Une fuite d'huile (Joe Krapov)
Extrait du journal intime de Delphine Durand :
C’est devan sette porte que tout a comancé.
C’est devan sette porte que tout a comancé à foarer !
Déjà Madame Rochet (c’est Manman) avait perdu la clé du garage. Monsieur Durand (c’est Papa) a sorti son paspartou, il a crochté la cérure en disant « Sézame ouvre-toi » et la porte s’est ouverte. Mon papa, il pourait être un roi de la kambriole si qu’il voudrait !
Ensuite la berline était pas très belle. Une caisse verte avec des roues jaunes citron. Hiper kitsch, super esbrouffe.
- C’est quand même une six-chevaus, a dit M. Durand (c’est papa). Avec ça on devrait trasser.
Mais le pire c’est quand on a sorti du cofre une robe de Marie-Thérèse (c’est ma sœur) et qu’on a comandé que je l’enfile. Alors j’ai pleuré. Un garson sa s’habille pas en fille quand mème ! Mème pour partir en vacances ! Madame Rochet (Manman) qui fait gouvernante maintenant a dit :
- Un garson sa pleure pas, non plus !
Elle m’a filé deux tartes et j’ai arété de pleuré. J’avais compris qu’il ne fallait pas « tiscuté ».
- A partir de maintenant tu t’apèles Delfine et tu te tais, jawohl ?
Alors j’ai obéi et j’ai fait du boudin pendan tout le voyage vers chez Tonton Léopold.
Quand on part en vacances, dans la famille, on voyage de nuit parce que… « Parce qu’on fa loin et que les enfants torme tans la foiture. Ca fatike moins le cocher et on n’est pas oplichés t’infenter tes cheux à la con pour les okupper ».
Pourtant sette année, même en partant de nuit, Papa et Manman ont mis le paqué, kestion distractions. C’est carément le carnaval !
Louise-Elisabeth, notre gouvernante, c’est déguisé en barone russe ! Madame de Korff qu’on doit l’apelé ! Elle s’y croit un maksimum ! Elle a pris un air pinsé, mis sa plus belle robe et elle a exijé d’avoir la place du milieu dans le sens de la marche « sinon je vomi » ! Bonjour l’anbianse !
Marie-Thérèse et moi nous sommes les filles de la barone. Monsieur Durand (c’est papa) est son valet de chanbre. Tante Elisabète, qu’il faut apeler Rosalie, est la dame de companie de la barone Russkoff. Manman, qu’il faut apeler Madame Rochet, est notre gouvernante. C’est d’un drole, ce jeu !
- On est inconito, nous a espliqué Papa, enfin, M. Durand. Persone doit savoir qu’on va chez Tonton Léopold alors on dit qu’on retourne chez nous à Franquefort.
- C’est quoi alors notre nom ? Korff ou Inconito ? j’ai demender.
- Inconito, sa veut dire ni vu ni connu je t’embrouille » a répondu Marie-Thérèse qui a bien voulu, elle, qu’on la rebatise Marinette.
- Et pourquoi nos domestics ont une livrée jaune aujourd’hui ?
- Ca fait aussi partie de l’inconito.
- C’est très voyant, je trouve, l’inconito.
- Arète de jacacer, Delfine. Il est deux heures du matin. Vous avez le droi de dormire, les enfans.
J’ai fermé les zyeux et j’ai fait çamblan de roupiller. Mais j'ai pas dormi. Trop eksité ! Il y a eu un long silence et puis papa a dit :
- Nous avons déjà une heure et demi de retar sur l’orair prévu. Qu’avé-vous fichu entre minuit dix et 0 h 35 ? On s’est inkiétés !
- J’ai cherché tu pin pour faire tes santouiches aux petits. Pas troufé un poulancher t’oufer. Ils font quoi la nuit ? Des patars ?
- Des patars ? Ah, des bâtards ! A 5 heures, pas à deux. Quand Paris s’éveille.
- Che n’ai que te la prioche racisse.
- Comme moi ! a plaizanté Papa en tapant sur sa beudène.
Après j’ai dormi vraiment. J’ai levé un œuil à Bondy à 2 h 30. Manman est allé dehor embracer Monsieur Aksel qui nous avait acompaniés à coté et devait retourné à Paris.
A quatre heures le cabriolaid des femmes de chanbre nous a rejoint à Claye-Sully. Elles sont folles de roulé tête au vent !
A dix heures du matin on s’est arétés à Viels-Maison, à l’Auberge du Surgelé, tenue par François Picard depuis trois générations.
Après Chantrix, à 14 h 30, la voiture a failli vercé par deux fois car les chevaus se sont afalés. A l’intérieur de la berline je me suis mis du verni sur les ongles et Marinette m’a mis du rouge aux lèvres. Puis j’ai comancé un journal intime dans lequel je raconte le voyage des Inconito chez Tonton Léopold qui est devenu la barone de Korff et qui habite le pays des saucices de Franquefort où les markizes porte des choucroutes.
A 16 heures, à Châlons-en-Champagne, M. Durand (c’est papa) n’arétait pas de pesté :
- Quatre heures de retard ! Quatre heures de retard !
Mme Rochet (Manman) a dit :
- Fous les hommes, en foyache il n’y a que la moyenne qui conte !
A 19 h 55 on s’est arétés pour manger à Sainte-Ménehould. Après je sais pus. J’ai dormi beaucou. On n’est pas allés plus loin que La Varenne où nous avons trouvé le pont de l’Aire baré par des gardes fransaises. Ils nous ont dit qu’on ne pouvé pas prendre la fille de l’Aire alors on a fait demi-tour.
***
Tant pis pour Tonton Léopold mais moi je suis contan quand même : depuis qu’elle n’est plus Marinette, Marie-Thérèse m’a prêté des poupées et je m’amuse bocou à les habillé et les déshabillé.
Papa lui n’est pas contan. Il n’a pas apressié qu’on l’assignat de nouveau à rézidance.
- Quand on hapite les Tuileris, il n’arife que tes tuiles ! » a dit Manman.
Papa a jeté le journal du matin à la poubèle. J’ai eu le temps quand même de lire le gros titre : « Une fuite d’huiles ! ».
Pourquoi il a mis un s à « huile » ? Il est nul en ortograffe, ce Jean-Paul Marat !