Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 371
Derniers commentaires
Archives
12 mars 2016

So kitsch ! (EnlumériA)

 

Raoul Gueulesèche avait un goût prononcé pour les bibelots désuets, le mobilier obsolète chiné de-ci de là et les nains de jardin bien qu’il n’ait jamais eu de jardin.

Le bonhomme vivait dans une maison au style indéfini dans le quartier Saint-Michel. On y accédait par la fameuse rue Henri Mauduit ; si tant inclinée que seul un inconscient eut pu imaginer la gravir à bicyclette.

Imaginez-vous sur le perron de Raoul. D’une main timide vous tirez la chaîne qui descend le long de la porte peinte en vert ornée de fer forgé. À l’intérieur, une clochinette tinte joyeusement. Quelques secondes, une minute peut-être, et la porte s’ouvre. Raoul apparait devant vous. Il vêtu d’une chaude robe de chambre et chaussé de charentaises. Sous sa moustache à la Frères Jacques, une pipe balance doucement au gré de sa bouche expressive. D’une main rapide et leste aux gros doigts velus, il attrape cette pipe qui aurait pu tout aussi bien appartenir à Sherlock Holmes et vous invite à entrer. Voix de rogomme et ventre généreux, cheveux gominés.

Le vestibule est habité par une tête de sanglier sur laquelle est suspendue une guirlande. La hure scrute de son œil de verre un tableau triste et sombre représentant une scène de chasse en Bavière. Au fond, un escalier de chêne monte à l’étage.

Raoul vous invite à pénétrer dans le petit salon pile en face de la salle à manger.

Vous vous asseyez sur un divan vert d’eau sur lequel on a jeté un patchwork de laine tricotée. Devant vous une table basse encombrée de vieux magazines. Le Chasseur français. Nous Deux, Confidences, deux ou trois romans-photos. Au-dessus de la cheminée et d’une improbable pendule est accroché un portrait de Luis Mariano exécuté au point de croix. De chaque côté de la pendule veillent deux girafes en porcelaine.

Vous en déduisez qu’une femme vit ici, que le bonhomme aussi ventripotent que sa grosse pipe n’est pas le célibataire endurci qu’on vous a décrit. Que nenni !

Quoique…

Quelques mois auparavant, une femme avait effectivement franchi le pas de cette porte. Raoul en parlait peu. Il n’aimait pas remuer le passé et détestait les projets d’avenir. Le seul but de sa vie un tantinet poussiéreuse était de l’encombrer un peu plus de jour en jour.

La dame s’appelait Ludivine. C’était une de ces potiches de réclame un peu potelée mais charmante sous son chignon de grand-mère yaourtière. Raoul en était tombé amoureux fou. D’une plume Sergent-Major trempée dans une encre violette sentant bon le certificat d’étude, il lui avait rédigé deux ou trois sonnets ainsi qu’un bancal et laborieux poème en alexandrins.

La dame s’en était entichée comme un chat d’une souris en feutre. Lui, gros rat chafouin, l’invita à prendre le thé afin de réciter des vers et pourquoi pas, s’il pouvait se permettre une telle audace, commenter l’actualité d’une langue ampoulée. Elle avait accepté.

Le jour venu, elle se présenta sur le perron en cheveux. Elle avait dénoué son chignon, ôté sa robe de Mary Poppins et enfilé un jean sur des baskets. Un chandail lie de vin et une paire de lunettes de soleil parachevait le déguisement.

Raoul s’en offusqua. « Mais c’est les autres jours que j’étais déguisée ! » s’écria Ludivine. Raoul haussa un sourcil circonspect. « Nous nous sommes rencontrés par trois fois à la Maison de quartier. J’y répétais une pièce pour les fêtes. Souvenez-vous. »

Raoul, haussant les épaules, l’invita à s’asseoir et s’éclipsa dans la cuisine pour préparer le thé.

Lorsqu’il revint, sa dulcinée le taquina d’un air moqueur. Elle lui montrait d’un doigt inquisiteur la pendule rose aux minarets dorée représentant une mosquée d’opérette posée sur la cheminée.

« Mais comment vous, un homme de goût, je présume, pouvez-vous tolérer ce genre d’horreur ? Et s’il n’y avait que la pendule… » Elle écarta les mains en signe d’embarras. « Vous devriez écouter mes conseils, jeter tout ce fatras et vous meubler contemporain. Croyez-moi. »

Le ventripotentiaire pencha la tête de côté, un peu comme un vieux chien et demanda ce qu’il y avait de si étrange à aimer les objets d’art anciens.

« Que faites-vous samedi en huit, mon ami ? Je vous emmènerai chez Hic et Ah. Je vous montrerai ce que c’est véritablement que du beau mobilier. »

La rumeur raconte que la belle fut jetée dehors avec perte et fracas et que Raoul Gueulesèche jura mais un peu tard… Bref ! Vous connaissez la chanson.

 

Évreux, le 11 mars 2016

 

Publicité
Commentaires
E
Merci pour vos chouettes commentaires :)
Répondre
M
Epatant !!! J'aime beaucoup le portrait de Luis Mariano exécuté au point de croix.<br /> <br /> Superbe description de tous ces objets kitschissimes ! Excellente trouvaille que " Hic et Ah" que ne fréquentera au grand jamais Raoul Gueulesèche ! :-D
Répondre
R
terrible quand l'âme soeur se révèle être une imposture !!
Répondre
K
j'ai fais un défi sur les pots !!! il faut dire que l'image des pots de peinture ne pouvait pas me laisser indifférente ....à samedi donc !<br /> <br /> bisous
Répondre
K
j'adore tes expressions, je vois d'ici les deux personnages !!! extra ! <br /> <br /> tu me diras ce qu'est un chignon de grand-mère yaourthière !! suis morte de rire !!<br /> <br /> tu as la forme !!<br /> <br /> bravo <br /> <br /> bises katyL
Répondre
B
Superbe récit. Parfaitement écrit, bien mené.<br /> <br /> Bonne journée<br /> <br /> <br /> <br /> Alain André
Répondre
V
Raoul n'est pas prêt à sauter le pas; je crains qu'il ne finisse confit et déconfit dans une vitrine...
Répondre
B
Quelle histoire qui prouve que tous les goûts sont dans la nature mais que les personnes avec des goûts opposés ne peuvent pas faire bon ménage <br /> <br /> <br /> <br /> Une histoire agréable à lire du début à la fin avec une fin pleine d'humour
Répondre
C
J'ai promené ma caméra avec bonheur et retenu des descriptions savoureuses!<br /> <br /> Et comme souvent, il me revient une histoire pour enfants ...."La maison qui avait le hoquet" très drôle aussi!
Répondre
V
il faut bien resister au changement !!
Répondre
M
Merci pour la visite guidée et une histoire d'amour trop courte.
Répondre
J
Ton texte est meublé d'astuces subtiles et moins subtiles. J'aime ça ! Et la chute...M'est avis que la Ludivine l'a échappé...belle. ;-)
Répondre
P
J'aime beaucoup le cadre désuet de cette aventure; j'y étais. Ton écriture est si juste qu'on a l'impression d'être le voyeur de la scène; ce n'est pas donné à tout le monde de posséder dans ses mots, l'invite du voyage de son texte.
Répondre
W
Le coup de la sonnette me rappelle le défi 236<br /> <br /> http://samedidefi.canalblog.com/archives/2013/03/09/26577833.html<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai bien aimé Hic et Ah, même si je l'aurais plutôt pris pour un débit de boissons bien tassées :-)
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité