Chapeau (Pascal)
Eté comme hiver, au bord de la route, flottaient ses rubans et ses dentelles. Les courants d’air des voitures, c’était ses bousculades vulgaires, le long de son talus. Aux véhicules bourdonnants, elle faisait un signe de sa main pétrifiée, un salut. C’était un évènement ordinaire, un simple geste, une douce attitude ritournelle. Elle semblait échappée d’un autre siècle, celui des grands-mères de nos grands-mères. Sur son antique chapeau canotier, voletaient encore une troupe de moineaux effrontés ; on y retrouvait des grandes fougères, une belle poignée de fleurs des champs, surmontée de cerises tout en rougeur, et des bleuets ouverts comme des décorations de sanctuaire. Son visage blanc, insensible aux frimas et aux canicules, aux pluies et aux blizzards, semblait sourire d’une moue inexplicable, tout ce temps incertain d’humeur impavide. J’aimais ce trouble chemin de traverse, ce pied de nez au présent, cet interlude de brouillard. Pendant ces instants de déroute, elle était mon panneau d’Eternité, l’acceptation de mes rides. Sur mon visage fatigué, elle était la contrainte naturelle, la notion du temps passant, l’antidote sans fard. Devant le magasin d’Antiquités, chaque jour passant, devant elle, je laissais l’obole de quelques larmes limpides.