieurs du Café de la Poste s’en gaussaient d’importance, mais le gandin s’en moquait comme de sa première layette. Rira bien qui rira le dernier, chuchotait-il derrière sa lavallière empesée.

Or, il arriva que peu de semaines avant la grande Chapellerie, une nouvelle charcutière ouvrait boutique sur la Grand-Place. « Aux deux cochons », spécialités bretonnes et corses réunies. L’achalandage y était de premier choix, et la patronne d’une amabilité exquise. Bref ! Tout aurait été parfait s’il n’y avait eu ce détail pour le moins troublant, la patronne en personne. Dans tout le pays, les langues se déliaient. La rumeur enflait. De mémoire de tournepelissiens, personne n’avait jamais vu pareil laideron. Comment vous dire ? Comment exprimer cette disgrâce sans tomber dans la calomnie. N’eut été son cœur d’or et l’excellence de son éventaire, la carabosse n’aurait pas tardé à se faire caillasser et chasser du village pour exhibition blasphématoire.

Ma foi ! Toute cette déplorable affaire aurait fini par sombrer dans l’accoutumance sinon l’oubli, si la charcutière ne s’était mise en tête de participer à la Grande Chapellerie dont on célébrait cette année là le centenaire.

Lorsque le fameux dimanche arriva, tous les damoiseaux et damoiselles de dix-sept à soixante-dix-sept commencèrent à déambuler dans les rues de Tournepelisse, se pressant à tous les stands et lorgnant sur les couvre-chefs susceptibles de s’apparenter.

Il arriva donc ce qui devait arriver. Le chapeau de la charcutière ressemblait comme un frère à celui du gandin, qui, constatant le drame, ne savait plus à quel saint se vouer. Alors que la foule en liesse commençait à beugler aux épousailles, un troisième larron se fit connaitre. Ventre saint-gris ! Le larron qui n’était autre que le jeune garde-champêtre tout frais sorti du régiment, arborait lui aussi un chapeau en tout point accommodé à celui du laideron.

On appela le grand jury pour trancher l’affaire, mais le temps que ces messieurs du café de la Poste (car c’était eux) délibèrent, le mirliflore avait remballé sa superbe et pris ses jambes à son cou.

L’on maria donc le garde-champêtre un peu empêtré et bafouillant à la drôlesse qui, sitôt la cérémonie terminée, s’empressa de se décoiffer.

Et là, sous les yeux émerveillés des Tourneplissiens, le masque tomba. Ce fut sous les bravos et sous une pluie de chapeaux que le jeune homme traversa la Grand-Place au bras de la plus belle mariée que le monde n’ait jamais connue.

Quant au mirliflore ? On n’en entendit jamais plus parler.

 

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Commentaires
R
une très jolie revisite des contes de mon enfance !<br /> <br /> on se régale !
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L
Une belle histoire comme on en racontait autrefois au coin du feu, ou l'été sur le banc devant la maison. On la commence, on s'y attache, on se pose des questions et finalement, on est ravis!
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W
Il avait bien remarqué sur l'étal la tête pressée entre deux saindoux, c'était un signe !
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P
C'est un joli conte. Chapeau !
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B
:-D une histoire comme je les aime douce comme un conte de fée et avec une morale qui prouve qu'il ne faut pas se fier à l'apparence <br /> <br /> <br /> <br /> Chapeau et Bravo EnlumeriA
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M
Fort bien écrit et raconté !
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C
La Belle et la Bête, Cendrillon et aujourd'hui, la charcutiere et son chapeau! Un conte à consommer sans modération pour se dire que tout peut arriver....De quoi conforter le crapaud qui se change en Prince charmant....
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J
chapeau bas monsieur le marquis de Carabas
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V
la pluie de chapeau je la vois !!!texte très visuel
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J
Bravisssimo ! Tu confirmes avec la chute finale cette observation de Gustave Flaubert : "Avez vous remarqué ? Toutes les charcutières sont jolies !"
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M
"Pluie de chapeaux " pour ce joli conte tourneplissien !!! :-)
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E
ah la belle et bonne fable ! et quelle ingénieuse proposition que le mariage en CDD ! voila qui éviterait bien des drames
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Y
Un conte de fées comme je les aime !!
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V
Une histoire déjantée avec une chute du masque comme je les aime :)
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J
J'aime beaucoup ton récit fantaisiste, mais tout de même intelligent. Très bien raconté.
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